Interview de Philippe
Nouvion
(La Voix du Combattant, avril 2003)
Philippe Nouvion, ami et adhérent de l
'U.N.C, ami personnel de Hugues Dalleau depuis les commandos
de chasse -ensemble- en Algérie, Français d 'Algérie
depuis plusieurs générations, Secrétaire général
du RECOURS (Association de défense des droits des rapatriés)
s'occupant également beaucoup des harkis, a accompagné
le président de la République française, Jacques
CHIRAC, à son invitation, pendant la visite d 'État qu'il
a effectuée en Algérie du 2 au 5 mars 2003. Dès
sa descente d'avion, nous lui avons demandé ses impressions comme
les informations qu'il pouvait nous communiquer sur I 'ensemble du voyage
et les problèmes spécifiques aux Anciens Combattants d'AFN.
LA VOIX: Bonjour Philippe Nouvion et merci
d'accueillir LA VOIX DU COMBATTANT pour cette interview. Vous
étiez parmi les personnalités accompagnant Jacques Chirac
en Algérie pour une visite d'État. Le Président
avait déjà fait un voyage éclair au moment d'un
tremblement de terre. Alors que du 2 au 5 mars dernier, il s'agit bien
d'une visite d 'État.
En tout premier lieu, parce que vous êtes
né en Algérie, que vous l'avez quittée, pour rapatriement,
à l'âge de 27 ans, je voudrais connaître vos
impressions personnelles sur ce retour aux sources.
Philippe NOUVION: Depuis le colonel
Nasser, I'Algérie n'avait pas fait un accueil semblable à
un chef d'état. C'est ce que m'ont dit les algériens.
Il est certain que, au-delà du président de la République
Française, Jacques Chirac, c'est la France qui a reçu
un accueil tout à fait surprenant de la part de ce pays qui attend
sans doute beaucoup de la France. Cet enthousiasme populaire ne peut
pas s'expliquer que par cela.
Il est assez surprenant lorsque vous revenez en
Algérie, que vous êtes un français d'Algérie,
d'entendre sur le tarmac de l'aéroport,
la MARSEILLAISE jouée par une musique militaire algérienne,
sous un ciel bleu extraordinaire, des drapeaux bleu-blanc-rouge partout
avec, dans le fond, l'Atlas tel que je l'ai laissé il y a quarante
ans. Pour moi, c'était un spectacle merveilleux et, bien sûr,
émouvant, j'ai pensé à mon père.
D'autant plus que mon père a été
assassiné au bout de la piste de l'aéroport, à
Maison Blanche, à 5-6 km... Mais, pour moi, c'était, tout
de même et malgré les souffrances que ma famille a endurées
un spectacle merveilleux... Alger qui compte aujourd'hui 3 millions
d'habitants, s'est terriblement agrandie. Notre ancienne ferme est maintenant
en zone pré-urbaine. J'ai pu la voir de loin je n'ai pas eu le
courage d'y aller- des habitations, des immeubles, des locaux industriels
se construisent sur les anciennes plantations de pommiers, de poiriers,
de vigne et d'agrumes autour de la ville elle-même.
LVC: Pour quelle raison votre
père a-t-il été assassiné ?
Ph. N.: Mon père a été
assassiné pour deux raisons majeures. Il était très
connu en Algérie. Nous faisions partie des vieilles familles
françaises d'Algérie. Dans son activité professionnelle,
il avait des représentations syndicales, sur le plan agricole,
il était en contact avec les plus hautes autorités. Toute
ma jeunesse a été marquée par des réceptions:
pique-niques champêtres. Les gouverneurs adoraient venir, pour
se changer du décorum du Palais d'été ou
du Gouvernement général en Algérie. Pour eux, mon
père était un peu un repère d'humanisme c'est-à-dire
de ces hommes qui avaient fait l'Algérie non pas en vilains
colons comme on les décrit trop souvent mais comme des hommes
qui considéraient que leur présence en Algérie
-en dehors de faire du business- était une mission humanitaire.
L'autre raison, lors des vendanges d'août
1960, un jeune aspirant de l'Armée française, officier
de renseignement, a commis l'erreur majeure de demander à mon
père -il se trouvait sur la cuvée de fermentation de la
cave- s'il connaissait Mohamed ben Mohamed. Par pur réflexe,
mon père a répondu qu'il était au rez-de-chaussée.
Cet employé fut arrêté en présence du personnel,
devant mon père ! Erreur à ne pas commettre. . . Vengeance
?
Arrivée émouvante ! ...
Nous avons quitté l'aéroport après
l'atterrissage du président de la République. Il a fait
la tournée de tous les invités, en rang d'oignon, avec
Abdelaziz BOUTEFLIKA, président de la République Algérienne
démocratique et populaire et nous sommes partis à
l'hôtel -le Sheraton, situé de l'autre côté
d'Alger- à Staoueli dans un endroit qui s'appelait et s'appelle
encore le Club des Pins. C'est une résidence où
se retrouve toute la nomenklatura algérienne. Le Sheraton
est tout à fait classique, le personnel est algérien
et j'ai découvert que les filles sont ravissantes qu'elles soient
femme de ménage, à la réception ou en cuisine.
Les visites présidentielles sont absolument épuisantes:
on n'arrête pas de bouger ou d 'attendre. . .
Nous sommes donc très vite
repartis pour Blida. Dans la délégation se trouvait également
le président de la Mission inter-ministérielle aux Rapatriés,
Marc Dubourdieu, mon ami Claude Poli, représentant une organisation
autre de la nôtre s'occupant de rapatriés, moi-même,
secrétaire général du Recours, accompagnés
de Mme Terranova, conseillère du Président, à l'Élysée.
Nous avons été reçus par le maire de la ville,
avant d'aller visiter le cimetière européen de Blida
LVC: Les Algériens restaurent
tous les cimetières européens, je crois ?
Ph. N. Celui-là était
pratiquement terminé. A la suite de cette visite, nous avons
eu des cadeaux, des discours du maire. Moi, je leur ai raconté
des anecdotes de ma jeunesse -mon père avait une ferme pas très
loin de Blida- Nous avons rencontré le préfet de la wilaya
de Blida, le wali, parlant un français remarquable.
