LES YEUX DU CID POUR CHIMENE

Française, originaire de l'ancienne province d'Algérie, victime de la guerre sans nom, je suis de ces témoins de l'Histoire qui n'ont aucune raison de se réjouir du récent voyage officiel du Président Jacques Chirac en République algérienne démocratique et populaire dont l'Islam est religion d'État ; sinon que les villes d'Alger et d'Oran, fraîchement badigeonnées de blanc à cette occasion, retrouvèrent le temps de la "fête" leur beauté d'autrefois.

Pas plus que je n'ai éprouvé de plaisir à la vue du spectacle que nous offrit ce peuple paupérisé, dont les pères en 1954 "n'avaient pas faim de pain mais de liberté" - tel était l'un des slogans de la rébellion - quémander des visas pour fuir leur pays saigné par les "sangsues" de la nomenklatura FLN et par les "salariés de l'industrie de la libération des peuples". Il semblerait que de nos jours le peuple algérien n'eût ni pain, ni liberté...

Néanmoins, je suis de celles qui furent impressionnées par l'accueil que reçut le premier des Français et que nous a retransmis la télévision. Les drapeaux "bleu - blanc- rouge" jalonnant le parcours de Jacques Chirac et t'enthousiasme des foules, nous rappelèrent les manifestations de joie que vit et les cris d'espoir qu'entendit le Général De Gaulle le 4 juin 1958, lors de sa première visite en Algérie. En ce temps là, le peuple de notre ancienne province, en quête de paix, était un melting-pot composé de musulmans, de juifs et de chrétiens. A cette époque là, le drapeau vert et blanc, dans son centre le croissant et l'étoile, emblème de l'Algérie indépendante, ne flottait pas encore sur Alger ni dans l'enceinte du stade de France, à Saint Denis ; ne colorait pas la place de la République, à Paris, le soir du 5 mai 2003 à l'occasion de la réélection du Président sortant, n'illustrait pas à Bercy l'inauguration de "El Djazaïr 2003" ou l'année de l'Algérie en France, opération de marketing politique en faveur de Bouteflika.

De toute évidence, l'Algérie qu'a visitée Chirac n'est pas notre Algérie. Les choses ont changé ; elles se sont aussi détériorées et je suis consciente que les Algériens ont besoin d'aide, mais chez eux et à certaines conditions. La première condition, concerne la levée, par le Gouvernement d'Alger, de l'interdiction faite aux Harkis, citoyens Français, de se rendre dans le pays qui les a vus naître ; la seconde condition repose sur l'aveu par ce même Gouvernement de la volonté du CRUA, l'excitateur du 1er novembre 1954, d'appliquer en cas de victoire de la rébellion, t'épuration ethnique des "dhimmis" juifs et chrétiens ; ce qui s'est réalisé finalement ; la troisième condition, la plus douloureuse, concerne les enlèvements et disparitions de milliers d'européens et musulmans, civils et militaires, après le 19 mars 1962, date de la signature du cessez le feu en Algérie. Il est temps que les responsables algériens, à qui nous ne demandons aucune contrition, nous disent la vérité, toute la vérité sur le sort qui fut réservé aux milliers de victimes.

Cette vérité, les veuves, les mères des disparus, les orphelins l'attendent depuis plus de quarante ans, ce n'est que lorsqu'ils la connaîtront, devra-t-elle faire souffrir, que les conditions d'un rapprochement franco-algérien seront réunies et que l'amitié entre les deux peuples pourra s'exprimer totalement, sans aucune arrière pensée.

Alors, nos "satrapes" politiques, économiques ou médiatiques pourront avoir, pour l'Algérie, les yeux que le Cid avait pour Chimène.

Michèle SOLER
Pupille de la nation

Crée le 7/10/2003 par RPr