Interview de Philippe Nouvion

(La Voix du Combattant, avril 2003)

 

Philippe Nouvion, ami et adhérent de l 'U.N.C, ami personnel de Hugues Dalleau depuis les commandos de chasse -ensemble- en Algérie, Français d 'Algérie depuis plusieurs générations, Secrétaire général du RECOURS (Association de défense des droits des rapatriés) s'occupant également beaucoup des harkis, a accompagné le président de la République française, Jacques CHIRAC, à son invitation, pendant la visite d 'État qu'il a effectuée en Algérie du 2 au 5 mars 2003. Dès sa descente d'avion, nous lui avons demandé ses impressions comme les informations qu'il pouvait nous communiquer sur I 'ensemble du voyage et les problèmes spécifiques aux Anciens Combattants d'AFN.

LA VOIX: Bonjour Philippe Nouvion et merci d'accueillir LA VOIX DU COMBATTANT pour cette interview. Vous étiez parmi les personnalités accompagnant Jacques Chirac en Algérie pour une visite d'État. Le Président avait déjà fait un voyage éclair au moment d'un tremblement de terre. Alors que du 2 au 5 mars dernier, il s'agit bien d'une visite d 'État.

En tout premier lieu, parce que vous êtes né en Algérie, que vous l'avez quittée, pour rapatriement, à l'âge de 27 ans, je voudrais connaître vos impressions personnelles sur ce retour aux sources.

Philippe NOUVION: Depuis le colonel Nasser, I'Algérie n'avait pas fait un accueil semblable à un chef d'état. C'est ce que m'ont dit les algériens. Il est certain que, au-delà du président de la République Française, Jacques Chirac, c'est la France qui a reçu un accueil tout à fait surprenant de la part de ce pays qui attend sans doute beaucoup de la France. Cet enthousiasme populaire ne peut pas s'expliquer que par cela.

Il est assez surprenant lorsque vous revenez en Algérie, que vous êtes un français d'Algérie, d'entendre sur le tarmac de l'aéroport, la MARSEILLAISE jouée par une musique militaire algérienne, sous un ciel bleu extraordinaire, des drapeaux bleu-blanc-rouge partout avec, dans le fond, l'Atlas tel que je l'ai laissé il y a quarante ans. Pour moi, c'était un spectacle merveilleux et, bien sûr, émouvant, j'ai pensé à mon père.

D'autant plus que mon père a été assassiné au bout de la piste de l'aéroport, à Maison Blanche, à 5-6 km... Mais, pour moi, c'était, tout de même et malgré les souffrances que ma famille a endurées un spectacle merveilleux... Alger qui compte aujourd'hui 3 millions d'habitants, s'est terriblement agrandie. Notre ancienne ferme est maintenant en zone pré-urbaine. J'ai pu la voir de loin je n'ai pas eu le courage d'y aller- des habitations, des immeubles, des locaux industriels se construisent sur les anciennes plantations de pommiers, de poiriers, de vigne et d'agrumes autour de la ville elle-même.

LVC: Pour quelle raison votre père a-t-il été assassiné ?

Ph. N.: Mon père a été assassiné pour deux raisons majeures. Il était très connu en Algérie. Nous faisions partie des vieilles familles françaises d'Algérie. Dans son activité professionnelle, il avait des représentations syndicales, sur le plan agricole, il était en contact avec les plus hautes autorités. Toute ma jeunesse a été marquée par des réceptions: pique-niques champêtres. Les gouverneurs adoraient venir, pour se changer du décorum du Palais d'été ou du Gouvernement général en Algérie. Pour eux, mon père était un peu un repère d'humanisme c'est-à-dire de ces hommes qui avaient fait l'Algérie non pas en vilains colons comme on les décrit trop souvent mais comme des hommes qui considéraient que leur présence en Algérie -en dehors de faire du business- était une mission humanitaire.

L'autre raison, lors des vendanges d'août 1960, un jeune aspirant de l'Armée française, officier de renseignement, a commis l'erreur majeure de demander à mon père -il se trouvait sur la cuvée de fermentation de la cave- s'il connaissait Mohamed ben Mohamed. Par pur réflexe, mon père a répondu qu'il était au rez-de-chaussée. Cet employé fut arrêté en présence du personnel, devant mon père ! Erreur à ne pas commettre. . . Vengeance ?

Arrivée émouvante ! ...

Nous avons quitté l'aéroport après l'atterrissage du président de la République. Il a fait la tournée de tous les invités, en rang d'oignon, avec Abdelaziz BOUTEFLIKA, président de la République Algérienne démocratique et populaire et nous sommes partis à l'hôtel -le Sheraton, situé de l'autre côté d'Alger- à Staoueli dans un endroit qui s'appelait et s'appelle encore le Club des Pins. C'est une résidence où se retrouve toute la nomenklatura algérienne. Le Sheraton est tout à fait classique, le personnel est algérien et j'ai découvert que les filles sont ravissantes qu'elles soient femme de ménage, à la réception ou en cuisine. Les visites présidentielles sont absolument épuisantes: on n'arrête pas de bouger ou d 'attendre. . .

Nous sommes donc très vite repartis pour Blida. Dans la délégation se trouvait également le président de la Mission inter-ministérielle aux Rapatriés, Marc Dubourdieu, mon ami Claude Poli, représentant une organisation autre de la nôtre s'occupant de rapatriés, moi-même, secrétaire général du Recours, accompagnés de Mme Terranova, conseillère du Président, à l'Élysée. Nous avons été reçus par le maire de la ville, avant d'aller visiter le cimetière européen de Blida

LVC: Les Algériens restaurent tous les cimetières européens, je crois ?