Tout le monde s'exprime en très bon français. Pour moi
Français, ancien d'Algérie, l'accueil était très
chaleureux.
Le soir même, en rentrant,
nous avons eu les premiers communiqués de l'AFP, les gens
étaient ravis. J'ai pris brièvement la parole, pour citer
un adage arabe que tout le monde comprend le fet met: le passé
est mort.
Nos interlocuteurs ont beaucoup apprécié
car ils savent -tout se sait- ils connaissent mon cursus, ils savent
ce que ma famille a subi. La dernière fois que j'ai mis les pieds
au Palais d'Été, c'était après l'assassinat
de mon père. Le gouverneur général de l'époque
m'avait reçu pour me dire: Philippe Nouvion, je voulais vous
voir pour vous dire que votre père n'est pas mort pour rien.
On ne peut pas dire qu'il lisait dans le marc de café ! Pour
moi, tous ces lieux sont chargés d'émotion. Nous avons
dîné au Palais d'Été, ancienne résidence
des gouverneurs généraux français et, maintenant,
palais présidentiel que j'ai retrouvé dans tous ses atours.
En attendant les deux Présidents, nous avons pris l'apéritif
dehors dans un jardin merveilleux avec des éclairages superbes,
des spahis en burnous sabre au clair. Tout cela a beaucoup d'allure.
J'ai repéré Jean-Pierre Elkabach et je suis allé
le saluer: je suis d'Alger et je viens saluer un Oranais; cela aurait
dû être le contraire puisque nous sommes une capitale intellectuelle.
Il s'est mis à rire, je vais vous tutoyer et je vais vous
appeler par votre prénom, vous, faites de même ! A ce
moment-là, il m'a demandé qu'est-ce qu'un type comme
vous vient foutre en Algérie - Tout aussi surprenant que cela
puisse paraître à un homme qui se dit de gauche, j'ai le
droit d'être en Algérie au même titre que vous et
j'en ai beaucoup plus de droit que votre ami Hervé Bourges -
C'est exact, je n'ai pas salué M. Bourges, je lui ai dit ce que
j'avais à lui dire... il m'a promis -mais tient-il ses promesses
?- de se revoir en France pour que nous parlions de ce problème
sur le fond.
L' interview a été diffusée
le lendemain matin, A partir de ce moment-là Hervé Bourges
-qui ne savait pas trop sur quel pied danser- m'a carrément
fait la gueule. L'interview ne lui a pas plu, surtout diffusée
immédiatement. Cet homme n'est bien que dans le clair obscur.
Donc voilà pour l'affaire Bourges.
Ph. N.: J'ai écrit une
lettre au service des lecteurs du Figaro à la suite
de l'article de Bourges. Ils n'ont pas publié ma lettre.
LVC: A propos des A.C., avant
que l'on revienne à votre parcours là-bas, il semble
que le voyage ait été bien davantage placé sous
l'angle des harkis et des rapatriés que sous celui des Anciens
Combattants d'AFN
Ph. N.: Je crois que votre
analyse n'est pas fausse. Je n'ai pas perçu cela d'une manière
très déclarée parce que c'était un voyage
d 'ordre général . La France et l'Algérie
remettait les choses à plat. Il est certain que les uns
et les autres n'avaient pas à évoquer la Guerre d'Algérie.
Le problème des harkis a été étudié
en tête à tête entre Jacques Chirac qui a pris personnellement
ce dossier en mains avec M. Bouteflika. Dans son discours, à
l'ambassade de France, M. Chirac a été parfaitement clair.
Le problème des harkis est réglé. Au-delà
des gesticulations médiatiques, à l'exception de quelques
hommes qui sont montrés du doigt par les algériens comme
ayant pratiqué des crimes de sang, je ne sais pas combien ils
sont: 100, 150, 200 ? les harkis et les fils de harkis pourront aller
et venir.
LVC: Vous en êtes certain?
Ph. N. C'est ce que le président
de la République a déclaré, moi je ne peux pas
confirmer à sa place... Quant à mon opinion, je pense
que nous aurons encore quelques incidents qu'il faudra régler
un à un c'est-à-dire diplomatiquement. Je ne vois pas
aujourd'hui d'anciens harkis retournant dans leur village où
ils se sont comportés normalement, comme des soldats français,
être égorgés ou assassinés. Je ne le vois
pas. Ils se feront simplement arrêter à l'aéroport
s'ils sont sur les listes et rapatriés, j'espère. Je pense
que l'on ne parlera plus du problème des harkis: il ne
sont plus que 6000 aujourd'hui.
LVC: De cent, cela pourrait
passer à 1 000 s'il n'y a aucun droit de regard réciproque.
Ph. N.: Le temps a passé,
les harkis ont nos âges, nous ne sommes plus des poulets de
grain de l'année; comme les anciens témoins de toute
cette affaire algérienne, ils vont s'éteindre. L'Algérie
actuellement c'est: 70 % de la population de moins de 30 ans et 50 %
de moins de 20 ans, alors imaginez ce que représente, pour eux,
la Guerre d'Algérie. Cela signifie que seuls 30 % de la population
sont adultes. Ceux-là ont 30, 40, 50, 60 ans. C'est sur
ce problème que nous devons tous réfléchir. L'Armée,
on n'en n'a pas parlé. Après le triomphe que Chirac a
fait dans la ville d'Oran, j'ai bavardé avec le recteur et le
vice-recteur de l'Université en attendant l'arrivée des
présidents. Il y a 40 000 étudiants à l'université
d'Oran.
LVC: L'université est-elle
bien entretenue ?
Ph. N.: Oui, correctement.
A Sidi bel Abbès j'y ai fait mes études d'ingénieur
agricole- l'école d'agriculture a été remplacée
par une autre université: 14 000 étudiants. Oran-bel Abbès,
c'est 50 minutes de route. Sur une étendue peu importante, il
y a près de 50 000 étudiants. Je ne vous parle pas de
la Fac d'Alger, ni de celle de Tizi Ouzou....
