Pieds-Noirs d'hier et d'Aujourd'hui n°140 Avril2006



Abbé Antoine BALZAMO

L'Abbé Antoine Balzamo a rejoint le Paradis

 

Né en 1928 à Mers-el-Kébir, il fera le Petit et Grand Séminaire d'Oran. Ordonné prêtre en 1953, il sera Vicaire à St Pierre de Mascara puis à St Pierre d'Oran, Curé de Tirman puis de retour en France, Vicaire à Ste Hélène de Nice puis Curé du Sacré CĎur à Antibes. Il décédera le 28 Février 2006 et ses obsèques eurent lieu à Antibes le 2 mars 2006.

Nous reproduisons, ci-après la magnifique homélie que le Père nous a donnée lors du 35ème anniversaire de notre retour à Marseille en 1997.

   35ans déjà! Malgré le temps, la distance et la séparation, nous ne l'avons pas oubliée, Ô notre chère Algérie, à jamais gravée dans notre mémoire, notre intelligence et dans notre cœur.
   Comment t'oublier, Ô terre d'Algérie, toi qui as porté nos plus belles espérances, nos rêves les plus fous, toi qui as donné au monde le spectacle unique et transcendant de 3 communautés si différentes de culture et de religion, mais si proches et si vivantes par l'amitié profonde, le sang versé, et le travail acharné !
   A vous tous, ici présents, avec les Autorités de ces lieux, je vous redis ma joie profonde de vous accueillir et de vous dire merci de votre présence ! Petits ou grands, riches ou pauvres, de toute condition sociale, vous êtes là, vivants et courageux. Vous êtes de la race persévérante et forte qui a fait un pays, une terre, un peuple, et cela, vous pouvez le redire aujourd'hui à la face du monde sans avoir à en rougir !
   Au fond de vos yeux, dans votre coeur, sur vos mains, vous portez encore les traces de ce merveilleux pays que fut notre Algérie bien-aimée.
   En ce jour de rassemblement et d'unité, je vous redis : Relevez la tête et prenez courage, soyez fiers de votre passé, de votre identité et de votre personnalité !
   En moins de 100 ans, vous avez redonné un visage à un pays écrasé par la fièvre, la misère et la faim.
   En moins de 100 ans, l'Eglise d'Afrique renaissait de ses cendres, grâce aux missionnaires, religieux, religieuses, dans un travail obscur et plein de courage.
   Relevez la tête, vous tous, des pays de Tunisie, du Maroc, vous tous de Souk-Ahras à Marnia, en passant par les villes et villages aux noms si évocateurs. Constantine, Bône, Sétif, Philippeville, Alger, Blida, Orléansville, Tipasa, Cherchell, Oran, Sidi-Bel-Abbès, Mascara, Tlemcen.., et combien d'autres lieux jusqu'aux profondeurs de Tamanrasset !
  Vous avez droit au respect, à la dignité et à l'honneur.
  Je salue le courage et l'abnégation de ces milliers de soldats, de fonctionnaires et de colons et de toutes les familles, je salue nos communautés soeurs Israélites et Musulmanes, unies dans un même amour et un même destin.
   Un grand écrivain rapatrié rappelait ceci:
   « De leur Algérie aujourd'hui, il ne reste plus que cette mémoire affective et amoureuse de leur terre. Cette terre, les rapatriés la cultivent dans le secret de leur mémoire où tous les souvenirs remontent à la surface de leurs lèvres, comme une chanson triste et immortelle.
   Français parmi les Français, ils ne sont, ni rejetés, ni vraiment admis, ni exilés, ni apatrides, forts d'une certaine réussite sociale qui fait taire les médisances et les calomnies, mais tous, pauvres de leur terre et, sans espoirs de retour.
   Rien ni personne ne fera changer le cours de l'histoire. Les voici, en France, dans ce pays qu'ils ont tant aime et pour lequel ne l'oublions pas, au cours des deux dernières guerres mondiales, ils ont tant donné par le sang et le sacrifice ! »
   Le grand écrivain tirait cette conclusion: « En Algérie, leurs immeubles, leurs villas, leurs villes, leurs villages, leurs champs, leurs cimetières sont méconnaissables ! Dans moins d'un siècle, les derniers dépositaires de cette mémoire vaincue s'éteindront, c'est-à-dire que ce peuple, né du soleil et de la mer. est en voie de s'éteindre ! »
   D'ou l'importance des rassemblements, celui que nous vivons aujourd'hui tout particulièrement.
   Qui se chargera de porter et faire vivre cette, mémoire Je remercie les organisateurs de ce souvenir, et de ce rassemblement.
   Dans une dernière réunion de rapatriés à La Ciotat, le Cardinal Robert Coffy, ancien archevêque de Marseille, nous confiait un message plein de lumière et d'espérance : «Si les hommes veulent garder le souvenir de leur passé et faire mémoire des évènements qui ont tout particulièrement marqué leur histoire, c'est pour ne pas perdre leur identité et leur personnalité. L 'homme relit avec passion son histoire passée essentiellement pour se mieux conna”tre et se reconna”tre. Nous le savons, le mal le plus redoutable qui puisse frapper un homme est l'amnésie, c'est-à-dire l'oubli de ce qu'il fut ! l'oubli de ce qu'il est ! ne sachant plus nommer les personnes avec lesquelles il vit : ses parents, ses amis, sa communauté. Et c'est grâce à la mémoire, cette faculté mystérieuse et merveilleuse que l'homme demeure lui-même et retrouve ses racines, malgré les nouveautés et les changements de l'histoire.
