Brin de mémoire : Le Pont Saint Saëns...                                                                               

     Il dominait mon quartier : le Plateau Saulière. Il était le prolongement du boulevard Camille Saint Saëns, qui prenait son élan à la sortie du tunnel des facultés et au dos du magasin Bissonnet, pour rejoindre, tout en haut de la colline, le boulevard du Télemly, entre le Parc Saint Saëns et le Parc de Galland.

    Ce Pont enjambait la rue Burdeau, en contrebas, et reste inscrit dans ma mémoire, car nous habitions avec mes parents au n° 23 de cette rue Burdeau, juste au niveau du passage du Pont Saint Saëns. Je mis un certain temps à me rendre compte que cet ouvrage qui enjambait ma rue, celle de mon enfance, ne devait son emplacement qu’à la profonde échancrure du relief caractérisant la ville d’Alger. De ce fait, de ma terrasse, située au cinquième étage de l’immeuble construit au bord d’un ravin devenu la rue Burdeau, j’étais au même niveau  que le dit Pont. Cette rue, ma rue, avait une caractéristique bien spéciale. Elle se terminait par un cul de sac et de larges escaliers débouchant sur le boulevard du Télemly et le quartier de la Robertseau. Bien entendu, de mon quartier, de ma rue, mes souvenirs, sans disparaitre ont jauni comme une feuille de papier laissée trop longtemps, sans être protégée des vicissitudes du temps... Au pied de l’immeuble, il y avait un garage... En descendant la rue vers le boulevard Michelet, je me souviens des boulangeries, Ortz et Monteil, une à droite, l’autre à gauche... des salons de coiffures, un pour hommes Vivés, à gauche en descendant, l’autre presqu’un bout de la rue, Fritz, coiffeur pour Dames, à côté du Bar « le Bercy » et de la vieille droguerie... Des commerces situés en face au cours Martin dont je fus, après Gautier, un élève dissipé.

     Ce Pont Saint Saëns, c’est aussi le souvenir des amis, des copains... L’un, Claude A... habitait juste avant le Pont, vers  les numéros 50... Le second, Claude G... demeurait bien plus haut que le Pont. Son immeuble était à cheval entre ce trop élégant et splendide boulevard Camille Saint Saëns et la rue Debussy, redescendant vers le centre ville. Chez Claude G..., la veille de notre départ à l’armée en novembre 1959, nous avions, toute une équipe bu une coupe de champagne. Le meilleur que je n’ai jamais plus bu ! Nous étions jeunes et inconscients des événements... Nous ne savions pas que l’année de notre retour à la vie civile, en 1962, serait celle de l’exode ! L’épilogue de la tragédie de notre Algérie française, avec le 26 mars et l’indépendance... puis le rapatriement dans une Métropole qui nous a éloignés les uns des autres... longtemps. A travers de nouveaux contacts, des associations Pieds-noirs, presque cinquante ans après, nous nous sommes retrouvés un temps. Trop court ! L’un d’entre nous n’est déjà plus... Il était un vrai, un grand patriote, fidèle à notre mémoire commune. Claude A... est toujours là, comme moi, avec les ans qui pèsent sur nos épaules. N’est-ce pas notre lot ? Nous gardons cependant, tous les rescapés de l’exode, l’espoir que des jeunes prennent un jour notre suite dans la défense de notre passé ; gardent éclairé le flambeau de cette mémoire malmenée par des ingrats et que le souvenir d’une Algérie française perdure.

   Alors, ce Pont, j’ai voulu le dessiner, de mémoire... Un souvenir d’Alger avant le départ de notre quartier... définitivement.

                                                                                  Robert Charles PUIG / 2012

Mis en page le 24/05/2012 par RP