LVC: Alger a beaucoup changé
?
Ph. N. : Tout le décor que
la France a planté est intact: le boulevard du front de mer avec
ces immeuble à arcades, les rampes qui descendent
vers le port... Je faisais remarquer à Bourges, vous parlez
de Pouillon, le nom de Chasseriau vous dit-il quelque chose ? Il fut
I 'architecte en chef de la ville d 'Alger c 'est lui qui a planté
le décor Oui, on n'a pas eu le temps d'en parler...
Ne dites pas d'anneries, s'il vous plaît, pas à moi. La
ville d'Alger n'a pas changé, l'amirauté, I'ancien boulevard
princesse Eugénie, implanté aussi par mon aïeul,
tout est là..., Alger dans son cirque... Ce qui a bougé,
ce sont les hauts d'Alger, la banlieue, pour absorber le surpeuplement
de la ville elle-même.
LVC: Vous avez quitté l'Algérie
à 27 ans m'avez-vous dit .
Ph. N.: Oui, j'ai quitté
l'Algérie, j'avais 27 ans: 1935-1962. A Oran, même phénomène
la ville est passée de 200 mille à I million d'habitants.
Toutes les villes d'Algérie ont explosé. Pourquoi ? Compte
tenu de I'insécurité qui règne dans le pays depuis
maintenant plus de 10 ans, beaucoup de paysans ont quitté la
campagne pour venir se réfugier en ville: plus sûre.
Le résultat, c'est que la campagne est restée
pratiquement intacte comme celle que nous avons laissée, il y
a 40 ans. Dans les villages, aussi, il y a beaucoup de nouvelles constructions.
Mon père n'était pas colon au
sens. . . Il possédait une ferme de 140 ha; mais il était,
ailleurs, directeur général d'une très grosse entreprise
agricole dont la majorité des actionnaires se trouvaient d'ailleurs
en région parisienne. Il faut remettre les choses à leur
place J'ai joué dans ces endroits, enfant... On ne peut pas parler
de total délabrement mais d'adaptation des lieux aux besoins
du pays
LVC: Cela se réglera,
dans l'avenir.
Ph. N.: Le passé est
le passé; c'est leur problème, ce n'est pas le nôtre.
Nous sommes arrivés à Tipaza et quand je suis rentré
dans les ruines, le premier geste que j'ai fait, tant j'étais
ému, est de me casser la figure. C'est d'une beauté
intense, un temps de rêve avec un ciel bleu comme il n'en existe
qu'en Algérie, un petit fond d'air et cette montagne du Chenoua,
dans le fond, absolument superbe. Un haut lieu de l'antiquité,
un des ports phéniciens de la Méditerranée. A Tipasa
il y avait 10 000 hab. sur 45 ha. Vous trouvez des adductions d'eau,
des égouts vous avez tout. Les phéniciens avaient 2000
ans d'avance sur nous. Sur le plan de mise en place d'une cité,
nous, nous n'avons rien inventé. Les fouilles sont interrompues
mais le site est propre: davantage d'herbe, vous creusez, vous trouvez
des mosaïques. Il appartiendra à l'État algérien,
de le remettre en valeur, j'espère qu'ils le feront lorsqu'ils
pourront développer leur industrie touristique Les Algériens
doivent, préalablement construire des hôtels: il n'y en
a pas. Sur la route pour Tipaza et Oran, il n'y a rien.
LVC : Il faut
redonner confiance aux investisseurs qu'ils soient français ou
étrangers.
Ph. N.: Mary-Ange, oui, il faut donner,
redonner à l'Algérie confiance en elle-même d'abord.
Sans confiance, ils ne feront rien. le rêve de cette jeunesse
pléthorique que je vous ai décrite, est de venir en France.
LVC:
Ils attendent les visas ?
Ph. N.: Oui, les visas !: c'est
une forme de boutade. Mais ce ne sont pas des visas qu'il faut leur
donner. Avec l'accord de l'État algérien, il faut réorganiser
cet État afin qu'il se développe. Actuellement 90 % de
ses revenus proviennent du gaz et du pétrole. Ils ne sont
plus exportateurs, comme le Maroc, de fruits et légumes, il n'y
a pratiquement pas d'artisanat, sauf dans le sud; ils n'ont pas d'industries
hôtelière comme en Tunisie, au Maroc; sur des milliers
de Km de côte, il n'y a rien. Une côte superbe et brute
de décoffrage. L'industrie hôtelière est une industrie
de main d'uvre, du plagiste jusqu'au grand chef de cuisine. Il
y a du poisson, du mouton, il y a tout ce qu'il faut.
LVC: Des unités incontrôlées,
dit-on, égorgent les gens donc cela ne rassure pas l'américain
de base ni le français moyen.
Ph. N.: Oui, mais... Il y a
deux raisons majeures: l'insécurité qui règne,
sont-ils en train de l'éradiquer ? Le terrorisme reste quand
même vivace: trois jours ou quatre avant que nous allions à
Oran et à Tipaza, dans un village que je connais bien, Ameur
el Aïn, un faux barrage de gendarmerie: douze personnes égorgées.
Tant qu'il y aura cela, le pays n'accueillera pas de touristes.
LVC: Les douze personnes, vous
pensez que cela aurait pu être des vacanciers, s'il y en avait
?
Ph. N.: ... plus ce terrorisme
deviendra aveugle...: Allons-y pour les touristes, cela fera du bruit.
Là, il s'agissait de douze algériens qui regagnaient
leur maison... Tant que ce terrorisme local sévira, le
pays sera privé d'un développement certain. Vous ne pouvez
rien faire dans l'insécurité ni cultiver des terres: et
si l'on vient mettre le feu à votre tracteur ? Si on égorge
les touristes où s'il y a des risques dans ce sens ? Il est urgent
que ce pays retrouve la paix civile.