    Comme un individu, un peuple peut être frappé d'amnésie : l'oubli de ses racines, de son histoire, de sa vie elle-même. Les grandes idéologies de ces dernières années ont essayé de briser l'histoire des hommes en démolissant leurs valeurs, leurs traditions, leurs monuments, leur savoir, et leurs institutions. Des peuples entiers ont disparu par manque de mémoire et de fidélité, de traditions et de coutumes. Un peuple, une communauté d'hommes et de femmes, ne demeurent eux-mêmes qu'en gardant mémoire de leur histoire.
   Faire mémoire, c'est-à-dire célébrer le passé. C'est le sens profond de votre rassemblement et de votre démarche aujourd'hui !»
L'événement que nous avons vécu, il y a plus de 35 ans, a été douloureux et tragique parce qu'il a été une rupture avec la terre sur laquelle nous habitions. Mais cette mémoire, les images et les souvenirs de notre Algérie bien-aimée ne doivent pas être enfouis dans le sable et dans l'indifférence. Malgré les épreuves et le déracinement, nous ne sommes pas venus ce matin avec des attitudes de haine, de vengeance, de mépris ou de rejet. Dieu nous a créés plus grands que nos divisions, nos refus et nos replis.
   Nous avons appris à pardonner, à nous élever à relire l'histoire dans la justice et la vérité, et dans la lumière.
Se souvenir de l'Algérie, ce n'est pas une nostalgie du passé, c'est ouvrir les yeux sur la réalité d'aujourd'hui et travailler pour le respect, le droit et la dignité de l'homme et surtout la justice.
   Une oeuvre nouvelle commence. Tout est possible lorsque l'homme reste debout et clairvoyant. Repliés et haineux, NON ! ... Lucides et courageux, OUI ! ...
   Il faut toujours aller de l'avant! Enracinés, sans nostalgie aucune, dans un passé glorieux et précédés par la foule impressionnante de nos chers martyrs, de nos chers disparus avec nos amis musulmans el israélites. nous voulons prouver, par notre présence nombreuse à Marseille, que l'Algérie restera toujours dans notre mémoire, la terre bien-aimée. la terre qui a fait jaillir les plus belles espérances et les rêves les plus fous !
   Transmettez cet héritage, la richesse de votre foi et de votre dévouement, transmettez tout cela à vos enfants et vos petits-enfants qui n'ont pas connu ce passé émouvant, mais qui doivent savoir qu'un jour, par-delà la Méditerranée, des hommes et des femmes se sont levés pour faire de ce pays un pays de lumière, de prospérité, de réconciliation par-delà les races, les cultures et les religions.
   Il faut faire mémoire pour préparer l'avenir. Tout ce passé riche de travail, de sueur et de sang ne doit pas mourir.
   Nous resterons les dépositaires d'une mémoire vivante, fidèle et dans la vérité, cela jusqu'à notre dernier souffle.
   Que Notre-Dame-de-la-Garde, qui a accueilli, du haut de sa colline, tant de nos amis dans la détresse, soit près de vous! Que Notre-Dame-d'Afrique, témoin de tant de souffrance et de sacrifices, sur la colline d'Alger, nous garde de toute vengeance ! Que Notre-Dame-de-Constantine et la Vierge de Santa-Cruz veillent sur nous, nous protègent et nous redonnent l'élan et le courage de nouveaux départs ! Je vous invite à regarder Marie, Notre Mère, car elle aussi, elle a connu l'épreuve, l'exode, mais, nous dit l'Evangile, Marie conservait toutes ces choses dans son coeur. Elle a gardé les événements qui ont marqué sa vie : douloureux, joyeux et glorieux, comme nous le chantons dans le Saint Rosaire.
   Comme elle, c'est dans notre coeur et dans notre mémoire que nous devons garder ce que nous avons reçu de nos frères dans la foi. Que cette Eucharistie qui nous rassemble dans la ferveur et le souvenir fasse de nous de nouveaux témoins de l'Amour, du Partage et de la Réconciliation.
   Amis, lorsque vous rentrerez. dans vos foyers, à vos occupations, relevez la tête, souvenez-vous de « Là-Bas » et que rien ne puisse arracher de votre coeur ce pays que nous avons tant aimé et que nous continuerons à aimer... Puisque cette terre est inscrite dans notre sang, dans notre mémoire et dans notre cœur !
   Comment pourrions-nous l'oublier aujourd'hui! Comment pourrions-nous rester insensibles à la souffrance et aux malheurs de ceux qui y sont nés et qui ont donne leur vie !
   Comment pourrais-je t'oublier, Ô chère Algérie de mon enfance et de ma vie !
   Jusqu'à notre dernier souffle, tu resteras la terre de la lumière et de l'amour passionnel ! Vive la France ! et notre Algérie bienaimée

Amen

Mis en page le 17/05/2006 par RP