Le colonel Pierre CHATEAU-JOBERT dit CONAN a été
porté en terre, hier 3 janvier, par sa famille ses amis
et l'UNP.
Vous trouverez ci-dessous l'éloge funèbre prononcée
par la colonel Jean SASSI.
ELOGE FUNEBRE du Colonel Chateau Jobert
Mon Colonel,
Votre famille, vos anciens compagnons d'armes, vos camarades,
vos amis, les parachutistes de tout grade d'hier et d'aujourd'hui
sont réunis ici pour vous rendre un dernier hommage et
un ultime adieu.
Tous sont venus pour témoigner la considération,
l'estime et l'affection qu'ils portent au grand soldat, à
la figure de légende, au chef prestigieux et hors du commun,
à l'homme de caractère, d'action et de convictions
que vous avez été et dont il convient de retracer
l'exceptionnel destin.
"Deuxième classe" en 1936, colonel en 1956.
Quel parcours prestigieux ! Depuis 174 ans devise des étrangers
volontaires au service de la France, "Honneur et fidélité"
aura aussi été la votre.
Homme d'engagement, passant votre vie en première ligne,
vous vous êtes battu en des temps difficiles sur plusieurs
continents pour défendre la liberté et une certaine
idée de la France. Vous avez affronté le nazisme,
le communisme, l'islam, mais aussi côtoyé l'abandon
et le doute.
Confronté à la faiblesse, au reniement et souvent
à la lâcheté, vous avez cependant toujours
refusé la compromission. Votre royaume intérieur
était celui de la conscience qui vous a dicté des
choix parfois difficiles. Vous les avez assumés et revendiqués.
Votre vie s'en est trouvée bouleversée ; une
vie troublée, complexe et mouvementée, mais avant
tout une vie vouée au service de la Patrie. De toute
la cohorte des parachutistes, vous êtes sans doute celui
à qui Dieu a donné, le plus intensément,
l'insécurité et l'inquiétude, la tourmente
mais aussi la foi et la force que nous lui demandons et que l'on
ne peut obtenir que de soi.
Refusant de confondre l'honneur et les honneurs, servir et se
servir, vous resterez un soldat atypique, un cas de figure. Sentinelle
de votre propre vie, vous avez écrit : « J'ai
toujours pris les décisions néfastes pour ma carrière
mais conformes à mon sens de l'honneur ». Un
choix qui faillit vous coûter la vie. Mais la grandeur de
la vie n'est-elle pas plus importante que la vie même ?
Comme peu, vous êtes allé toujours jusqu'au bout
de vos idées, de vos engagements. Vous n'avez pas failli.
Homme à vous donner ou vous refuser, vous ne vous êtes
ni vendu, ni prêté. Doté de ce qui est devenu
une denrée des plus rares : une conscience, vous avez souvent
dit « non ». Supérieur aux circonstances,
vous les avez transcendé. L'Histoire a jailli sur vos pas
avec une force étonnante.
Faut-il d'abord évoquer votre naissance le 3 février
1912 à Morlaix dans le Finistère, votre enfance
en Bretagne et vos études secondaires sans problèmes
à Paris.
Faut-il mentionner qu'au fil d'une jeunesse harmonieuse, l'exemple
d'un père tué au front en 1915 et l'éducation
d'une mère de caractère vous conduisent à
préparer l'Ecole Navale. Bien que votre santé vous
oblige à renoncer à ce choix, votre vocation au
métier des Armes trouve à s'exprimer dans l'Artillerie
au sein de laquelle, vous êtes blessé en juin 1940.
Persuadé que perdre une bataille n'est pas perdre la guerre,
vous vous évadez de l'hôpital pour rejoindre l'Angleterre
et les Forces Françaises Libres.