LVC: En plus de cette paix
civile qui est un problème inter-algérien; I'islamisme
et le radicalisme islamique, cela se sent-t-il en Algérie maintenant
? Plus ou moins qu'avant ? Nous avons assisté à une montée
des votes intégristes, au Maroc, à la dernière
consultation législative.
Ph. N.: Oui, si vous voulez.
J'ai un point de repère. Je suis retourné, en Algérie,
pour affaires, en 1985; c'était la première fois. J'ai
loué une voiture avec chauffeur et je me suis baladé partout.
Sans contrainte, sans rien. Je n'ai pratiquement pas vu de femmes
voilées, seulement de veilles femmes qui portent le haik avec
le mouchoir devant, oui, ça c'est la tenue traditionnelle. Mais
des filles qui se baladent avec le foulard qui leur encadre le visage
et leur cache les cheveux, il n'y en avait pas. A l'université
d'Oran, il y a quelques jours, dans l'amphithéâtre où
étaient réuni les meilleurs élèves de la
fac pour accueillir le président de la République
française et celui de la République algérienne,
vous aviez un tiers des filles qui portait la tenue islamiste. Les autres
étaient tout à fait habillées à l'européenne
avec des chemisiers ou des trucs collant faisant ressortir leurs seins
-splendides d'ailleurs.
LVC: Le plaisir des yeux !
Ph. N.: Tout à fait:
le plaisir des yeux ! Toute cette jeunesse, pratiquement parle le français
alors que le français a été retiré des écoles,
il y a quinze ans, pour que les jeunes n'apprennent que l'arabe. Ils
ont appris le français chez eux par les parents, par les copains,
par la sur aînée, le grand frère, etc... Et
ils ne l'ont pas lâché. Dans l'avion, j'ai voyagé
avec un type très charmant, le chanteur raï Cheb
Mami. Il me disait avec son accent qui est encore un peu marqué
par l'Algérie: j'ai appris le français, je n'arrête
pas d'apprendre le français. C'est une idée fixe. Pour
eux, malgré tout, il faut que vous le disiez à mes camarades
A C, c'est leur succès. Or, si la France avait eu une Armée
aussi dégueulasse qu'on le dit, cela ne se passerait pas
ainsi.
LVC: Il n'y aurait pas ce même
attrait en tout cas pour les uns et ce même souvenir pour les
autres.
Ph. N.: Voilà... ! La majorité
des algériens se souviennent, contrairement à ceux qui
ont aidé le FLN et veulent faire croire aujourd'hui que les camps
de regroupement qui ont abrité les populations des exactions
des rebelles, étaient, comme des camps de concentration, sous
1' autorité d'une SAS. Ils s'y faisaient soigner,
on accouchait les femmes, on soignait les enfants du trachome et autres
maladies et on enseignait à l'école. Les gens de notre
génération parlent tous un français parfait. Vous
me posez la question de savoir si 1' Armée était présente.
A Oran, j'ai déjeuné à une table où il y
avait mon compatriote Claude Poli, avec un sénateur d'Oran et
le président des A.C. de la wilaya d'Oran.:
M. le président, vous avez servi dans
l'ALN ? - Oui, j'étais dans la région de Saïda, je
n'ai pas expliqué que j'étais militaire... mais je me
souviens bien de l'AlgérieY a-t-il toujours autant de
gibier, de perdreaux rouges ? Moi je chassais dans cette région.Vous
venez à la chasse quand vous voulez, il y en a en pagaille. Je
n'ai pas dit non plus à mon interlocuteur de gauche que je baroudais
dans le djebel: vous savez M. le sénateur, mon père
a été victime du terrorisme. Il a été
ensuite d'une gentillesse extrême à mon endroit. Il faut
dire et répéter que quelques dévoyés, en
France, politiquement toujours situés à gauche, dénigrent
cette Armée qui a fait un boulot extraordinaire sur le plan humain
et qui s'est battue. Nous avons obtenu une victoire militaire sur l'A.L.N.
puisque, à la fin, il ne restait plus que 3000 combattants de
l'ALN de la frontière ouest à la frontière est
et 6 à 7 mille supplétifs. Ils avaient perdu la guerre
militairement.
LVC: Ils l'ont gagné
politiquement et ...
Ph. N.: Oui, tout à
fait. Ils ne l'ont gagnée politiquement. Je crois qu'il faut
que des gens comme ceux qui composent cette grande association d'Anciens
Combattants qu'est l'U.N.C, le sachent. Ils ont fait la Guerre d'Algérie,
comme on le leur demandait, pendant 24, 28 voire 30 mois; ils l'ont
bien faite et n'ont pas à rougir de leur action comme
les Français d'Algérie qui y sont allés, pour diverses
raisons, souvent appelés par l'État n'ont pas à
se reprocher la civilisation apportée, les constructions mises
en place avec les populations locales. Qu'auraient pu faire les
européens sans les musulmans ? Les européens se sont spécialisés
dans l'agriculture, performante, sur des terres souvent incultes et
certains musulmans les ont suivis dans cette voie. Mais, le musulman
est beaucoup plus berger qu'agriculteur. Ils ont donc développé
l'élevage de moutons, etc.. à l'aide de la France, notamment
dans la zone pré-saharienne. Les éoliennes abreuvaient
les troupeaux. Les rebelles se sont empressés de les faire
sauter, évidemment: toujours les mêmes réflexes
stupides du terrorisme. La France dans ses diverses actions n'a pas
à rougir et, compte tenu de l'évolution de la population
algérienne où il n'y a que 30 % d'anciens, nous
allons devoir adapter notre politique à ce pays, à sa
population. Je souscris tout à fait à ce qu'a dit Jacques
Chirac qui, je dois le reconnaître, m'a surpris. Il a pris la
dimension en tant qu'homme d'état assez exceptionnelle. Sans
jouer à De Gaulle, dans son style à lui: on est fier d'être
français, c'est bon d'être français. Je n'imagine
pas ce qu'aurait pu être le voyage de Lionel Jospin...
