Notre
ami Jean-François Mattei nous a quitté en fin de matinée ce lundi 24 mars aux alentours
de midi.
Il était hospitalisé
à l'hôpital Saint Joseph à Marseille depuis le jeudi 20 mars.
C'est une
immense perte pour le Cercle algérianiste, pour notre communauté mais aussi pour
le monde intellectuel dans son ensemble.
Nous vous
tiendrons au courant du jour et des horaires de ses obsèques.
Nous présentons
nos très sincères condoléances à son épouse Anne, à ses enfants et petits enfants.
Jean-François Mattéi 1941 - 2014
Jean-François Mattéi, né le 9 mars 1941 à Oran, en Algérie, est un
professeur de philosophie grecque et de philosophie politique. Ancien élève de
Pierre Aubenque et de Pierre Boutang1, il est
professeur à l'université Nice Sophia Antipolis, et membre de l’Institut
universitaire de France.
Jean-François Mattéi naît à Oran en Algérie en 1941. Il a fait des
études classiques au lycée Lamoricière jusqu’à l’hypokhâgne, puis des études
supérieures à l’université d'Aix où il obtient le prix Marcel Reybaud décerné à
la meilleure licence de philosophie.
C'est en 1962, à 21 ans, comme la
majorité des pieds noirs, que Jean-François Mattéi,
issu d'une famille française d’Algérie, quitte l'Algérie.
Il
est diplômé de sciences politiques à l'Institut d'études politiques
d'Aix-en-Provence en 1965 et agrégé de philosophie en 1967. Il soutient sa
thèse d’État, L’étranger et le simulacre : essai sur la fondation de
l’ontologie platonicienne, sous la direction de Pierre Aubenque à l’université Paris IV-Sorbonne en 1977. Docteur d’État ès lettres en 1979, il
est aussi agrégé de philosophie et diplômé de science politique. Après avoir
enseigné au lycée Fermat de Toulouse et au lycée Thiers de Marseille entre 1967
et 1979, il est professeur à l'université de Nice Sophia Antipolis en 1980.
Marié
à Anne Jaubert, il a trois enfants, Philippe, Alexandre et Isabelle
Fonctions
universitaires
Professeur
à l’université de Nice Sophia Antipolis depuis octobre 1980, il a dirigé le
département de philosophie de 1984 à 1988, puis le DEA de la formation
doctorale « Philosophie et Histoire des Idées » depuis 1995 et le master «
Philosophie » depuis 2004. Il a pris sa retraite comme professeur émérite de
l'université de Nice en 2007.
Pendant
30 ans, avec Dominique Janicaud et Françoise Dastur, Jean-François Mattéi a
été l'un des contributeurs du rayonnement de l’université de Nice en ce qui
concerne le « pôle international d’étude et d’enseignement de la
Phénoménologie, de ses méthodes d’analyse et de ses grandes philosophies ».
Il
a été élu membre de l’Institut universitaire de France en 1996 et renouvelé en
2001.
Membre
du comité d’éthique du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement) depuis 2000, il a été également membre du
Conseil National pour un Nouveau Développement des Sciences Humaines et
Sociales (nommé par le ministre de l’Éducation nationale) de 1998 à 2001.
Responsable en philosophie et en sciences humaines pour le COFECUB (Comité français
d’évaluation de la coopération universitaire avec le Brésil) depuis 1998.
Expert pour la philosophie auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et
de la Recherche.
Il
enseigne la philosophie politique contemporaine à l’Institut d'études
politiques d'Aix-en-Provence de 1973 à 2012. Enfin, il a été professeur associé
à l’Université Laval (Québec) en 2003, et professeur invité à l’université de
Marmara (Istanbul) de 1991 à 1994.
Fonctions
administratives
Jean-François Mattéi a rempli les fonctions de Conseiller personnel
auprès du ministre de l’Éducation nationale en 1993-1994 (cabinet de François
Bayrou).
Membre
du Conseil national des universités (XVIIe section) de 1992 à 1995
(vice-président), puis de 1995 à 1998, et de 2003 à 2006.
Membre
du groupe d’experts en sciences humaines et sociales de la mission scientifique
et technique du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de
1994 à 1998, et de 2002 à 2007. Président de la Commission de spécialistes en
philosophie de l’université de Nice depuis 1997, et membre des Commissions de
spécialistes en Philosophie des Universités
de Paris-Sorbonne (Paris IV), de l’université de Bourgogne (Dijon) et de
l'université de Marne-la-Vallée.