Exilé d'une nation en déshérence, vous allez
alors choisir un nom de guerre afin de protéger des représailles
allemandes votre famille restée en France. Vos camarades
vous baptisent d'autorité Conan, du nom du héros
du roman éponyme de Roger Vercel, capitaine de Corps franc
de la Grande Guerre, officier de troupe, voué à
sa patrie et à la guerre. A la guerre sans phrase, brutale,
efficace. Conan méprisant la compromission, Conan attaché
à ses hommes et de surcroît Breton. On ne peut
que saluer la sreté de jugement de ces camarades.
Faut-il rappeler que vous rejoignez la Légion
Etrangère en 1941- la fameuse 13eme DBLE - avec laquelle
vous vous battez en Erythrée. Puis, comme artilleur
en Syrie et en Libye, vous poursuivez le combat et êtes
à nouveau blessé en février 1942.
Promu capitaine et fidèle à des principes qui n'admettent
ni routine ni facilité, vous vous portez volontaire pour
les parachutistes. Breveté à Ringway, vous prenez
le commandement du « 3rd French SAS »
qui deviendra le 3ème RCP.
Faut-il encore se remémorer qu'en Aot 1944, le 3rd SAS
sème la confusion derrière les lignes allemandes.
Embuscades, sabotages, coups de main, ces opérations contribuent
largement au succès des armes alliées. Une citation
à l'ordre de l'Armée récompense votre régiment.
Commandant « à titre fictif », vous
vous distinguez personnellement par un sens inné de la
guérilla et un courage personnel peu commun. En effet,
vous ramenez, sous le feu de l'ennemi, un de vos officiers mortellement
blessé. Le monument international des SAS, à Sennecey
le Grand, commémore les sacrifices du « 3rd
SAS » durant ces opérations.
Nommé enfin, définitivement, chef de bataillon,
vous créez en 1945 le Centre Ecole de Parachutisme Militaire
de Lannion, puis celui de Pau-Idron.
Faut-il souligner que l'année 1947 est l'année
o vous vous portez à nouveau volontaire ; cette fois
pour l'Indochine. Vous y commandez la Demi Brigade Coloniale de
Commandos Parachutistes SAS pour la conduire à la bataille
en de multiples occasions, sur tout le territoire indochinois
jusqu'en juillet 1948.
En 1949, de retour dans cette Bretagne natale que vous
adorez, vous êtes promu lieutenant-colonel et formez les
jeunes paras de la 1ère DBCCP que vous commandez ensuite,
de 1950 à 1952 à la tête des TAP du Sud Indochine.
Ne supportant pas la routine, vous participez à toutes
les opérations d'un bout à l'autre de l'Indochine.
Faut-il dire aussi qu'homme de réflexion, vous commencez,
à ces occasions, à vous interroger quant au but
de guerre poursuivi, à la manière dont les opérations
sont conduites et, constatant la pauvreté en matériel
du Corps expéditionnaire et les nombreux accidents qui
en résultent, quant à la volonté du gouvernement
de gagner ce conflit.
Faut-il évoquer encore cette période o Chef de
corps de la 1ère DBCCP, puis auditeur à l'Institut
des Hautes études d'Administration Musulmane, en 1953,
vous faites un temps d'Etat-major à Alger, avant de
rejoindre le 2ème RPC dont, vous prenez le commandement
en novembre 1955 après avoir été nommé
colonel.
Un an plus tard, le 5 novembre 1956, il y aura 50 ans cette année,
vous sautez avec le 2eme RPC sur Port Sa¥d et y défaites
l'armée égyptienne par une manèuvre toute
d'audace et de décision qui reste un modèle du genre.
Quelle amertume alors que de voir, après l'arrêt
de l'offensive franco-britannique, parader quelques jours plus
tard ces mêmes officiers égyptiens dont vous aviez
reçu la reddition tremblante. Le peu de vigueur morale de nos
gouvernants de l'époque ne vous échappe pas.
Faut-il rappeler que de 1957 à 1959, vous commandez à
Bayonne la Brigade de Parachutistes d'Outre-Mer. En 1960, auditeur
à l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale
et au Centre des Hautes Etudes Militaires -"l'école
des maréchaux"-, vous êtes alors promis aux
plus hauts échelons militaires.