LVC: Jacques Chirac a combattu
en Algérie
Ph. N.: Oui, bien sûr,
Jacques Chirac était du côté de la frontière
marocaine. Il a été, je crois, un remarquable officier:
il a eu une ou deux citations au feu. Il était comme nous (ndlr:
il s'agit de Philippe Nouvion et Hugues Dalleau) chef de section,
c'est-à-dire avec une trentaine d'hommes sous ses ordres et,
comme la grande majorité d'entre nous, il été un
officier qui n'a pas admis que ses hommes, jouent les dominants ou
se conduisent mal. Je ne l'admettais pas, moi-même. J'avais
prévenu mes hommes: si l'un d'entre avait profité de son
arme ou de sa force, c'est lui qui aurait pris mon poing dans la
gueule Dans notre commando de chasse, nous avions des harkis
et des appelés du contingent musulmans. Alors, imaginez le jugement
qu'auraient pu porter sur nous, officiers, ces garçons si nous
nous étions conduits comme des crapules. Le rôle d'un bon
officier est d'éviter que des prédateurs sévissent.
Beaucoup de camarades vous le diront: bonne troupe, bons officiers,
mauvaise troupe, mauvais officiers . au-delà du problème
de religion, de moralité.
LVC:
Nous avons parlé des harkis et vous confirmez ce qui a été
annoncé, officiellement puisqu'en public, par le président
de la République: la libre circulation va se mettre en place
très rapidement. Avez-vous l'impression -c'est un axe de travail
que reprend Hamlaoui Mekachera- que des opérations de mémoire
partagée pourraient, également, être activée
avec le gouvernement algérien actuel '' Maintenant ? Est-ce encore
trop tôt ?
Ph. N.: Au cours de ce repas, à
Oran, dont je vous parlais, je l'ai évoqué avec le président
des A.C. d'Oranie: M. le président, nous nous sommes affrontés.
Maintenant, le passé est le passé. Seulement, je crois
que l'Algérie doit défendre la mémoire de ses A.
C. pour ceux de 54/62 bien sûr mais aussi, ceux de 39/45 et ceux
de 14/18. N'oubliez pas ce qu'a été l'Armée d'Afrique:
180 000 musulmans, des soldats extraordinaires, ils sont montés
à Monte Cassino, ils ont été au repère d'Hitler
au fin fond de l'Allemagne ainsi que 180.000 européens, tout
cela vous ne devez pas le laisser tomber. Et, en 14/18, la division
Mangin, le fort de Douaumont, c'est vous, c'est nous, les zouaves, des
tirailleurs. Un régiment de spahis qui part sabre au clair contre
une division allemande dans le Nord de la France, en 1939, c'est vous;
il ne faut pas l 'oublier. il faut rendre vos enfants fiers de ces faits
d'arme même si c'était avec la France. Vous savez bien
que vous ne serviez pas de chair à canon puisqu'il y avait
18 % d'européens et 1,5 % de musulmans (voir les chiffres ci-dessus)
justement pour que l'on ne puisse pas accuser la France de faire massacrer
les populations indigènes, qu'elles soient noires ou autre. Je
crois que là je le crois très fermement et je suis prêt
à m'y dévouer avec Hamlaoui, pour lequel j'ai beaucoup
de respect- nous devons nous mobiliser comme nous le ferons avec les
marocains ou avec les Tunisiens pour entraîner les Algériens
à cette mémoire partagée de ce passé
indiscutablement commun, que l'on ne doit pas laisser entre les mains
de désinformateurs.
LVC: Vous pensez que ces actions-là
peuvent démarrer dès maintenant ?
Ph. N.: Il y a une chose qui m'a frappé:
au dîner d'état, il n'y avait pas un seul officier supérieur
de l'Armée algérienne. Je n'en ai vu qu'un seul, à
Oran. Un. Pas deux, un. A Alger durant toutes les manifestations
officielles, nous avons croisé la Gendarmerie algérienne,
l'Armée et la Police. Que cela signifie-t-il ? Je n'en sais rien.
Cela reste une interrogation. Cette interrogation est peut-être
aussi un peu politique: le président Bouteflika est-il
complètement libre de ses actions ? Qu'elle a été
-sous-jacente- la position de l'Armée dans le cadre de ce voyage
d 'état ? Je n'aurai pas la prétention d'analyser
quoi que ce soit, c'est un constat. L'Armée était absente.
Pas absente dans son maintien de l'ordre, dans la sécurité
qu'elle nous a assurée d'une manière tout à fait
impeccable, mais je trouve cela curieux. En France, avec une visite
d'état vous voyez toujours 4, 5, 6 généraux en
grande tenue. Là, pas.
LVC: Pour rester à peu
près sur le même sujet, est-ce que vous pensez que la déscristallisation
que met en uvre le gouvernement actuel et le ministre des
ACVG, est bien ressentie par les algériens ? On nous a dit que
Mme Alliot-Marie au cours d'une visite en Tunisie aurait annoncé
quelque chose comme 170 % d'augmentation de toutes les pensions PMI
et autres retraites du combattant, si c'est la même chose en Algérie...
(M.
Mekachera voulait cependant faire regarder les dossiers attentivement
pour qu'il n'y ait pas trop de différences avec les A.C. de l'ALN
justement) est-ce que vous pensez que la décristallisation
est quelque chose qui peut aussi encourager le peuple algérien
à "collaborer" avec la nation française
?
Ph. N.: En dehors d'une nomenklatura
très riche qui a un pouvoir considérable, le peuple
algérien est pauvre. En Algérie, 50 % de plus c'est la
possibilité de s'acheter de la viande un peu plus souvent...
Je suis tout à fait Hamlaoui dans son raisonnement. Ce que vous
appelez une certaine délicatesse dans son étude,
c'est que les anciens de l'ALN ne doivent pas se retrouver comme des
cons avec des retraites minables !... en comparaison. Je laisse
aux hommes politiques le soin de régler ce problème délicat
mais les A.C. algériens qui se sont battus pour la France -pas
forcément lors de la guerre d'indépendance- ceux
de 39/45 aussi -ils ne sont plus très nombreux- apprécieront
d'avoir une retraite améliorée.