Ph. N. Celui-là était pratiquement terminé. A la suite de cette visite, nous avons eu des cadeaux, des discours du maire. Moi, je leur ai raconté des anecdotes de ma jeunesse -mon père avait une ferme pas très loin de Blida- Nous avons rencontré le préfet de la wilaya de Blida, le wali, parlant un français remarquable. Tout le monde s'exprime en très bon français. Pour moi Français, ancien d'Algérie, l'accueil était très chaleureux.
Le soir même, en rentrant, nous avons eu les premiers communiqués de l'AFP, les gens étaient ravis. J'ai pris brièvement la parole, pour citer un adage arabe que tout le monde comprend le fet met: le passé est mort.
Nos interlocuteurs ont beaucoup apprécié car ils savent -tout se sait- ils connaissent mon cursus, ils savent ce que ma famille a subi. La dernière fois que j'ai mis les pieds au Palais d'Été, c'était après l'assassinat de mon père. Le gouverneur général de l'époque m'avait reçu pour me dire: Philippe Nouvion, je voulais vous voir pour vous dire que votre père n'est pas mort pour rien. On ne peut pas dire qu'il lisait dans le marc de café ! Pour moi, tous ces lieux sont chargés d'émotion. Nous avons dîné au Palais d'Été, ancienne résidence des gouverneurs généraux français et, maintenant, palais présidentiel que j'ai retrouvé dans tous ses atours. En attendant les deux Présidents, nous avons pris l'apéritif dehors dans un jardin merveilleux avec des éclairages superbes, des spahis en burnous sabre au clair. Tout cela a beaucoup d'allure. J'ai repéré Jean-Pierre Elkabach et je suis allé le saluer: je suis d'Alger et je viens saluer un Oranais; cela aurait dû être le contraire puisque nous sommes une capitale intellectuelle. Il s'est mis à rire, je vais vous tutoyer et je vais vous appeler par votre prénom, vous, faites de même ! A ce moment-là, il m'a demandé qu'est-ce qu'un type comme vous vient foutre en Algérie - Tout aussi surprenant que cela puisse paraître à un homme qui se dit de gauche, j'ai le droit d'être en Algérie au même titre que vous et j'en ai beaucoup plus de droit que votre ami Hervé Bourges - C'est exact, je n'ai pas salué M. Bourges, je lui ai dit ce que j'avais à lui dire... il m'a promis -mais tient-il ses promesses ?- de se revoir en France pour que nous parlions de ce problème sur le fond.

L' interview a été diffusée le lendemain matin, A partir de ce moment-là Hervé Bourges -qui ne savait pas trop sur quel pied danser- m'a carrément fait la gueule. L'interview ne lui a pas plu, surtout diffusée immédiatement. Cet homme n'est bien que dans le clair obscur. Donc voilà pour l'affaire Bourges.

Ph. N.: J'ai écrit une lettre au service des lecteurs du Figaro à la suite de l'article de Bourges. Ils n'ont pas publié ma lettre.

LVC: A propos des A.C., avant que l'on revienne à votre parcours là-bas, il semble que le voyage ait été bien davantage placé sous l'angle des harkis et des rapatriés que sous celui des Anciens Combattants d'AFN

Ph. N.: Je crois que votre analyse n'est pas fausse. Je n'ai pas perçu cela d'une manière très déclarée parce que c'était un voyage d 'ordre général . La France et l'Algérie remettait les choses à plat. Il est certain que les uns et les autres n'avaient pas à évoquer la Guerre d'Algérie. Le problème des harkis a été étudié en tête à tête entre Jacques Chirac qui a pris personnellement ce dossier en mains avec M. Bouteflika. Dans son discours, à l'ambassade de France, M. Chirac a été parfaitement clair. Le problème des harkis est réglé. Au-delà des gesticulations médiatiques, à l'exception de quelques hommes qui sont montrés du doigt par les algériens comme ayant pratiqué des crimes de sang, je ne sais pas combien ils sont: 100, 150, 200 ? les harkis et les fils de harkis pourront aller et venir.

LVC: Vous en êtes certain?

Ph. N. C'est ce que le président de la République a déclaré, moi je ne peux pas confirmer à sa place... Quant à mon opinion, je pense que nous aurons encore quelques incidents qu'il faudra régler un à un c'est-à-dire diplomatiquement. Je ne vois pas aujourd'hui d'anciens harkis retournant dans leur village où ils se sont comportés normalement, comme des soldats français, être égorgés ou assassinés. Je ne le vois pas. Ils se feront simplement arrêter à l'aéroport s'ils sont sur les listes et rapatriés, j'espère. Je pense que l'on ne parlera plus du problème des harkis: il ne sont plus que 6000 aujourd'hui.

LVC: De cent, cela pourrait passer à 1 000 s'il n'y a aucun droit de regard réciproque.

Ph. N.: Le temps a passé, les harkis ont nos âges, nous ne sommes plus des poulets de grain de l'année; comme les anciens témoins de toute cette affaire algérienne, ils vont s'éteindre. L'Algérie actuellement c'est: 70 % de la population de moins de 30 ans et 50 % de moins de 20 ans, alors imaginez ce que représente, pour eux, la Guerre d'Algérie. Cela signifie que seuls 30 % de la population sont adultes. Ceux-là ont 30, 40, 50, 60 ans. C'est sur ce problème que nous devons tous réfléchir. L'Armée, on n'en n'a pas parlé. Après le triomphe que Chirac a fait dans la ville d'Oran, j'ai bavardé avec le recteur et le vice-recteur de l'Université en attendant l'arrivée des présidents. Il y a 40 000 étudiants à l'université d'Oran.

LVC: L'université est-elle bien entretenue ?

Ph. N.: Oui, correctement. A Sidi bel Abbès j'y ai fait mes études d'ingénieur agricole- l'école d'agriculture a été remplacée par une autre université: 14 000 étudiants. Oran-bel Abbès, c'est 50 minutes de route. Sur une étendue peu importante, il y a près de 50 000 étudiants. Je ne vous parle pas de la Fac d'Alger, ni de celle de Tizi Ouzou....