Membre
du Conseil supérieur régional de la recherche et de la valorisation de la
Région Provence-Alpes-Côte d’Azur de 1994 à 1998 : vice-président responsable
de la Commission Sciences Humaines et Sociales. Membre de l’Académie
interdisciplinaire européenne des Sciences depuis 1996. Nommé à la section Prospective
du Conseil économique, social et environnemental (CESER) de la région
Provence-Côte d’Azur en 2008 et reconduit en 2014.
Jean-François Mattéi a été élevé au grade de chevalier de la Légion
d'honneur à la promotion de Pâques 2004. Il fut à tort confondu avec le
généticien Jean-François Mattei (sans accent), « à qui on reprochait alors les
méfaits de la canicule de 2003 »5.
Il
anime de nombreuses conférences et colloques, au Centre Universitaire
Méditerranéen de Nice (CUM : direction Mme Martine GASQUET), dans les Cercles Algérianistes, ou les Colloques de Menton « Penser notre
temps », ainsi que les séminaires du Collège des Bernardins à Paris. Il est
aussi administrateur du Comité France de l'Institut Thomas-More.
Fonctions
éditoriales
Membre
du Comité scientifique de la revue Les Études philosophiques depuis 1985, du
Conseil de rédaction de la revue Laval théologique et philosophique (Québec)
depuis 1997, et du Comité de rédaction de la revue Cités (dirigé par Yves
Charles Zarka ; Paris) depuis septembre 2003.
Directeur
de la revue Noesis (Nice-Paris, éditions Vrin) depuis 2003.
Directeur
de la collection « Thémis-Philosophie », aux Presses universitaires de France
(Paris) depuis 1995, et de la collection « Chemins de pensée » aux Éditions Frédéric Ovadia (Nice-Paris-Montréal) depuis 2006.
Philosophie
Dans
la lignée de Platon, de Heidegger, de Camus, d'Hannah Arendt et de Jan Patočka, les réflexions de Jean-François Mattéi portent sur les différentes formes du monde moderne,
notamment celles de la culture européenne, d'une rationalité qui aurait oublié
ses trois enracinements dans l’être, sur le plan ontologique, dans le monde,
sur le plan cosmologique, et dans le bien, sur le plan éthique.
Le
plan ontologique
Jean-François Mattéi poursuit ses recherches sur le fondement prémétaphysique de la métaphysique6, dans la lignée de son
ouvrage Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti et de Heidegger et l’énigme de
l’être. Il s'agit de comprendre l'inscription et l'enchevêtrement des racines
métaphysiques de l’arbre de la philosophie, dont fait mention Descartes dans la
Lettre-préface des Principes. L'auteur puise dans toute l'histoire de la
métaphysique pour soulever les questions et réponses susceptible d’unifier la
raison métaphysique et ce que Heidegger a appelé l’autre pensée.
Le
plan cosmologique
Jean-François Mattéi s’inspire de la mythologie grecque, du cinéma,
nouvelle mythologie de notre temps, en particulier des critiques d’Albert Laffay, de Stanley Cavell, et des analyses
heideggeriennes de « L’Origine de l’oeuvre d’art », pour comprendre
ce qui fait sens dans le monde.
Il
consacre une part de son travail à montrer les enjeux de la pensée de Camus et
la « pensée du midi ». Il a ainsi publié en 2008 Albert Camus et la pensée de
Midi (Nice-Paris, Ovadia) et avait achevé auparavant
un autre ouvrage sur l'ensemble de la pensée de Camus avec Anne-Marie Amiot
dans Albert Camus et la philosophie (Paris, PUF, 1997).
Il
poursuit des recherches sur Jorge Luis Borges. Il a ainsi publié en 2009 Jorge
Luis Borges et la philosophie avec la publication d'un manuscrit inédit de Don Isidro Parodi (Nice-Paris, Ovadia,
2009).
Le
plan éthique
À
la suite de ses ouvrages consacrés à La Barbarie intérieure et à Civilisation
et barbarie. Réflexions sur le terrorisme contemporain, la recherche présente
de Jean-François Mattéi porte sur les fondements de
la morale et la constitution d’une éthique cardinale qui fasse droit aux quatre
grands présupposés de l’éthique. Avec son ouvrage De l’indignation, il montre
comment l’« indignation », cette passion dont Descartes disait qu’elle est «
une espèce de haine ou d’aversion qu’on a naturellement contre ceux qui font
mal et qu’elle est souvent accompagnée d’admiration », se trouve à la racine du
jugement moral que nous portons sur les personnes et les événements. Les
recherches croisées de l’auteur portent ainsi sur la réconciliation possible de
l’espace public, dans sa dimension éthique, politique et artistique, et du
champ proprement ontologique. Elles doivent permettre à la pensée de l’être,
inscrite dans la tradition constante de la métaphysique, d’Aristote à
Heidegger, de retrouver la pensée du Bien portée, pour sa part, par la
tradition éthique, de Platon à Lévinas.
