Je suis parti à la guerre en 1942,
à 21 ans, et mon père, qui avait fait 14-18, est mort
en 1945, à 52 ans, sans que je l'ai revu.
Banal, dira-t-on.
Eh bien, non !
A mon retour à 24 ans, j'étais, comme tous les Pieds-Noirs,
assoiffé de vivre, enfoncé jusqu'aux genoux dans le Présent,
ne jetant parfois qu'un regard distrait vers un Futur qui ne nous inquiétait
pas puisqu'il était là, sous nos pieds, et à portée
de la main, dans notre patrie, I'Algérie.
C'est seulement plus tard, quand j'ai
voulu écrire sur " Bab-el-Oued " et sur mon
pays perdu, que j'ai mesuré le vide qu'avait laissé la
mort de mon père.
Quoi ? Il avait disparu sans laisser
de témoignage, sans que j'aie eu le temps de recueillir ses souvenirs,
de le questionner sur sa famille, son propre père qu'il n'avait
peut-être jamais connu tant il était, lui aussi, mort jeune
?
Je connais le courage de sa mère, l'énergie indomptable
des épouses d'immigrants et le combat qu'elle a dû mener
pour l'élever, lui. Lui et qui ? Il avait des frères et
des surs, du moins, je le suppose, car dans les années
90, on ne connaissait que l'enfant unique.
Une fois même, au cimetière d'Hussein-Dey, j'ai recherché
la tombe de ma grand-mère. Introuvable !
Mes grands-parents, mes oncles et mes tantes, tous avaient sombré
dans la fosse commune, normalement réservée aux
indigents, qui n'est pas seulement celle des défunts, mais aussi
celle d'une mémoire d'une famille, d'un peuple.
Ne laissez pas se reproduire cette
faute. Ce que mon père ne m'a pas raconté est à
jamais perdu. Si le vôtre ou si votre mère sont en vie,
ne perdez pas une minute: questionnez-les, faites-les parler et surtout
recueillez précieusementpar écrit ou sur magnétophone
leurs souvenirs des lointaines années de leur vie de pionniers,
quand les gens n'avaient pas le temps de se pencher sur leur nombril
pour se persuader qu'ils étaient malheureux, quand au contraire,
il leur fallait se battre chaque jour pour survivre.
Profitez de votre visite à l'hippodrome
de la Côte d'Azur, à Cagnes-sur-Mer, pour vous informer.
Nous vous aiderons à sauver la Mémoire de l'Algérie
grâce à un questionnaire que nous vous remettrons à
l'occasion de notre Grand Rassemblement " 40 Ans après
".
Gabriel CONESA. Journaliste-écrivain
