Brin de
mémoire : Le Pont Saint Saëns...
Il dominait mon quartier : le Plateau
Saulière. Il était le prolongement du boulevard Camille Saint Saëns, qui prenait
son élan à la sortie du tunnel des facultés et au dos du magasin Bissonnet,
pour rejoindre, tout en haut de la colline, le boulevard du Télemly, entre le
Parc Saint Saëns et le Parc de Galland.
Ce Pont
enjambait la rue Burdeau, en contrebas, et reste inscrit dans ma mémoire, car
nous habitions avec mes parents au n° 23 de cette rue Burdeau, juste au niveau
du passage du Pont Saint Saëns. Je mis un certain temps à me rendre compte que
cet ouvrage qui enjambait ma rue, celle de mon enfance, ne devait son
emplacement qu’à la profonde échancrure du relief caractérisant la ville
d’Alger. De ce fait, de ma terrasse, située au cinquième étage de l’immeuble
construit au bord d’un ravin devenu la rue Burdeau, j’étais au même niveau que le dit Pont. Ce Pont
Saint Saëns, c’est aussi le souvenir des amis, des copains... L’un, Claude A...
habitait juste avant le Pont, vers les
numéros 50... Le second, Claude G... demeurait bien plus haut que le Pont. Son
immeuble était à cheval entre ce trop élégant et splendide boulevard Camille
Saint Saëns et la rue Debussy, redescendant vers le centre ville. Chez Claude
G..., la veille de notre départ à l’armée en novembre 1959, nous avions, toute
une équipe bu une coupe de champagne. Le meilleur que
je n’ai jamais plus bu ! Nous étions jeunes et inconscients des
événements... Nous ne savions pas que l’année de notre retour à la vie civile,
en 1962, serait celle de l’exode ! L’épilogue de la tragédie de notre
Algérie française, avec le 26 mars et l’indépendance... puis le rapatriement
dans une Métropole qui nous a éloignés les uns des autres... longtemps. A
travers de nouveaux contacts, des associations Pieds-noirs, presque cinquante
ans après, nous nous sommes retrouvés un temps. Trop court ! L’un d’entre
nous n’est déjà plus... Il était un vrai, un grand patriote, fidèle à notre
mémoire commune. Claude A... est toujours là, comme moi, avec les ans qui
pèsent sur nos épaules. N’est-ce pas notre lot ? Nous gardons cependant,
tous les rescapés de l’exode, l’espoir que des jeunes prennent un jour notre
suite dans la défense de notre passé ; gardent éclairé le flambeau de
cette mémoire malmenée par des ingrats et que le souvenir d’une Algérie
française perdure.
Alors,
ce Pont, j’ai voulu le dessiner, de mémoire... Un souvenir d’Alger avant le
départ de notre quartier... définitivement.
Robert
Charles PUIG / 2012
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