LVC: Alger a beaucoup changé ?

Ph. N. : Tout le décor que la France a planté est intact: le boulevard du front de mer avec ces immeuble à arcades, les rampes qui descendent vers le port... Je faisais remarquer à Bourges, vous parlez de Pouillon, le nom de Chasseriau vous dit-il quelque chose ? Il fut I 'architecte en chef de la ville d 'Alger c 'est lui qui a planté le décor – Oui, on n'a pas eu le temps d'en parler...– Ne dites pas d'anneries, s'il vous plaît, pas à moi. La ville d'Alger n'a pas changé, l'amirauté, I'ancien boulevard princesse Eugénie, implanté aussi par mon aïeul, tout est là..., Alger dans son cirque... Ce qui a bougé, ce sont les hauts d'Alger, la banlieue, pour absorber le surpeuplement de la ville elle-même.

LVC: Vous avez quitté l'Algérie à 27 ans m'avez-vous dit .

Ph. N.: Oui, j'ai quitté l'Algérie, j'avais 27 ans: 1935-1962. A Oran, même phénomène la ville est passée de 200 mille à I million d'habitants. Toutes les villes d'Algérie ont explosé. Pourquoi ? Compte tenu de I'insécurité qui règne dans le pays depuis maintenant plus de 10 ans, beaucoup de paysans ont quitté la campagne pour venir se réfugier en ville: plus sûre.

Le résultat, c'est que la campagne est restée pratiquement intacte comme celle que nous avons laissée, il y a 40 ans. Dans les villages, aussi, il y a beaucoup de nouvelles constructions.

Mon père n'était pas colon au sens. . . Il possédait une ferme de 140 ha; mais il était, ailleurs, directeur général d'une très grosse entreprise agricole dont la majorité des actionnaires se trouvaient d'ailleurs en région parisienne. Il faut remettre les choses à leur place J'ai joué dans ces endroits, enfant... On ne peut pas parler de total délabrement mais d'adaptation des lieux aux besoins du pays

LVC: Cela se réglera, dans l'avenir.

Ph. N.: Le passé est le passé; c'est leur problème, ce n'est pas le nôtre. Nous sommes arrivés à Tipaza et quand je suis rentré dans les ruines, le premier geste que j'ai fait, tant j'étais ému, est de me casser la figure. C'est d'une beauté intense, un temps de rêve avec un ciel bleu comme il n'en existe qu'en Algérie, un petit fond d'air et cette montagne du Chenoua, dans le fond, absolument superbe. Un haut lieu de l'antiquité, un des ports phéniciens de la Méditerranée. A Tipasa il y avait 10 000 hab. sur 45 ha. Vous trouvez des adductions d'eau, des égouts vous avez tout. Les phéniciens avaient 2000 ans d'avance sur nous. Sur le plan de mise en place d'une cité, nous, nous n'avons rien inventé. Les fouilles sont interrompues mais le site est propre: davantage d'herbe, vous creusez, vous trouvez des mosaïques. Il appartiendra à l'État algérien, de le remettre en valeur, j'espère qu'ils le feront lorsqu'ils pourront développer leur industrie touristique Les Algériens doivent, préalablement construire des hôtels: il n'y en a pas. Sur la route pour Tipaza et Oran, il n'y a rien.

LVC : Il faut redonner confiance aux investisseurs qu'ils soient français ou étrangers.

Ph. N.: Mary-Ange, oui, il faut donner, redonner à l'Algérie confiance en elle-même d'abord. Sans confiance, ils ne feront rien. le rêve de cette jeunesse pléthorique que je vous ai décrite, est de venir en France.

LVC: Ils attendent les visas ?

Ph. N.: Oui, les visas !: c'est une forme de boutade. Mais ce ne sont pas des visas qu'il faut leur donner. Avec l'accord de l'État algérien, il faut réorganiser cet État afin qu'il se développe. Actuellement 90 % de ses revenus proviennent du gaz et du pétrole. Ils ne sont plus exportateurs, comme le Maroc, de fruits et légumes, il n'y a pratiquement pas d'artisanat, sauf dans le sud; ils n'ont pas d'industries hôtelière comme en Tunisie, au Maroc; sur des milliers de Km de côte, il n'y a rien. Une côte superbe et brute de décoffrage. L'industrie hôtelière est une industrie de main d'œuvre, du plagiste jusqu'au grand chef de cuisine. Il y a du poisson, du mouton, il y a tout ce qu'il faut.

LVC: Des unités incontrôlées, dit-on, égorgent les gens donc cela ne rassure pas l'américain de base ni le français moyen.

Ph. N.: Oui, mais... Il y a deux raisons majeures: l'insécurité qui règne, sont-ils en train de l'éradiquer ? Le terrorisme reste quand même vivace: trois jours ou quatre avant que nous allions à Oran et à Tipaza, dans un village que je connais bien, Ameur el Aïn, un faux barrage de gendarmerie: douze personnes égorgées. Tant qu'il y aura cela, le pays n'accueillera pas de touristes.

LVC: Les douze personnes, vous pensez que cela aurait pu être des vacanciers, s'il y en avait ?

Ph. N.: ... plus ce terrorisme deviendra aveugle...: Allons-y pour les touristes, cela fera du bruit. Là, il s'agissait de douze algériens qui regagnaient leur maison... Tant que ce terrorisme local sévira, le pays sera privé d'un développement certain. Vous ne pouvez rien faire dans l'insécurité ni cultiver des terres: et si l'on vient mettre le feu à votre tracteur ? Si on égorge les touristes où s'il y a des risques dans ce sens ? Il est urgent que ce pays retrouve la paix civile.