Faut-il mentionner cette période douloureuse de votre
vie o, fervent défenseur de l'Algérie française,
et fidèle à vos convictions, vous désertez
en janvier 1962 pour réapparaître au commandement
de l'O.A.S. de l'Est algérien. Condamné à
mort en 1965, vous passerez sept ans de clandestinité à
l'étranger en y mettant au point le fruit de vos études
personnelles.
Faut-il enfin dire que c'est là que germeront toutes les
idées qui deviendront la trame des 5 ouvrages qui font
référence sur votre vie, vos conceptions de l'action,
de la contrerévolution et vos convictions profondes.
Faut-il évoquer tout cela ?
Vous nous quittez aujourd'hui, Pierre Chateau Jobert.
Votre famille plongée dans le deuil vous pleure. Nous
nous inclinons devant sa douleur. Cette douleur qui habite aujourd'hui
tous ceux qui sont ici présents.
Maintenant vous commencez le dernier voyage et vous rejoignez
tous vos frères d'armes, tous ceux qui vous ont précédé
d'Angleterre, d'Erythrée, de Libye, de Syrie, ceux
de Bretagne, de Lannion, de Pau, ceux d'Indochine, d'Algérie,
de Port Saïd, du Niger qui étaient avec vous, à
vos côtés, devant vous, vos chefs, vos officiers,
sous-officiers et parachutistes. Oui, ils sont tous là.
Innombrables, en rangs serrés, ils vous entourent.
Autour de vous aussi, c'est nous vos amis, vos compagnons, les
parachutistes d'aujourd'hui qui se serrent une dernière
fois autour de vous. Nous sommes une foule faite de tous ceux
présents ou absents, morts ou vivants qui vous ont accompagné
à un moment ou à un autre de votre exceptionnel
parcours. Cette cohorte sans fin de soldats illustres, prestigieux,
obscurs, modestes, marche à vos côtés et vous
accompagne.
Vous nous quittez Pierre Chateau Jobert mais votre destin exemplaire
continuera d'éclairer longtemps encore la route des parachutistes
d'aujourd'hui et de demain. Vous resterez pour tous ceux qui suivent
un modèle emblématique, une figure de proue des
parachutistes, un légende vivante.
Mon Colonel, après cette destinée de légende,
Commandeur de la Légion d'honneur,
Compagnon de la Libération,
Onze fois cité, dont 10 palmes
Deux fois blessé,
Titulaire de la croix de guerre 39/45,
de la croix des théâtres d'opérations
extérieures,
de la DSO,
médaille de l'Aéronautique,
médaille d'or de l'éducation physique et de nombreuses
décorations étrangères,
Vous allez enfin trouver le repos et la paix.
Mais vous rentrez dans le Panthéon de la famille parachutiste
qui vous salue avec déférence, considération
et admiration.
Au nom de tous les parachutistes du monde entier qui vous ont
connu, de tous ceux qui sont ici présents, de tous ceux
qui vous ont aimé, apprécié de tous ceux
que vous avez commandé, je vous exprime, mon Colonel, toute
notre immense reconnaissance pour les services éminents
que vous avez rendus aux troupes aéroportées et
à la Patrie. Nous nous inclinons devant votre dépouille.
Que Dieu vous garde dans le repos éternel, la paix de
l'âme et la lumière. Que notre patron Saint-Michel
vous accueille auprès de lui et vous réserve une
place privilégiée au paradis des parachutistes.
Je compte du fond du coeur sur notre Patrie pour vous rendre
officiellement l'infinie reconnaissance qu'elle vous doit pour
l'ensemble des services que vous lui avez offerts et qui font
partie intégrante de notre histoire de France.
Mon Colonel, la France, les parachutistes recueillis et en deuil,
vous saluent solennellement une dernière fois. Ils ne vous
oublieront jamais.
Tous, ici, le coeur déchiré, nous vous disons ADIEU
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