Le Chant des Norias

(Souvenir)

Toute la journée, les collines du Sahel qui entourent la Ville de leur ceinture verte ont souffert du soleil brûlant d'un mois d'aout. Incendiant la terre, il l'a lézardée de mille crevasses qui le laissent pénétrer au coeur des racines assoiffées.

Toute la journée, les cigales ont troublé le calme des coteaux de leurs stridences lancinantes. Epuisées par leur tâche elles modèrent enfin leur tempo et s'accordent avec le soleil dans sa course descendante pour annoncer le long déclin du jour.

Alors, quelque part dans les collines, retentit la cantilène d'une première noria

Puis ça et là, sans ordre, au hasard, venant s'ajouter les uns aux autres, les cliquetis des norias s'ordonnent en concert.

Ils se mêlent à ceux de leurs proches ou lointains voisins, puis se fondent en un son unique qui s'étend aux versants des collines.

La chaîne de la noria, animée par la peine de l'animal lié aux brancards, tourne inlassablement pour amener à la lumière du jour l'eau fraîche des sources profondes.

L'eau fraiche qui répand sa bénédiction sur les plantes altérées et les rend à la vie.

Alors que s'annonce le crépuscule, l'une après l'autre les norias se taisent, le chant perd de son harmonie, s'affaiblit, s'évanouit et fait place aux mille bruits de la nuit africaine.


C'était il y a longtemps, bien longtemps avant que les dieux ne nous aient abandonnés et condamnés à l'exil.

Le chant des norias qui a bercé mon enfance campagnarde s'est éteint à jamais. Mais il résonne encore au fond de ma mémoire comme une antienne nostalgique qui va et vient au balancement de mes souvenirs.

Pierre Fabiani

Roumi Honoraire