LVC: Avant de revenir sur deux
ou trois points, je voudrais que vous me parliez des informations que
vous avez pu glaner sur le pétrole et le gaz algériens
puisque manifestement, ils ne sont pas exploités autant qu'ils
pourraient l'être. Ce sont de mauvais commerçants, de mauvais
exploitants ?
Ph. N.: Non je ne crois pas. D'abord,
il faut rappeler à vos lecteurs que le pétrole en Algérie
a été découvert par un ingénieur français,
Conrad Kilian bien avant la Deuxième Guerre mondiale.
Il avait aussi découvert un gisements en Libye et au Sahara et
que ce pauvre Conrad Kilian tirait le diable par la queue
malgré ses découvertes. Il a alerté le général
De Gaulle en 46: vous devriez faire attention dans les accords que
vous risquez de prendre, mon général, notamment dans le
sud-libyen, il y a des réserves considérable de gaz et
de pétrole mais il y en a aussi en Algérie. Il a été
assassiné. Par qui ? Par les services secrets britanniques. Ce
n'est pas innocent. Il est certain que les anglo-saxons ont tout fait,
dès qu'ils ont su qu'il y avait du pétrole au Sahara pour
adapter leur politique à la découverte de ces gisements.
Le Consul américain à Alger, M. Murphy, appartenait à
la CIA; ion a même fait courir le bruit, à l'époque,
que Jacques Chevalier, ensuite secrétaire d'Etat à la
Défense puis maire d'Alger, était aussi de la CIA.
Il faut remettre toutes ces choses dans leur contexte. Les anglo-saxons
dès qu'ils ont su qu'il y avait du pétrole au Sahara...
avant même que les premiers gisements soient forés, en
52-53, par la Cie Schlumberger dont le siège était aux
USA, à Houston (Texas) alors que les Schlumberger sont d'origine
alsacienne...; ce sont eux qui ont véritablement fait couler
le pétrole au Sahara. A l'époque, des Stés
françaises ont commencé à exploiter ce pétrole
et ce notamment à Hassi Messaoud et à Hassi Rmel...Petit
à petit, pour des raisons politiques, pour des raisons de manque
de courage des Stés françaises, je n'accuse personne c'est
juste un constat de citoyen, ont été doublées,
évidemment, comme d'habitude, par les américains,
les italiens, un peu par tout le monde d'ailleurs. J'en parlais, pendant
ce voyage, avec M. Desmaret, patron de Total. Ils viennent de
souscrire un périmètre important pour forages, dans la
région de Timimoun. Il recherche du gaz et du pétrole
j'espère que la France reprendra sa place sur le marché
algérien pour leur exploitation. Maintenant, les Américains,
sur ce point-là, ne feront pas de cadeau. Je crois que l'Algérie
fait partie des marchés complémentaires. les grands producteurs
sont l'Arabie Saoudite, ce sont l'Irak, le Vénézuela,
la mer du nord ... L'Algérie est juste derrière.
LVC: Parce que non suffisamment
exploitée
Ph. N.: Non, je crois simplement
que toutes ces grandes Cies et ces états gardent des noisettes
pour l'hiver. S'il y a surproduction de pétrole, le baril ne
vaudra plus que quelques dollars. Les pays -Algérie comprise-
n'auront plus de quoi assurer leur développement C'est donc un
problème de gestion économique des réserves pétrolières
mondiales. En même temps, la France ne peut pas annuler les contrats
qu'elle a passés sur le gaz, par ex. que, pour des raisons diplomatiques,
nous avons surpayé de 25 à 30 %. S'il y a de nouvelles
découvertes par Total en Algérie, je pense qu'elles
viendront vers la France. Le pétrole algérien est d'autant
plus intéressant qu'il a la réputation d'être un
pétrole léger qui nécessite peu de raffinage.
Le problème, c'est que l'Algérie actuellement a des réserves
de 27 ou 29 millions de dollar en caisses grâce au pétrole:
ils ne savent pas quoi en foutre. Il faut des plans de développements.
LVC: Tous leurs intellectuels
ont pourtant fait leurs études en France ...
Ph. N.: Je suis d'accord, mais le
problème est structurel: les structures administratives que les
communistes ont installées, à l'époque de Boumédienne,
sont encore en place
LVC: Ils sont toujours là
ces gens-là ?
Ph. N.: C'est ce que l'on appelle
la nomenklatura: ils ne sont plus du tout communistes mais certains
se servent de ce système administratif pour bloquer. Actuellement
si beaucoup d'entreprises françaises ne vont pas s'installer
en Algérie, c'est à cause des tracasseries administratives.
Je vais vous citer un ex.: après l'indépendance toutes
les terres ont été nationalisées. Si actuellement,
on veut racheter 300, 200 ou 150 h de terre en Algérie, c'est
un parcours du combattant: s'ils ne veulent pas vendre leur terre,
qu'ils les gardent !
Mais tout est problème, vous voulez ouvrir
une banque, c'est problème. Ce sont des raisons politiques et
structurelles -de l'argent, ils en ont- à cause desquelles l'Algérie
a loupé un peu son développement. Il y a du fric et
c'est donc à eux d'alléger leurs structures administratives
et de faire en sorte que les sociétés qui veulent s'implanter
en Algérie, pour faire du business, puissent le faire. Sur le
plan économique, nous avons reconquis beaucoup de marchés
en Algérie depuis deux ans, la France est son premier fournisseur
à l'heure actuelle. Tous marchés confondus. C'est un point
important. Un diplomate m'a dit, dans l'avion, pourvu que l'appareil
ne se casse pas la gueule, il y a la moitié du CAC 40 parmi les
invités économiques du Président. Ces
personnalités du monde des affaires: le PDG d'un groupe de travaux
publics, celui d'une très grosse coopérative spécialisée
dans le traitement des oléagineux, celui d'une entreprise spécialisée
dans la fabrication de machines à calibrer les fruits, à
les laver, ensacher, etc... ne sont pas allés en Algérie,
pour faire du tourisme ! Le marché potentiel existe bien mais
il faut que l'Algérie remette ses terres en valeur, qu'ils replantent,
seulement... pour un arbre fruitier, il faut attendre 6, 7, 8 ans !
