Il y a peu de temps,
sur une route du Var aux environs du Thoronet et de sa magnifique Abbaye,
j'ai trouvé, sur la route, un sac.
Un banal sac de jute.
C'est alors qu'une foule de merveilleux souvenirs
m'ont envahi. Je pense qu'en Oranie et, aussi. en Algérie le
sac est l'objet qui a le plus contribué à la colonisation.
A I'origine donc ces sacs étaient achetés. ou fournis.
par les coopératives agricoles et destinés à recevoir
les récoltes de céréales et de légumineuses.
Pendant les transports, beaucoup de sacs étaient abîmés.
Après réparation (réparation par qui?) ils étaient
revendus aux agriculteurs comme sacs réformés.
C'est un sac semblable que je venais de trouver avec sa trame de jute
particulière, ses inscriptions à demi effacées
(en général SAINT-FRERES) et son odeur particulière.
J'ai, revu, alors, toutes les utilisations de ces sacs dans la ferme
de ma jeunesse. (Mes parents n'ont jamais habité ailleurs qu'à
la Ferme !)
Les ouvriers, en rentrant
un des coins dans l'autre, formaient un capuchon et s'en servaient comme
protège tête, quand ils travaillaient comme porte-faix,
ou d'"imperméable" les rares fois où il pleuvait.
Les sacs servaient d'essuie-pieds dans les maisons et devant le seuil
des portes. Les sacs servaient de rideaux aux ouvriers, ouverts dans
le sens de la longueur ils protégeaient des mouches, de la luminosité
et des regards indiscrets. Les sacs servaient de matelas : -Remplis
de paille ou de crin végétal et cousus bouche à
bouche, ils servaient de couchage pendant les vendanges, au veilleur
de nuit dans la cave. -Remplis d'algues sèches, ils devenaient
matelas pour les pêcheurs dans les cabanons.
Pendant l'été à
la ferme (avant 1942 date de l'électrification des campagnes
dans le Temouchentois) mon père ramenait de la ville, une fois
par semaine, le jour du marché, une barre de 15 kg de glace dans
deux ou trois sacs. Les autres jours les boissons étaient conservées
dans des bouteilles entourées de morceaux de sacs. soigneusement
cousus et soigneusement arrosés d'eau, pour maintenir les contenus
un peu frais, (malheur à nous quand il trouvait les enveloppes
des bouteilles desséchées).
Toutes les provisions non fragiles (pain-conserves-sucre
en pain de 2 kg.) étaient transportées dans des sacs.
Les poissonniers et les pêcheurs professionnels et amateurs disposaient
toujours sur le poisson. pendant le transport, un sac mouillé,
d'eau de mer si possible.
Les pêcheurs amateurs mettaient le bromitche
dans un sac, maille large si possible, qu'ils attachaient à l'ancre
du bateau pour attirer le poisson.
Les moissonneurs avant l'ère des machines avaient tous autour
de la taille, un tablier en sac.
Dans
les caves il y avait, toujours, des morceaux de sac pour assurer l'étanchéité
des bondes (gros bouchons en bois) des tonneaux.
Les jours de grande lessive le linge blanc déjà
lavé était empilé dans de grands chaudrons et au
dessus du linge les laveuses disposaient un sac ouvert dans le sens
de la largeur sur lequel elles entassaient des cendres qu'elles arrosaient
d'eau chaude; le liquide chargé de cendres. à forte teneur
en potasse, s'écoulait à travers le sac et blanchissait
le linge (cendre en Arabe = Rmad qui a donné RAMDA et RAMADAN)
Mais,
en blanchissant le linge, les cendres blanchissaient aussi le sac qui
se décolorait, devenait presque blanc et s'appelait alors un
cendrier. Les cendriers, soigneusement rangés par ma mère,
servaient, ensuite, à diverses utilisations ménagères:
transport du linge propre, conservation et transport des charcuteries,
surtout les jambons. Une utilisation particulière de ces cendriers
me remplit de nostalgie.
Lorsque
mon père partait travailler loin de la ferme d'origine, ma mère
préparait un repas froid, ou à réchauffer, qu'elle
rangeait dans un panier à vendanges en bois de châtaignier,
préalablement tapissé d'un cendrier dont elle rabattait
les bords sur les provisions (provision en un certain dialecte arabe
se dirait MOUNA ?? (à vérifier)).
Dans toutes les fêtes de village il y avait une course en sac.
Mais l'utilisation la plus insolite et la plus touchante je l'ai vue
un été, au cours des dépiquages du temps des batteuses.
L'entrepreneur de battages du village, employait, surtout, des Saharaouis
qui venaient chaque année, du Grand Sud. Il y avait parmi eux
le doyen, l'ancien le m'allem. Un soir, après le travail et après
son maigre repas, nous l'avons vu ranger sa gamelle avec une vieille
veste, dans un sac et d'un air entendu du genre "à moi on ne
me la fait pas" et un regard plein de malice comme en avaient ces vieux
noirs il a fermé son sac avec une vieille chaîne et un
vieux cadenas.
Dr. André BERNARD
(Echo de l'Oranie n°255, Mars-avril 1998)