Réplique au rapport de recherche sur le projet
du Mur des Disparus à Perpignan
1er Commentaire. De qui émane ce rapport ? Notons que si quelques-uns des
participants méritent une haute considération
- je range parmi eux, le Professeur Jauffret dont les réflexions
sont souvent d'une grande profondeur et Guy Pervillé,
- la prétention de quelques autres d'appartenir à
ou de représenter une « communauté
scientifique » peut prêter à sourire.
Madame Branche semble ignorer que le FLN a pratiqué
le terrorisme pendant la Guerre d'Algérie. Dans son livre
L'Armée française et la Torture,
elle évoque l'activité dudit FLN par de remarquables
euphémismes : le Front commet des « attentats ».
Il « conteste l'ordre colonial ».
Les massacres racistes du 20 août 1955, ordonnés
par Zighout Youssef deviennent « le soulèvement
coordonné de milliers de paysans ». Il est suivi d'une répression,
naturellement « féroce »,
dont le bilan de 12 000 victimes n'a jamais été
infirmé. Il serait plus juste de dire que ce chiffre,
fourni par le FLN, n'a jamais été confirmé.
Venons-en à B. Stora qui est le « penseur »
n°1 sur l'Algérie dans la France actuelle. Je l'ai
entendu affirmer une fois que, dans l'OAS, la continuité
idéologique qui l'emportait, de très loin sur
toutes les autres, était celle de Vichy.
C'est une absurdité complète. Chacun
sait que l'OAS c'était avant tout l'OAS Algérie,
il serait très difficile, si l'on met de côté
le groupe Martel, d'ailleurs marginalisé, d'y trouver
des vichyssois ou des gens animés par cette idéologie
parmi les dirigeants. Quant aux militants, même en tenant
compte du groupe Leroy-Villars qui fut éliminé,
il serait difficile d'y voir une prédominance vichyste.
L'affirmation de Stora sur ce point est purement gratuite et
idéologique. Je conteste donc, pour ma part, l'autorité
« scientifique »
des deux personnes précitées.
2ème Commentaire. Il s'agit d'un texte rédigé dans le jargon, malheureusement
devenu habituel de beaucoup d'universitaires, et dont ne sont
pas exclues les références marxistes. Citons par
exemple l'emploi du verbe réifier (page 9) (qui ne veut
rien dire). Ajoutons-y l'emploi sur le mode du terrorisme intellectuel
de l'adjectif colonial. Colonial, devient pour
certains, comme le mot réactionnaire, fasciste ou vichyssois, une étiquette
infamante dispensant de toute analyse scientifique. Un processus
colonial, une armée coloniale, des mentalités
coloniales sont autant d'abominations, par principe.
3ème Commentaire. Les rédacteurs du texte ne sont pas à l'abri d'erreurs
historiques graves. Faute de temps et de place je ne peux tout
citer. Mais .....
Comment des historiens peuvent-ils écrire
que les Pieds-Noirs constituent un groupe récent ?
Comment peuvent-ils écrire que l'histoire
coloniale, est une histoire de France transplantée sur
le terrain colonial, une histoire dont sont invariablement absentes
« les populations colonisées » ?
J'ai cherché à comprendre à quoi ce charabia
faisait allusion. Etait-ce à l'Histoire de France de
Lavisse, qui comportait, me souvient-il, des chapitres sur l'Empire ?
Il ne le semble pas puisque le texte fait référence
à un récit produit sous le 3ème
République, sur le modèle de l'Histoire
de France d'Ernest Lavisse.
De quoi s'agit-il ? Quel est ce texte dont on nous dit
qu'il est un « récit massivement
diffusé aux écoliers sur les bancs de la communale » ? On précise que la colonisation
y est présentée comme mission civilisatrice
et opération économiquement indispensable.
Quelle horreur en effet !!
Il y a plus grave : dans ce texte on évoque
une prétendue distinction entre des « Français
citoyens » et des « Français
non citoyens ». J'avoue ne pas comprendre ce point. Depuis
le statut de 1947, tous les Algériens européens
ou non européens étaient citoyens français.
Il y avait, certes, deux collèges électoraux ;
dans le second tous les électeurs étaient musulmans,
c'est-à-dire selon la terminologie de l'époque,
qu'ils étaient de statut de droit local, c'est-à-dire que leur statut personnel et familial
relevait du droit coranique.
Dans le premier collège, les électeurs étaient
musulmans ou européens ; ils étaient de statut
de droit commun c'est-à-dire
que leur statut relevait uniquement du droit français.
Cette distinction en deux collèges que son promoteur
Edouard Depreux percevait comme provisoire, ne recouvrait pas
une distinction entre citoyens et non citoyens, mais, entre
personnes n'ayant pas d'allégeance à l'Islam ou
ayant été dispensées de renoncer au statut
local coranique tout en entrant au 1er collège
et citoyens fran¨ais ayant conservˇ le statut local musulman
et faisant partie du 2ème coll¸ge.