LVC: En plus de cette paix civile qui est un problème inter-algérien; I'islamisme et le radicalisme islamique, cela se sent-t-il en Algérie maintenant ? Plus ou moins qu'avant ? Nous avons assisté à une montée des votes intégristes, au Maroc, à la dernière consultation législative.

Ph. N.: Oui, si vous voulez. J'ai un point de repère. Je suis retourné, en Algérie, pour affaires, en 1985; c'était la première fois. J'ai loué une voiture avec chauffeur et je me suis baladé partout. Sans contrainte, sans rien. Je n'ai pratiquement pas vu de femmes voilées, seulement de veilles femmes qui portent le haik avec le mouchoir devant, oui, ça c'est la tenue traditionnelle. Mais des filles qui se baladent avec le foulard qui leur encadre le visage et leur cache les cheveux, il n'y en avait pas. A l'université d'Oran, il y a quelques jours, dans l'amphithéâtre où étaient réuni les meilleurs élèves de la fac pour accueillir le président de la République française et celui de la République algérienne, vous aviez un tiers des filles qui portait la tenue islamiste. Les autres étaient tout à fait habillées à l'européenne avec des chemisiers ou des trucs collant faisant ressortir leurs seins -splendides d'ailleurs.

LVC: Le plaisir des yeux !

Ph. N.: Tout à fait: le plaisir des yeux ! Toute cette jeunesse, pratiquement parle le français alors que le français a été retiré des écoles, il y a quinze ans, pour que les jeunes n'apprennent que l'arabe. Ils ont appris le français chez eux par les parents, par les copains, par la sœur aînée, le grand frère, etc... Et ils ne l'ont pas lâché. Dans l'avion, j'ai voyagé avec un type très charmant, le chanteur raï Cheb Mami. Il me disait avec son accent qui est encore un peu marqué par l'Algérie: j'ai appris le français, je n'arrête pas d'apprendre le français. C'est une idée fixe. Pour eux, malgré tout, il faut que vous le disiez à mes camarades A C, c'est leur succès. Or, si la France avait eu une Armée aussi dégueulasse qu'on le dit, cela ne se passerait pas ainsi.

LVC: Il n'y aurait pas ce même attrait en tout cas pour les uns et ce même souvenir pour les autres.

Ph. N.: Voilà... ! La majorité des algériens se souviennent, contrairement à ceux qui ont aidé le FLN et veulent faire croire aujourd'hui que les camps de regroupement qui ont abrité les populations des exactions des rebelles, étaient, comme des camps de concentration, sous 1' autorité d'une SAS. Ils s'y faisaient soigner, on accouchait les femmes, on soignait les enfants du trachome et autres maladies et on enseignait à l'école. Les gens de notre génération parlent tous un français parfait. Vous me posez la question de savoir si 1' Armée était présente. A Oran, j'ai déjeuné à une table où il y avait mon compatriote Claude Poli, avec un sénateur d'Oran et le président des A.C. de la wilaya d'Oran.:

M. le président, vous avez servi dans l'ALN ? - Oui, j'étais dans la région de Saïda, je n'ai pas expliqué que j'étais militaire... mais je me souviens bien de l'Algérie–Y a-t-il toujours autant de gibier, de perdreaux rouges ? Moi je chassais dans cette région.–Vous venez à la chasse quand vous voulez, il y en a en pagaille. Je n'ai pas dit non plus à mon interlocuteur de gauche que je baroudais dans le djebel: vous savez M. le sénateur, mon père a été victime du terrorisme. Il a été ensuite d'une gentillesse extrême à mon endroit. Il faut dire et répéter que quelques dévoyés, en France, politiquement toujours situés à gauche, dénigrent cette Armée qui a fait un boulot extraordinaire sur le plan humain et qui s'est battue. Nous avons obtenu une victoire militaire sur l'A.L.N. puisque, à la fin, il ne restait plus que 3000 combattants de l'ALN de la frontière ouest à la frontière est et 6 à 7 mille supplétifs. Ils avaient perdu la guerre militairement.

LVC: Ils l'ont gagné politiquement et ...

Ph. N.: Oui, tout à fait. Ils ne l'ont gagnée politiquement. Je crois qu'il faut que des gens comme ceux qui composent cette grande association d'Anciens Combattants qu'est l'U.N.C, le sachent. Ils ont fait la Guerre d'Algérie, comme on le leur demandait, pendant 24, 28 voire 30 mois; ils l'ont bien faite et n'ont pas à rougir de leur action comme les Français d'Algérie qui y sont allés, pour diverses raisons, souvent appelés par l'État n'ont pas à se reprocher la civilisation apportée, les constructions mises en place avec les populations locales. Qu'auraient pu faire les européens sans les musulmans ? Les européens se sont spécialisés dans l'agriculture, performante, sur des terres souvent incultes et certains musulmans les ont suivis dans cette voie. Mais, le musulman est beaucoup plus berger qu'agriculteur. Ils ont donc développé l'élevage de moutons, etc.. à l'aide de la France, notamment dans la zone pré-saharienne. Les éoliennes abreuvaient les troupeaux. Les rebelles se sont empressés de les faire sauter, évidemment: toujours les mêmes réflexes stupides du terrorisme. La France dans ses diverses actions n'a pas à rougir et, compte tenu de l'évolution de la population algérienne où il n'y a que 30 % d'anciens, nous allons devoir adapter notre politique à ce pays, à sa population. Je souscris tout à fait à ce qu'a dit Jacques Chirac qui, je dois le reconnaître, m'a surpris. Il a pris la dimension en tant qu'homme d'état assez exceptionnelle. Sans jouer à De Gaulle, dans son style à lui: on est fier d'être français, c'est bon d'être français. Je n'imagine pas ce qu'aurait pu être le voyage de Lionel Jospin...