LVC: Sent-on cette volonté
de replanter ?
Ph N.: Je n'ai pas eu l'occasion de
discuter avec des responsables Algériens de leurs projets, je
ne peux donc pas vous répondre, je ne le sais pas. L'Algérie
est importatrice de blé dur, de céréales
en général et de produits laitiers. Il y a des milliers
d'hectares mais l'Algérie n'a pas les rendements de la Beauce,
ce ne sont pas 110, 120 quintaux-hectares; 10, 15, 20 quintaux-hectares,
sont un grand maximum. C'est aussi un problème d'équipement
agricole: tracteurs, charrues, outils aratoires, moissonneuses-batteuses,
etc... d'appareils de pulvérisation pour l'arboriculture. Il
faut pouvoir les acheter !
LVC: Voire de formation ?
Ph. N. Oui, tout commence par la formation.
LVC: Le taux d'illétrisme est-il
important ?
Ph N.: Je ne peux pas vous répondre.
Je n'ai pas l'impression, ils parlent tous le français; vous
devez en avoir un certain pourcentage qui, s'ils ne sont pas illettrés,
sont très primaires, surtout dans les campagnes.
LVC: Nous avons parlé
tout à l'heure du pétrole, des USA par rapport au pétrole
algérien, avez-vous une idée de ce que l'on pense au sein
du gouvernement algérien du problème de l'Irak et d'une
intervention armée contre Saddam Hussein.
Ph. N.: Je peux vous dire que
les discours politiques prononcés par le président de
la République française, ont toujours fait un tabac
que ce soit à l'Assemblée ou au Sénat algériens
par sa position au sujet de l'Irak. L'université d'Oran l'a fait
Docteur Honoris Causa. C'était le premier. Par ailleurs,
le président Bouteflika, fait campagne pour que Jacques Chirac
reçoive le prix Nobel de la Paix.
LVC: Ah oui ? C'est fabuleux
!...
Ph. N.: Oui, auprès
des pays du tiers monde. Donc je crois que la position qu'a prise
le président de la République est hautement apprécié
par les pays arabes.
LVC: Dans leur ensemble ?
Ph. N.: Dans leur ensemble.
LVC: Dont l'Algérie
ne se désolidarise pas ?
Ph. N.: Non, I'Algérie
est totalement solidaire et n'oublions pas que Bouteflika, I'actuel
chef de l'état, dans sa période de traversée
du désert, a entretenu des contacts diplomatiques multiples
et variés avec les pays Arabes. I1 en vivait même, touchant
des honoraires pour ses conseils; nous n'avons pas d'inquiétude
à avoir de ce côté-là, au contraire.
LVC: Quelques petites questions
plus rapides sur des faits précis si tant est que, pendant le
court voyage -intense mais court- vous ayez pu soit en entendre parler
soit les entendre évoquer: autrefois, à l'ambassade de
France à Alger. existait un service d'appareillage pour les AC
handicapés. Ce service a été fermé pour
des raisons politico-techniques et l'on parle maintenant de rétablissement
?
Ph N.: En effet, vous aviez un service
excessivement compétent, très apprécié des
A.C qui avaient à s'y faire traiter. Il était installé
à Bab el Oued. Il a été fermé pour raisons
de sécurité, il y a quelques années. Ce que je
peux vous dire et je le tiens de Hamlaoui Mekachera c'est que tout le
matériel a été conservé dans un état
parfait. Toujours pour des problèmes de sécurité,
la France relancerait ce service au sein de l'ambassade. L'ambassade
de France, à Alger, est installée à Hydra dans
un très grand parc, avec de grands bâtiments; ils y ont
la place nécessaire, mieux. protégé. Comme je le
disais à Hamlaoui, si tu amènes
la décristallisation à l'Algérie et la réouverture
de ce service d'appareillage, tu fais un tabac.
LVC: Bien sûr. Mais cela
vise toujours les même. Un peu ceux de la guerre d'Algérie
et beaucoup ceux de la Deuxième Guerre mondiale, je suppose.
Ph. N.: Oui vous avez des garçons
qui ont été blessés, au cours de la 2e GM, mais
ce ne son plus, eux non plus, des poulets de grains de I'année.
Il y a également les blessés graves de la Guerre d'Algérie
mais je suis sûr que, par 1a suite, des moudjahidines solliciteront
ces réparations.
LVC: Il est question également
de la remise en fonction des ONAC locales mais qui -même chose-
dépendraient de l'ambassade de Fran comme cela se fait,
je crois, déjà, au Maroc.
Ph. N.: Il y a une autre chose positive,
la France a rouvert son consulat à Bône. Elle doit rouvrir
le consulat de France à Oran en 2004 Si la France rouvre ces
lieux aux A.C., ce sera bien.
LVC: Dans les toutes dernières
questions, M. Nouvion, vous pouvez me dire si l'année 2003,
année de l'Algérie en France est connue. Cela se sait-il
en Algérie ou est-ce limité à une association culturelle
qui, je crois, s'appelle Abdel Kader. Qu'en dit-on là-bas
?
Ph N.: J'ai rencontré le président
de l'association de l'Emir Abdel Kader, il a fait l'école des
enfants de troupes de Coléa et de Miliana, il ne
m'a pas parlé de l'année de l'Algérie en France.
Le peuple, il préfère que l'on lui parle de visa,
voire du concert de Cheb Mami, à Oran, etc, plutôt que
l'on vienne lui parler d'une exposition à Briançon ou
à Besançon... Le président de la République,
dans ses discours, valorise cette initiative mais je crois que, I'on
verra au fur et à mesure qu'en s'éloignant du voyage présidentiel,
on n'en parlera de moins en moins.
Dans l'avion, il y avait aussi un diplomate, patron
de l'Institut du Monde Arabe. Je lui ai dit que l'on parle beaucoup
de l'exposition des chevaux arabes et de leurs harnachements que l'Institut
expose avec des peintres comme Delacroix, Chasseriau, Fromentin, etc...