Dans
ses précédents ouvrages dont La Barbarie intérieure, Mattéi nomme la barbarie intérieure : « Ce que j’appelle du nom de barbarie, c’est la
dissolution de l’homme dans cette logique dévastatrice, d’un entendement qui
s’est replié sur lui-même. C’est cela la barbarie intérieure : l’impossibilité
de recevoir la vérité, ou, simplement, de se mettre en mesure de la recevoir,
parce que l’enfermement du sujet en lui-même ne laisse place à aucune ouverture
». Autrement dit, le fait de vivre dans l’affirmation de sa propre subjectivité
et de renier des références éthiques admises par tous, ce qui le dépasse et
l’élève, est la barbarie intérieure. Subséquemment avec Le Sens de la démesure, Mattéi pose le paradoxe de l'humanité européenne
incarnée depuis le siècle des Lumières, c'est-à-dire le refus de se mettre en
mesure et de recourir à une extériorité. Il propose alors de méditer la grande leçon de la Grèce éternelle »12, reprise par Albert
Camus et Léo Strauss, qui pourfendait la démangeaison de l'infini et de
l'immense, d'une lutte permanente contre l'hubris ;
démesure, dont répète si souvent l'auteur, qui a entraîné tout au long du XXe
siècle des désastres humains, politiques voire écologiques. Cette « pensée de
midi » dont l'auteur se réclame « présuppose un conflit qui n'aura jamais de
fin ».
Comme
la philosophie politique n'a pas de sens en dehors de l'expérience des crises
du présent, Jean-François Mattéi se donne également
pour tâche de produire des analyses historico-politiques des lieux de fracture
du monde contemporain. Il a ainsi publié des travaux sur les conflits et leur solutions possibles. Ainsi a été réalisés avec Denis Rosenfield, Civilisation et barbarie ; réflexions sur le
terrorisme contemporain.
Le retrait du sacré, la délégitimation du politique et, plus généralement, la perte
des repères conduisent à une interrogation, dans La Crise du Sens, sur
l'absence de sens et sur la possibilité de vivre dans un monde déserté.
Le
Regard vide
Dans
son récent ouvrage, Le Regard vide. Essai sur l'épuisement de la culture
européenne, Jean-François Mattéi défend la
spécificité de la culture européenne, et met en garde contre ce qui la menace.
Selon lui, dans la continuité des thèses de Jan Patočka,
et des écrits de Denis de Rougemont, de Thomas Mann, de Bernard Voyenne, et plus près de nous, du Suisse-Hongrois André Reszler ou du Portugais Eduardo Lourenço, la culture
européenne est d'abord marquée par un « souci de soi », qu'elle hérite de
Platon. Il définit ainsi une identité européenne, qui n'est pas une identité
figée et close, mais marquée d'abord par des traits structurants, et plus
particulièrement par la spécificité de son « regard » (en grec, theoria). Le regard européen est un regard théorique qui
porte vers le lointain et qui considère ses objets idéaux (la vérité, la
justice et l'âme) en les soustrayant à l'immédiateté de leur évidence, pour les
analyser, les remettre en question, au regard de la transcendance qui les
constitue et à laquelle chacun est relié. Ce qui menace alors la culture
européenne d'épuisement est, d'une part, la perte du souci de la transcendance,
pour s'en tenir à la stricte immanence de la production matérielle19 et,
d'autre part, l'exacerbation du regard critique caractéristique de l'identité
européenne qui finit par se retourner contre lui-même pour s'aveugler. Le
Regard vide a été finaliste du premier prix de l'essai décerné par La Revue des
deux mondes le 14 mai 2008, et finaliste du grand prix du Livre européen en
2008. Il a obtenu la même année le prix Montyon de philosophie de l'Académie
française.
Publications
(sélection)
Travaux
et autres publications
Livres
(en nom propre)
L’Étranger
et le Simulacre. Essai sur la fondation de l’ontologie platonicienne, Paris,
PUF, coll. "Épiméthée", 1983.
(avec Dominique Janicaud), La
Métaphysique à la limite20. Cinq essais sur Heidegger, Paris, PUF, coll.
"Épiméthée", 1983. L'ouvrage, augmenté d'une préface et d'un dialogue
inédit avec Dominique Janicaud, a été réédité en 2010
par les éditions Ovadia.
L'Ordre
du monde. Platon, Nietzsche, Heidegger21, Paris, PUF, 1989.
Pythagore
et les Pythagoriciens, Paris, PUF, « Que sais-je ? », no 2732, 1993.
