TÉMOIGNAGE

 

Ma « Bataille de Paris »…

 

Texte et dessin de Jean BRUA

 

 

Le 17 octobre 1961, jeune journaliste stagiaire à RTL, je me trouvais sur l’avenue de Wagram, au débouché d’une des colonnes de la manifestation FLN. Arrivé d’Alger l’avant-veille, j’avais été dépêché là en « doublure » d’un journaliste confirmé de la station. En compagnie de ce dernier et du technicien (un peu inquiet) de notre voiture-radio, j’ai vu les manifestants remonter la chaussée sur toute sa largeur, encadrés par un service d’ordre FLN pas si pacifique qu’on le dit aujourd’hui. Certains portaient même des manches de pioche dont ils frappaient les voitures en stationnement au rythme du slogan de l’époque (deux longues, trois brèves : PAIX – EN — AL-GÉ-RIE !).

La charge de CRS qui a fait éclater les rangs des marcheurs à 2 ou 300 mètres de l’Étoile a certes été violente, mais ni plus ni moins que celles auxquelles j’ai assisté aussi bien en Algérie qu’à Paris contre des manifestations de tous bords. J’ai donc vu avenue de Wagram pas mal de têtes ensanglantées, de gens à terre, d’autres pourchassés ou embarqués sans ménagement dans des cars ou des camions. À aucun moment, pourtant, ces violences policières évidentes ne m’ont paru relever d’un « massacre » délibéré et méthodique. N’ayant pas entendu d’autres coups de feu que ceux des départs de grenades lacrymogènes à fusil, je ne peux qu’accueillir avec le plus grand scepticisme la rumeur de « mitraillages », dont le nombre, l’intensité et le bilan  n’ont cessé d’enfler depuis les premiers témoignages relevés par Einaudi (La Bataille de Paris) dans… les archives de la Fédération de France du FLN !

Nous sommes malheureusement bien placés pour connaître les effets de salves ou de rafales dans une foule compacte. Il suffit de regarder les photos (nombreuses et accessibles à tout le monde) des dizaines de  corps qui jonchaient le plateau des Glières, le 26 mars 1962.

Question à 2 euros : alors qu’il y avait à Paris plus de manifestants et de policiers qu’il y en aurait quelques mois plus tard à Alger, et au moins autant de photographes et de cameramen, comment se fait-il que les prétendus mitraillages n’aient pas laissé les mêmes traces macabres sur le terrain ? Et que J.-L. Einaudi, dans son « livre-document, n’ait pu montrer qu’un seul corps sans vie sur une murette et trois fois la photo du même blessé en veste de velours cotelé (une en couverture et deux en page 3 du cahier photos) ?

En octobre 97, je commençais ainsi un édito de Nice-Matin que j’avais intitulé « Décomptes à rebours ») :

La décision de Mme Trautmann [1] de relever de leur mise en soixantaine les archives de la journée du 17 octobre 61 permettra-t-elle de révéler un crime d’État ou, au contraire, de tordre le cou à un «  canard » qui a beaucoup engraissé depuis 36 ans ?

À la première partie de la question, l’écrasante majorité du « politiquement correct » vient, une fois de plus, de répondre affirmativement, mais sans apporter d’autres preuves que celles qu’elle fait circuler en boucle depuis la sortie du livre d’Einaudi, considéré comme la Bible du nouveau culte de la Repentance. Sur le deuxième point soulevé, force est de constater, comme autrefois Robert Lamoureux dans un sketch célèbre, que « le canard est toujours vivant».

Le présentateur David Pujadas nous l’a confirmé dans son journal du soir du 17 octobre, en faisant passer pour « révélations exclusives » des photos vues et revues de charges de police, de manifestants blessés ou arrêtés, ainsi que quelques pages de registres administratifs censées apporter les preuves d’un « crime contre l’humanité ».

Oui, la Bataille de Paris continue. Et le canard repassera l’an prochain.

 

Jean BRUA


[1] Ministre socialiste de la Justice dans le gouvernement Jospin. À noter que les enquêtes qui devaient suivre cette libération des archives n’ont pas apporté la moindre goutte d’eau au moulin des contempteurs de la version officielle.