Cela intéresse des gens mais ce n'est pas dans le cadre de l
'année de Algérie-France !
LVC: Par qui et pourquoi le choix
s'est-il porté sur l'année 2003 ?
Ph. N.: Cela a été
décidé par M. Jospin quand M. Bouteflika est venu en France
en 2000 (initialement l'année 2002 avait été retenue).
C'est politique; il y a des élections en Algérie, en 2004.
La préparation est totalement bidon parce que nous avons
privilégié des expositions dans des villes mais quand
on parle de l'architecture je vous l'ai dit auparavant -M. Pouillon
est la référence !... Je l'ai bien connu, il avait deux
filles ravissantes. Il recevait dans sa maison, à Alger, avec
des chemises à jabots, on aurait dit Louis XIV. Je l'ai répété
à M. Bourges: il y en a eu bien d'autres des grands architectes
en Algérie... A Oran, dans toutes les grandes villes, des immeubles
haussmanniens, on ne le dit pas. Si c'est comme cela qu'ils ont
réécrit l'histoire de l'Algérie, je ne suis absolument
pas d'accord. Entre les mains de dogmatiques du côté algérien,
Bourges qui a choisi aussi ses copains comme il a choisi Mme Allère,
comme adjointe -il est allé la chercher à la retraite
tout cela est cousu de fil blanc mais ne reflète pas la
réalité historique entre l'Algérie et la France.
Ça passera, on essaiera de gérer, jusqu'à la fin
de l'année.
LVC: Vous parliez tout à l'heure
de l'absence remarquable de militaires de haut rang algériens,
y avait-il des militaires français, invités par le chef
de l'État dans ce voyage ?
Ph. N.: Non.
LVC: C'est alors bien la volonté
précise de la France ne pas mettre l'accent sur ce qui fâche
?...
Ph. N. Oui, je crois: de ne pas jeter
de l'huile sur le feu. La seule personne un peu victime de ce
voyage, c'est mon ami Hamlaoui Mekachera, décrit comme un chef
harki par la presse algérienne alors qu'il ne l'a jamais été
... Très intelligemment Hamlaoui m'a dit ce matin, si je dois
servir d'abcès de fixation, tant mieux, comme ça on ne
rentre pas dans le détail, on ne parle pas du reste. Et je
trouve cette position très digne de sa part mais, il m'a avoué
que pour lui non plus ce voyage n'avait pas été très
facile!...(1)
LVC: J'imagine et d'autant
plus, comme vous nous l'avez dit au début de notre entretien
il n'a pas été tellement question d'A.C. puisque l'on
a voulu mettre un voile pudique sur la période de la guerre.
Ph. N.: Oui, les sujets seront
réglés diplomatiquement plutôt qu'au niveau spécifique
des A.C. Comme disait Mitterrand, il faut donner le temps au temps.
LVC: Y a-t-il une question que vous
auriez aimé que je vous pose et que je n' ai pas posée
? Ou un point sur lequel vous voudriez revenir ?
Ph. N.: Non, vous m'avez. .
. Si, la seule question qui se pose et que se posent beaucoup de métropolitains:
pourquoi des Français d'Algérie, comme moi, sont encore
amoureux de ce pays. Je leur réponds que l'Algérie est
un pays splendide et que je continue à aimer l'Algérie
parce que j'étais très amoureux d'elle Tout le monde sait
et tout le monde comprendra que quand on est très amoureux d'une
femme -même si votre vie change- on conserve cette femme quelque
part au fond de son coeur. Alors c'est cela, I'Algérie est ma
maîtresse, ce qui ne me crée aucun souci avec mon épouse.
Je suis convaincu que les garçon qui n'étaient pas Français
d'Algérie qui sont seulement venus se battre en Algérie,
n'ont pas pu oublier non plus le ciel d'Algérie, le senteurs,
etc...
LVC: C'était leur vingt
ans aussi.
Ph. N.: Oui, bien sûr nous avions
vingt ans Moi, quand je suis en Algérie je retrouve le paysages
que j'ai connus à l'âge de 20 ans. A partir du moment où
l'on a quelque sensibilité je crois que l'on n'oublie pas: quand
je me couchais le soir, je voyais le coucher de soleil, ce n'est pas
nostalgique... Sans l'envie de revenir, nous appartenons à cette
catégorie de gens qui ont fait l'Algérie dont je n'ai
pas à rougir: colonialiste ou non. Nous avons donne le
meilleur de nous-mêmes à ce pays, comme beaucoup de jeunes
français ont donné le meilleur d'eux-mêmes quand
ils ont été mobilisés alors qu'ils ne demandaient
rien à personne. Que ces hommes n'oublient pas non plus que,
en 44, de jeunes garçons, comme eux, moins nombreux -la population
algérienne était plus faible à l'époque-
on débarqué en Provence ou ailleurs pour libérer.
la France et qu'ils sont venus se battre. 40 000 sont tombés,
les pertes de l'Armée d'Afrique ont été considérables:
20 000 européens 20 000 musulmans sur un effectif de 380 000
combattants. Fin 1964, nous n'étions pas à ces sommets-là,
grâce à Dieu. Mais, ceux qui sont tombés sont toujours
trop nombreux.
LVC: Je vous remercie beaucoup
Philippe Nouvion pour cet entretien.
(propos recueillis le 5 mars 2003)
Mary-Ange NIEDERI-BRISSAU
(1) NDLR: les prédateurs habituels
ont prétendu que M. Bouteflika n'avait pas salué Hamlaoui
Mekachera aux dires du Ministre: non seulement il m'a salué
mais il m'a embrassé; le photographe n'a pris que la chaleureuse
poignée de mains, avant l'accolade.
(2) Note
de RP. Devant cette entrée, était un bistrot dont la "devise
philosophique" se lisait au dessus du comptoir:
"Quoi
qu'on dise, quoi qu'on fasse
On est
mieux ici qu'en face"
Méditerranément parlant ce n'est manifestement plus vrai
aujourd'hui.

Crée le 5/4/2003 par RP
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