Par conséquent parler, en 1957, de l'arrestation
par le général Massu de Français non citoyens
est un doux anachronisme. Qu'un Français citoyen ait
pu intervenir à cette époque, pour défendre
un Français non citoyen est une appréciation polémique
et absolument pas scientifique. Veut-on dire par là que
chaque fois qu'un Musulman (non citoyen ?) était
arrêté, il se produisait l'intervention d'un Européen
(citoyen) ? A supposer, ce dont je doute, que tel ait été
le cas, le clivage non citoyen / citoyen ne correspond pas à
la double distinction évoquée : Européen
/ Musulman.
Lorsque le général Massu faisait
arrêter des Musulmans, il n'arrêtait pas des « Français
non citoyens » mais des citoyens français,
dont certains appartenaient au 1er collège
et étaient de statut de droit commun et dont d'autres appartenaient au 2ème collège
et relevaient du statut de droit local
(islamique). Comment une pareille ineptie a-t-elle pu être
écrite page 8 ? On la trouve déjà
page 7. La différence entre « Français »
et « Algériens » est présentée
Š on lit dans le texte : « c'est-à-dire » - comme une différence entre « Français
citoyens » et « Français non citoyens ».
Ceci est une absurdité qui se retrouve jusqu'à
la fin du texte.
On retrouve cette distinction infondée page
15 où l'on ose écrire : « Signaler
que les Français non citoyens comptent plus de victimes
que les Français citoyens, ne s'apparente pas à
une vision pro-FLN, mais correspond au strict énoncé
d'éléments factuels..... »
Il est exact, qu'il y a eu plus de victimes musulmanes qu'européennes
du conflit. Il eut été plus simple de le dire.
Cela tient à la disproportion numérique des 2
communautés et au fait que le FLN n'a jamais épargné,
loin de là, ses coreligionnaires. Ce que chacun sait.
4ème Commentaire.
« ..... Un mur, mettant en avant
(sic) certains morts plutôt que d'autres représenterait
pour celui qui fréquenterait le centre, un signe évident
indiquant la proximité du centre avec une lecture du
passé ne faisant pas l'unanimité. »
Que cela est bien dit ! Mais si certains ont
éprouvé le besoin d'ériger un tel mur,
il y a à cela une raison précise. Depuis quarante
cinq ans, on ne compte plus les occasions où divers historiens,
journalistes et militants ont déploré certains
morts en oubliant complètement les autres. Ainsi les
12 films, téléfilms et documentaires projetés
à la télévision en 2003, n'évoquaient
pas les 3 856 européens enlevés par le FLN
avant et après le 19 mars, ni les enlèvements
et les disparitions du 5 juillet 1962 à Oran. Parlaient-ils
des harkis ? J'avoue que je ne m'en souviens pas.
Lorsque Monsieur Delanoë, maire de Paris,
fait apposer une plaque pour les victimes du 17 octobre 1961,
il « met en avant »
certains morts plutôt que d'autres. Lorsqu'il donne le
nom de Maurice Audin à une place de Paris, il participe
à la guerre des mémoires, sans chercher à
savoir si sa « lecture » du passé
fait l'unanimité.
Les auteurs du rapport diront, peut-être,
que c'est ce qu'ils veulent éviter : ne pas exclure
mais rassembler. Mais précisément, si certains
veulent édifier un mur des disparus, c'est parce qu'ils
pensent que les Européens enlevés et portés
disparus ont été délibérément
exclus de la mémoire nationale.
Pour avoir été de ceux qui ont, modestement,
contribué à rappeler cette page d'histoire, je
sais ce qu'il en est. M. Stora a eu de nombreuses occasions
de parler du conflit algérien à France Culture
et à la télévision. Je n'ai jamais été
invité à lui porter la contradiction. Je me souviens
d'un article du Monde, je crois, où il parlait du 5 juillet à
Oran, en affirmant qu'il avait fait 25 morts européens.
Autant vaut dire que les Oranais qui ont lu cela,
ont dû penser qu'on se moquait d'eux. Qu'à partir
de là, les familles de disparus, les cercles algérianistes
et d'autres aient pensé qu'on voulait faire passer leurs
morts aux « oubliettes » de l'Histoire,
et que, de ce fait, ils aient demandé que soit érigé
un mur destiné à combattre cet oubli, quoi de
plus légitime ? Avant de rassembler et de synthétiser
les mémoires, il faut qu'elles s'expriment. Or, celle
des enlevés et des disparus a toutes les peines du monde,
je le sais bien, à y parvenir. Voir les interdictions
de manifester qui sont encore tombées, ce dernier 5 juillet.
Que des universitaires, dont la majorité
n'a jamais évoqué ce problème, parce qu'ils
ne le connaissaient pas, et parce que dans leur esprit, les
seules victimes de la Guerre d'Algérie qui vaillent,
sont celles qui ont été causées par l'Armée
française et l'OAS, voilà qui ne les qualifie
pas vraiment pour dire, aujourd'hui, qu'il ne faut pas exclure
mais rassembler.
Toutefois, le principe est excellent. Appliquons-le !