Heidegger
et Hölderlin. Le Quadriparti, Paris, PUF, coll. Épiméthée, 2001.
La
Barbarie intérieure. Essai sur l’immonde moderne, Paris, PUF, 1999
2e
édition augmentée , 2002 ; réédition
"Quadrige-Débats", 2004. Prix du Cardinal Mercier 2001 de
l'université de Louvain.
Civilisation
et barbarie, avec Denis Rosenfield, Paris, PUF, 2002.
De
l’indignation, Paris, La Table Ronde, 2005.
Platon,
Paris, PUF, « Que sais-je ? », no 880 2005.
La
Crise du sens, Nantes, Cécile Defaut, 2006.
L’Énigme
de la pensée, Nice-Paris, Ovadia, 2006.
(avec Raphaël Draï), La République
brûle-t-elle? Essai sur les violences urbaines françaises, Paris, Michalon,
2006.
Des
philosophes, politologues et essayistes apportent leur contribution qui
présente plusieurs points de vue sur les violences urbaines qui ont secoué la
France en fin d'année 2005. Contribution de Marc Knobel,
Robert Redeker, Mezri Haddad, Jean-Jacques Wunenburger, Chantal Delsol, Michel Maffesoli,
Jeanne-Hélène Kaltenbach, Bruno Étienne, Dominique Folscheid, Jacques Dewitte
Le
Regard vide. Essai sur l'épuisement de la culture européenne, Paris,
Flammarion, 2007.
Cet ouvrage a été couronné du Prix
Montyon 2008 décerné par l’Académie française dans la catégorie des prix de
littérature et de philosophie.
Le
Sens de la démesure, Cabris, Éditions Sulliver, 2009.
Voir un extrait ici.
L’identité
de l'Europe, avec Chantal Delsol, Paris, PUF, 2010.
Albert
Camus. De la révolte au consentement, Paris, PUF, 2010.
Jorge
Luis Borges et la philosophie, Nice-Paris, Ovadia,
2010.
Le
Procès de l'Europe, Paris, PUF, 2011 et Presses de l'Université d'Ottawa, 2011.
Philosophie
de la chirurgie esthétique. Une chirurgie nommée Désirs, avec le Dr Henry Delmar, Paris, Odile Jacob, 2011.
Edgar
Poe ou le regard vide. Essai sur L'Homme des foules d'Edgar Poe, Paris, Manucius, 2011.
Le
Démon de la tempérance, préface de Xénophon, Les Mémorables de Socrate, Paris, Manucius, 2012.
La
Puissance du simulacre. Dans les pas de Platon, Paris, François Bourin, 2013
Comprendre
Camus, avec les illustrations de Aseyn, Max Milo
Éditions, 2013 (ISBN 978-2315003860) [présentation en ligne]
Citations
de Camus expliquées, Eyrolles, 2013 (ISBN
978-2212556018) [présentation en ligne]
Les
Philosophes antiques, deux coffrets de 6 CD, Fremeaux et Associés, Paris, 2013.
Directeur
de volume
La
naissance de la Raison en Grèce, Actes du congrès de Nice de 1987, PUF, 1990 ;
réédition "Quadrige", 2006.
Les OEuvres philosophiques (deux tomes), volume III de
l'Encyclopédie philosophique universelle, Paris, PUF, 1992.
Le
Discours philosophique, volume IV de l’Encyclopédie philosophique universelle,
Paris, PUF, 1998.
De
nombreuses contributions dont Jean Varenne, Bruno Pinchard, Augustin Berque,
Pascal Engel, Jean Cuisenier, Roger Arnaldez, Luc Brisson, Marc de Launay, Pierre Magnard,
Michel Henry, Umberto Eco, Henri Meschonnic, Julia
Kristeva, Raymond Boudon.
Dictionnaire
critique de l'ésotérisme, directeur de la section "Antiquité", Paris,
PUF, 2005.
Nietzsche
et le temps des nihilismes, Paris, PUF, 2005.
L’Identité
de l’Europe, avec Chantal Delsol, Paris, PUF, 2010.
La
Transcendance de l'homme : études en hommage à Thomas De Koninck, en collab. avec Jean-Marc Narbonne, Québec,
Presses de l'Université Laval, 2012 - incluant des contributions de
Jean-François Mattéi, Jean-Marc Narbonne, Jean-Luc
Marion, Chantal Delsol, Leslie Armour,
Luc Langlois, Jean-François de Raymond, Gilbert Larochelle,
Yves Charles Zarka, Gabor Csepregi,
Rémi Brague, Dominique Folscheid et Jean-Jacques Wunenburger.
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