LVC: Jacques Chirac a combattu en Algérie

Ph. N.: Oui, bien sûr, Jacques Chirac était du côté de la frontière marocaine. Il a été, je crois, un remarquable officier: il a eu une ou deux citations au feu. Il était comme nous (ndlr: il s'agit de Philippe Nouvion et Hugues Dalleau) chef de section, c'est-à-dire avec une trentaine d'hommes sous ses ordres et, comme la grande majorité d'entre nous, il été un officier qui n'a pas admis que ses hommes, jouent les dominants ou se conduisent mal. Je ne l'admettais pas, moi-même. J'avais prévenu mes hommes: si l'un d'entre avait profité de son arme ou de sa force, c'est lui qui aurait pris mon poing dans la gueule Dans notre commando de chasse, nous avions des harkis et des appelés du contingent musulmans. Alors, imaginez le jugement qu'auraient pu porter sur nous, officiers, ces garçons si nous nous étions conduits comme des crapules. Le rôle d'un bon officier est d'éviter que des prédateurs sévissent. Beaucoup de camarades vous le diront: bonne troupe, bons officiers, mauvaise troupe, mauvais officiers . au-delà du problème de religion, de moralité.

LVC: Nous avons parlé des harkis et vous confirmez ce qui a été annoncé, officiellement puisqu'en public, par le président de la République: la libre circulation va se mettre en place très rapidement. Avez-vous l'impression -c'est un axe de travail que reprend Hamlaoui Mekachera- que des opérations de mémoire partagée pourraient, également, être activée avec le gouvernement algérien actuel '' Maintenant ? Est-ce encore trop tôt ?

Ph. N.: Au cours de ce repas, à Oran, dont je vous parlais, je l'ai évoqué avec le président des A.C. d'Oranie: M. le président, nous nous sommes affrontés. Maintenant, le passé est le passé. Seulement, je crois que l'Algérie doit défendre la mémoire de ses A. C. pour ceux de 54/62 bien sûr mais aussi, ceux de 39/45 et ceux de 14/18. N'oubliez pas ce qu'a été l'Armée d'Afrique: 180 000 musulmans, des soldats extraordinaires, ils sont montés à Monte Cassino, ils ont été au repère d'Hitler au fin fond de l'Allemagne ainsi que 180.000 européens, tout cela vous ne devez pas le laisser tomber. Et, en 14/18, la division Mangin, le fort de Douaumont, c'est vous, c'est nous, les zouaves, des tirailleurs. Un régiment de spahis qui part sabre au clair contre une division allemande dans le Nord de la France, en 1939, c'est vous; il ne faut pas l 'oublier. il faut rendre vos enfants fiers de ces faits d'arme même si c'était avec la France. Vous savez bien que vous ne serviez pas de chair à canon puisqu'il y avait 18 % d'européens et 1,5 % de musulmans (voir les chiffres ci-dessus) justement pour que l'on ne puisse pas accuser la France de faire massacrer les populations indigènes, qu'elles soient noires ou autre. Je crois que là je le crois très fermement et je suis prêt à m'y dévouer avec Hamlaoui, pour lequel j'ai beaucoup de respect- nous devons nous mobiliser comme nous le ferons avec les marocains ou avec les Tunisiens pour entraîner les Algériens à cette mémoire partagée de ce passé indiscutablement commun, que l'on ne doit pas laisser entre les mains de désinformateurs.

LVC: Vous pensez que ces actions-là peuvent démarrer dès maintenant ?

Ph. N.: Il y a une chose qui m'a frappé: au dîner d'état, il n'y avait pas un seul officier supérieur de l'Armée algérienne. Je n'en ai vu qu'un seul, à Oran. Un. Pas deux, un. A Alger durant toutes les manifestations officielles, nous avons croisé la Gendarmerie algérienne, l'Armée et la Police. Que cela signifie-t-il ? Je n'en sais rien. Cela reste une interrogation. Cette interrogation est peut-être aussi un peu politique: le président Bouteflika est-il complètement libre de ses actions ? Qu'elle a été -sous-jacente- la position de l'Armée dans le cadre de ce voyage d 'état ? Je n'aurai pas la prétention d'analyser quoi que ce soit, c'est un constat. L'Armée était absente. Pas absente dans son maintien de l'ordre, dans la sécurité qu'elle nous a assurée d'une manière tout à fait impeccable, mais je trouve cela curieux. En France, avec une visite d'état vous voyez toujours 4, 5, 6 généraux en grande tenue. Là, pas.

LVC: Pour rester à peu près sur le même sujet, est-ce que vous pensez que la déscristallisation que met en œuvre le gouvernement actuel et le ministre des ACVG, est bien ressentie par les algériens ? On nous a dit que Mme Alliot-Marie au cours d'une visite en Tunisie aurait annoncé quelque chose comme 170 % d'augmentation de toutes les pensions PMI et autres retraites du combattant, si c'est la même chose en Algérie...
(M. Mekachera voulait cependant faire regarder les dossiers attentivement pour qu'il n'y ait pas trop de différences avec les A.C. de l'ALN justement) est-ce que vous pensez que la décristallisation est quelque chose qui peut aussi encourager le peuple algérien à "collaborer" avec la nation française ?

Ph. N.: En dehors d'une nomenklatura très riche qui a un pouvoir considérable, le peuple algérien est pauvre. En Algérie, 50 % de plus c'est la possibilité de s'acheter de la viande un peu plus souvent... Je suis tout à fait Hamlaoui dans son raisonnement. Ce que vous appelez une certaine délicatesse dans son étude, c'est que les anciens de l'ALN ne doivent pas se retrouver comme des cons avec des retraites minables !... en comparaison. Je laisse aux hommes politiques le soin de régler ce problème délicat mais les A.C. algériens qui se sont battus pour la France -pas forcément lors de la guerre d'indépendance- ceux de 39/45 aussi -ils ne sont plus très nombreux- apprécieront d'avoir une retraite améliorée.