Que l'on cesse d'exclure la mémoire des Européens
disparus, des victimes du 5 juillet à Oran, des harkis
massacrés : très bien ! Pour l'instant,
on en est loin, je constate une énumération page
12 : terrorisme, torture, massacre des harkis, exode des
Français d'Algérie d'après le texte, seul
un récit historique qui intègre ces questions
est susceptible de préfigurer l'indispensable reconnaissance
mutuelle des souffrances. Ajoutons-y les enlèvements
et les disparitions d'Européens après le 19 mars
et après la proclamation de l'Indépendance (plus
de 3 000) et nous aurons fait un pas de plus.
Précisons en outre que la torture ne fut
pas le seul fait de l'Armée française mais de
tous les protagonistes du conflit. Ainsi une de nos collègues
avait écrit, il y a quelques années un article
intitulé La torture pendant la Guerre d'Algérie ; vaste sujet ! Malheureusement, elle n'y
parlait que de la torture exercée par l'Armée
française. Or, je sais, pour avoir consulté de
très nombreuses archives à Vincennes sur la question
des harkis, que les tortures exercées par le FLN, furent
constantes, systématiques et nombreuses de 1954 à
1962 (y compris les 6 mois passés sous la nouvelle indépendance).
Espérons que cette mémoire ne sera pas exclue
des prochains travaux de cette collègue afin de « ne
point oublier » comme l'affirme la page 12 « que
des exactions ont été commises dans les deux camps. »
5ème Commentaire. Le texte affirme page 13 que « seule
la diversité des documents permet de rendre compte de
la variété des points de vue »,
excellent principe qui est malheureusement gâté
par la suite : « ce que montre la production
cinématographique sur la Guerre d'Algérie ».
J'avoue être inquiet.
Si ce que nous avons vu au cinéma et à la télévision
permet de « rendre compte de la variété
des points de vue »,
je ne dois pas vivre dans le même pays que l'auteur de
ces lignes. L'immense majorité de la production cinématographique
qu'il m'a été donnée de voir est lourdement
biaisée. Elle fait le procès très souvent
à charge et très rarement à décharge,
de l'Armée française, des Pieds-Noirs et naturellement
du « régime colonial ».
J'attends avec impatience un téléfilm sur les
massacres d'Oran et un documentaire sur les enlèvements
d'Européens par le FLN. Je crains d'attendre longtemps.
Le téléfilm de Gilles Perez, malgré ses
grandes qualités, ne saurait en effet remplir le vide
sidéral qui l'a précédé.
Vide que l'on retrouve
page 15 du texte où les nombreuses énumérations
des souffrances et des violences ayant jalonné le conflit,
ne comportent pas les enlèvements et les disparitions
d'Européens.
Au total, la majorité
de ceux qui ont rédigé ce texte car j'imagine
qu'il s'agit d'une rédaction collective, sont victimes
d'un stéréotype. Pour eux, il y a les bonnes victimes,
celles qui sont dues à l'Armée française,
victimes qu'il faut sans cesse déplorer et dont la mémoire
doit être rappelée à jamais. Elles se situent
d'après les rédacteurs parmi les « Français
non citoyens » ( ?), c'est-à-dire les
Musulmans. C'est là une grave inexactitude historique
qui en dit long sur l'ignorance et les présupposés
idéologiques des intéressés. Les mauvaises
victimes sont les Européens, victimes du FLN, dont le
nombre est toujours sujet à caution (25 morts à
Oran pour l'éminent Stora). On n'en a pas parlé
pendant plus de quarante ans hors des milieux Pieds-Noirs. Ajoutons-y
bien entendu, les harkis autres « mauvaises »
victimes, qui font l'objet de diverses récupérations,
après avoir été soigneusement oubliés
très longtemps, eux aussi.
J'ajoute pour finir que
la page 22 comporte une ignominie : écrire que graver
sur un mur tous les noms des Français d'Algérie,
enlevés et disparus, reviendrait à graver dans
la pierre le nom de ceux qui figurent parmi les anciens activistes
de l'OAS, dont on concède qu'ils seraient en fait minoritaires
dans la liste. Voilà qui est écoeurant. Ajouter
que ce serait une insulte aux descendants des victimes de ladite
organisation laisse pantois.
Car un peu plus loin,
le texte affirme qu'il n'est pas possible d'établir une
liste rigoureuse de victimes (parmi les Européens disparus)
non liées à l'OAS. D'autant moins que l'auteur
du texte ne connaît pas le problème, n'a jamais
étudié ni les listes, ni les archives correspondantes
et parle de ce qu'il ignore.
Il vaudrait mieux dire
qu'il sera difficile d'établir une liste de disparus
enlevés par le FLN, dont il pourrait être établi
clairement qu'ils seraient liés à l'OAS. On préfère
inverser les données et suggérer que tous les
noms figurant sur le mur peuvent être suspectés
d'avoir été des militants de l'OAS. L'ensemble
du « rapport de recherche » ne mérite
guère le respect, ce passage encore moins.
Jean Monneret