LVC: Avant de revenir sur deux ou trois points, je voudrais que vous me parliez des informations que vous avez pu glaner sur le pétrole et le gaz algériens puisque manifestement, ils ne sont pas exploités autant qu'ils pourraient l'être. Ce sont de mauvais commerçants, de mauvais exploitants ?

Ph. N.: Non je ne crois pas. D'abord, il faut rappeler à vos lecteurs que le pétrole en Algérie a été découvert par un ingénieur français, Conrad Kilian bien avant la Deuxième Guerre mondiale. Il avait aussi découvert un gisements en Libye et au Sahara et que ce pauvre Conrad Kilian tirait le diable par la queue malgré ses découvertes. Il a alerté le général De Gaulle en 46: vous devriez faire attention dans les accords que vous risquez de prendre, mon général, notamment dans le sud-libyen, il y a des réserves considérable de gaz et de pétrole mais il y en a aussi en Algérie. Il a été assassiné. Par qui ? Par les services secrets britanniques. Ce n'est pas innocent. Il est certain que les anglo-saxons ont tout fait, dès qu'ils ont su qu'il y avait du pétrole au Sahara pour adapter leur politique à la découverte de ces gisements. Le Consul américain à Alger, M. Murphy, appartenait à la CIA; ion a même fait courir le bruit, à l'époque, que Jacques Chevalier, ensuite secrétaire d'Etat à la Défense puis maire d'Alger, était aussi de la CIA. Il faut remettre toutes ces choses dans leur contexte. Les anglo-saxons dès qu'ils ont su qu'il y avait du pétrole au Sahara... avant même que les premiers gisements soient forés, en 52-53, par la Cie Schlumberger dont le siège était aux USA, à Houston (Texas) alors que les Schlumberger sont d'origine alsacienne...; ce sont eux qui ont véritablement fait couler le pétrole au Sahara. A l'époque, des Stés françaises ont commencé à exploiter ce pétrole et ce notamment à Hassi Messaoud et à Hassi Rmel...Petit à petit, pour des raisons politiques, pour des raisons de manque de courage des Stés françaises, je n'accuse personne c'est juste un constat de citoyen, ont été doublées, évidemment, comme d'habitude, par les américains, les italiens, un peu par tout le monde d'ailleurs. J'en parlais, pendant ce voyage, avec M. Desmaret, patron de Total. Ils viennent de souscrire un périmètre important pour forages, dans la région de Timimoun. Il recherche du gaz et du pétrole j'espère que la France reprendra sa place sur le marché algérien pour leur exploitation. Maintenant, les Américains, sur ce point-là, ne feront pas de cadeau. Je crois que l'Algérie fait partie des marchés complémentaires. les grands producteurs sont l'Arabie Saoudite, ce sont l'Irak, le Vénézuela, la mer du nord ... L'Algérie est juste derrière.

LVC: Parce que non suffisamment exploitée

Ph. N.: Non, je crois simplement que toutes ces grandes Cies et ces états gardent des noisettes pour l'hiver. S'il y a surproduction de pétrole, le baril ne vaudra plus que quelques dollars. Les pays -Algérie comprise- n'auront plus de quoi assurer leur développement C'est donc un problème de gestion économique des réserves pétrolières mondiales. En même temps, la France ne peut pas annuler les contrats qu'elle a passés sur le gaz, par ex. que, pour des raisons diplomatiques, nous avons surpayé de 25 à 30 %. S'il y a de nouvelles découvertes par Total en Algérie, je pense qu'elles viendront vers la France. Le pétrole algérien est d'autant plus intéressant qu'il a la réputation d'être un pétrole léger qui nécessite peu de raffinage. Le problème, c'est que l'Algérie actuellement a des réserves de 27 ou 29 millions de dollar en caisses grâce au pétrole: ils ne savent pas quoi en foutre. Il faut des plans de développements.

LVC: Tous leurs intellectuels ont pourtant fait leurs études en France ...

Ph. N.: Je suis d'accord, mais le problème est structurel: les structures administratives que les communistes ont installées, à l'époque de Boumédienne, sont encore en place

LVC: Ils sont toujours là ces gens-là ?

Ph. N.: C'est ce que l'on appelle la nomenklatura: ils ne sont plus du tout communistes mais certains se servent de ce système administratif pour bloquer. Actuellement si beaucoup d'entreprises françaises ne vont pas s'installer en Algérie, c'est à cause des tracasseries administratives. Je vais vous citer un ex.: après l'indépendance toutes les terres ont été nationalisées. Si actuellement, on veut racheter 300, 200 ou 150 h de terre en Algérie, c'est un parcours du combattant: s'ils ne veulent pas vendre leur terre, qu'ils les gardent !

Mais tout est problème, vous voulez ouvrir une banque, c'est problème. Ce sont des raisons politiques et structurelles -de l'argent, ils en ont- à cause desquelles l'Algérie a loupé un peu son développement. Il y a du fric et c'est donc à eux d'alléger leurs structures administratives et de faire en sorte que les sociétés qui veulent s'implanter en Algérie, pour faire du business, puissent le faire. Sur le plan économique, nous avons reconquis beaucoup de marchés en Algérie depuis deux ans, la France est son premier fournisseur à l'heure actuelle. Tous marchés confondus. C'est un point important. Un diplomate m'a dit, dans l'avion, pourvu que l'appareil ne se casse pas la gueule, il y a la moitié du CAC 40 parmi les invités économiques du Président. Ces personnalités du monde des affaires: le PDG d'un groupe de travaux publics, celui d'une très grosse coopérative spécialisée dans le traitement des oléagineux, celui d'une entreprise spécialisée dans la fabrication de machines à calibrer les fruits, à les laver, ensacher, etc... ne sont pas allés en Algérie, pour faire du tourisme ! Le marché potentiel existe bien mais il faut que l'Algérie remette ses terres en valeur, qu'ils replantent, seulement... pour un arbre fruitier, il faut attendre 6, 7, 8 ans !

LVC: Sent-on cette volonté de replanter ?

Ph N.: Je n'ai pas eu l'occasion de discuter avec des responsables Algériens de leurs projets, je ne peux donc pas vous répondre, je ne le sais pas. L'Algérie est importatrice de blé dur, de céréales en général et de produits laitiers. Il y a des milliers d'hectares mais l'Algérie n'a pas les rendements de la Beauce, ce ne sont pas 110, 120 quintaux-hectares; 10, 15, 20 quintaux-hectares, sont un grand maximum. C'est aussi un problème d'équipement agricole: tracteurs, charrues, outils aratoires, moissonneuses-batteuses, etc... d'appareils de pulvérisation pour l'arboriculture. Il faut pouvoir les acheter !

LVC: Voire de formation ?

Ph. N. Oui, tout commence par la formation.

LVC: Le taux d'illétrisme est-il important ?

Ph N.: Je ne peux pas vous répondre. Je n'ai pas l'impression, ils parlent tous le français; vous devez en avoir un certain pourcentage qui, s'ils ne sont pas illettrés, sont très primaires, surtout dans les campagnes.

LVC: Nous avons parlé tout à l'heure du pétrole, des USA par rapport au pétrole algérien, avez-vous une idée de ce que l'on pense au sein du gouvernement algérien du problème de l'Irak et d'une intervention armée contre Saddam Hussein.

Ph. N.: Je peux vous dire que les discours politiques prononcés par le président de la République française, ont toujours fait un tabac que ce soit à l'Assemblée ou au Sénat algériens par sa position au sujet de l'Irak. L'université d'Oran l'a fait Docteur Honoris Causa. C'était le premier. Par ailleurs, le président Bouteflika, fait campagne pour que Jacques Chirac reçoive le prix Nobel de la Paix.

LVC: Ah oui ? C'est fabuleux !...

Ph. N.: Oui, auprès des pays du tiers monde. Donc je crois que la position qu'a prise le président de la République est hautement apprécié par les pays arabes.

LVC: Dans leur ensemble ?

Ph. N.: Dans leur ensemble.

LVC: Dont l'Algérie ne se désolidarise pas ?

Ph. N.: Non, I'Algérie est totalement solidaire et n'oublions pas que Bouteflika, I'actuel chef de l'état, dans sa période de traversée du désert, a entretenu des contacts diplomatiques multiples et variés avec les pays Arabes. I1 en vivait même, touchant des honoraires pour ses conseils; nous n'avons pas d'inquiétude à avoir de ce côté-là, au contraire.

LVC: Quelques petites questions plus rapides sur des faits précis si tant est que, pendant le court voyage -intense mais court- vous ayez pu soit en entendre parler soit les entendre évoquer: autrefois, à l'ambassade de France à Alger. existait un service d'appareillage pour les AC handicapés. Ce service a été fermé pour des raisons politico-techniques et l'on parle maintenant de rétablissement ?

Ph N.: En effet, vous aviez un service excessivement compétent, très apprécié des A.C qui avaient à s'y faire traiter. Il était installé à Bab el Oued. Il a été fermé pour raisons de sécurité, il y a quelques années. Ce que je peux vous dire et je le tiens de Hamlaoui Mekachera c'est que tout le matériel a été conservé dans un état parfait. Toujours pour des problèmes de sécurité, la France relancerait ce service au sein de l'ambassade. L'ambassade de France, à Alger, est installée à Hydra dans un très grand parc, avec de grands bâtiments; ils y ont la place nécessaire, mieux. protégé. Comme je le disais à Hamlaoui, si tu amènes la décristallisation à l'Algérie et la réouverture de ce service d'appareillage, tu fais un tabac.

LVC: Bien sûr. Mais cela vise toujours les même. Un peu ceux de la guerre d'Algérie et beaucoup ceux de la Deuxième Guerre mondiale, je suppose.

Ph. N.: Oui vous avez des garçons qui ont été blessés, au cours de la 2e GM, mais ce ne son plus, eux non plus, des poulets de grains de I'année. Il y a également les blessés graves de la Guerre d'Algérie mais je suis sûr que, par 1a suite, des moudjahidines solliciteront ces réparations.

LVC: Il est question également de la remise en fonction des ONAC locales mais qui -même chose- dépendraient de l'ambassade de Franœ comme cela se fait, je crois, déjà, au Maroc.

Ph. N.: Il y a une autre chose positive, la France a rouvert son consulat à Bône. Elle doit rouvrir le consulat de France à Oran en 2004 Si la France rouvre ces lieux aux A.C., ce sera bien.

LVC: Dans les toutes dernières questions, M. Nouvion, vous pouvez me dire si l'année 2003, année de l'Algérie en France est connue. Cela se sait-il en Algérie ou est-ce limité à une association culturelle qui, je crois, s'appelle Abdel Kader. Qu'en dit-on là-bas ?

Ph N.: J'ai rencontré le président de l'association de l'Emir Abdel Kader, il a fait l'école des enfants de troupes de Coléa et de Miliana, il ne m'a pas parlé de l'année de l'Algérie en France. Le peuple, il préfère que l'on lui parle de visa, voire du concert de Cheb Mami, à Oran, etc, plutôt que l'on vienne lui parler d'une exposition à Briançon ou à Besançon... Le président de la République, dans ses discours, valorise cette initiative mais je crois que, I'on verra au fur et à mesure qu'en s'éloignant du voyage présidentiel, on n'en parlera de moins en moins.

Dans l'avion, il y avait aussi un diplomate, patron de l'Institut du Monde Arabe. Je lui ai dit que l'on parle beaucoup de l'exposition des chevaux arabes et de leurs harnachements que l'Institut expose avec des peintres comme Delacroix, Chasseriau, Fromentin, etc... Cela intéresse des gens mais ce n'est pas dans le cadre de l 'année de Algérie-France !

LVC: Par qui et pourquoi le choix s'est-il porté sur l'année 2003 ?

Ph. N.: Cela a été décidé par M. Jospin quand M. Bouteflika est venu en France en 2000 (initialement l'année 2002 avait été retenue). C'est politique; il y a des élections en Algérie, en 2004. La préparation est totalement bidon parce que nous avons privilégié des expositions dans des villes mais quand on parle de l'architecture je vous l'ai dit auparavant -M. Pouillon est la référence !... Je l'ai bien connu, il avait deux filles ravissantes. Il recevait dans sa maison, à Alger, avec des chemises à jabots, on aurait dit Louis XIV. Je l'ai répété à M. Bourges: il y en a eu bien d'autres des grands architectes en Algérie... A Oran, dans toutes les grandes villes, des immeubles haussmanniens, on ne le dit pas. Si c'est comme cela qu'ils ont réécrit l'histoire de l'Algérie, je ne suis absolument pas d'accord. Entre les mains de dogmatiques du côté algérien, Bourges qui a choisi aussi ses copains comme il a choisi Mme Allère, comme adjointe -il est allé la chercher à la retraite tout cela est cousu de fil blanc mais ne reflète pas la réalité historique entre l'Algérie et la France. Ça passera, on essaiera de gérer, jusqu'à la fin de l'année.

LVC: Vous parliez tout à l'heure de l'absence remarquable de militaires de haut rang algériens, y avait-il des militaires français, invités par le chef de l'État dans ce voyage ?

Ph. N.: Non.

LVC: C'est alors bien la volonté précise de la France ne pas mettre l'accent sur ce qui fâche ?...

Ph. N. Oui, je crois: de ne pas jeter de l'huile sur le feu. La seule personne un peu victime de ce voyage, c'est mon ami Hamlaoui Mekachera, décrit comme un chef harki par la presse algérienne alors qu'il ne l'a jamais été ... Très intelligemment Hamlaoui m'a dit ce matin, si je dois servir d'abcès de fixation, tant mieux, comme ça on ne rentre pas dans le détail, on ne parle pas du reste. Et je trouve cette position très digne de sa part mais, il m'a avoué que pour lui non plus ce voyage n'avait pas été très facile!...(1)

LVC: J'imagine et d'autant plus, comme vous nous l'avez dit au début de notre entretien il n'a pas été tellement question d'A.C. puisque l'on a voulu mettre un voile pudique sur la période de la guerre.

Ph. N.: Oui, les sujets seront réglés diplomatiquement plutôt qu'au niveau spécifique des A.C. Comme disait Mitterrand, il faut donner le temps au temps.

LVC: Y a-t-il une question que vous auriez aimé que je vous pose et que je n' ai pas posée ? Ou un point sur lequel vous voudriez revenir ?

Ph. N.: Non, vous m'avez. . . Si, la seule question qui se pose et que se posent beaucoup de métropolitains: pourquoi des Français d'Algérie, comme moi, sont encore amoureux de ce pays. Je leur réponds que l'Algérie est un pays splendide et que je continue à aimer l'Algérie parce que j'étais très amoureux d'elle Tout le monde sait et tout le monde comprendra que quand on est très amoureux d'une femme -même si votre vie change- on conserve cette femme quelque part au fond de son coeur. Alors c'est cela, I'Algérie est ma maîtresse, ce qui ne me crée aucun souci avec mon épouse. Je suis convaincu que les garçon qui n'étaient pas Français d'Algérie qui sont seulement venus se battre en Algérie, n'ont pas pu oublier non plus le ciel d'Algérie, le senteurs, etc...

LVC: C'était leur vingt ans aussi.

Ph. N.: Oui, bien sûr nous avions vingt ans Moi, quand je suis en Algérie je retrouve le paysages que j'ai connus à l'âge de 20 ans. A partir du moment où l'on a quelque sensibilité je crois que l'on n'oublie pas: quand je me couchais le soir, je voyais le coucher de soleil, ce n'est pas nostalgique... Sans l'envie de revenir, nous appartenons à cette catégorie de gens qui ont fait l'Algérie dont je n'ai pas à rougir: colonialiste ou non. Nous avons donne le meilleur de nous-mêmes à ce pays, comme beaucoup de jeunes français ont donné le meilleur d'eux-mêmes quand ils ont été mobilisés alors qu'ils ne demandaient rien à personne. Que ces hommes n'oublient pas non plus que, en 44, de jeunes garçons, comme eux, moins nombreux -la population algérienne était plus faible à l'époque- on débarqué en Provence ou ailleurs pour libérer. la France et qu'ils sont venus se battre. 40 000 sont tombés, les pertes de l'Armée d'Afrique ont été considérables: 20 000 européens 20 000 musulmans sur un effectif de 380 000 combattants. Fin 1964, nous n'étions pas à ces sommets-là, grâce à Dieu. Mais, ceux qui sont tombés sont toujours trop nombreux.

LVC: Je vous remercie beaucoup Philippe Nouvion pour cet entretien.

(propos recueillis le 5 mars 2003)

Mary-Ange NIEDERI-BRISSAU

(1) NDLR: les prédateurs habituels ont prétendu que M. Bouteflika n'avait pas salué Hamlaoui Mekachera aux dires du Ministre: non seulement il m'a salué mais il m'a embrassé; le photographe n'a pris que la chaleureuse poignée de mains, avant l'accolade.

(2) Note de RP. Devant cette entrée, était un bistrot dont la "devise philosophique" se lisait au dessus du comptoir:

"Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse
On est mieux ici qu'en face"

Méditerranément parlant ce n'est manifestement plus vrai aujourd'hui.

Crée le 5/4/2003 par RP