19 mars 1962
: un faux anniversaire pour un faux armistice
Créé en 1961 pour venir en aide aux
victimes de la guerre d'Algérie, le « Secours de
France » poursuit cette mission, majoritairement en faveur
des anciens harkis et de leurs familles. On trouvera, ci-après,
publié par l'association, un texte de M. René
Mayer, pied-noir, polytechnicien et haut fonctionnaire, qui
participa à hélaboration et à la mise en
uvre du plan de Constantine. il rétablit la vérité
politique et juridique sur ce qu'Il est convenu d'appeler les
« accords d'Evian » et le cessez-le-feu, décidé
lors de sa signature, avec effet au 19 mars 1962.
La FNACA (1),
une organisation d'anciens combattants de la guerre d'Algérie,
d'un genre un peu « orienté », fait campagne
auprès des Maires de France pour que dans chaque ville,
une rue ou une place porte le nom du 19 mars 1962. Cette
date est celle de la signature des prétendus « accords »
d'Évian.É
La FNACA est la seule association
d'anciens combattants à poursuivre cet objectif. Pour
commémorer le souvenir des morts de la guerre d'Algérie,
les autres préfèrent la date du 5 décembre.
En faisant état auprès
des élus locaux du nombre d'adhérents qu'elle
revendique sur leur territoire, en se présentant faussement
comme la seule organisation à représenter les
soldats du contingent envoyés en Algérie, elle
obtient souvent satisfaction de la part d'élus qui ne
sont pas toujours bien informés. Ceux qui osent protester
contre la célébration d'une date aussi discutable
sont présentés par la FNACA et par les partis
qui la soutiennent comme des adversaires de la paix, des «fascistes»,
voire des tueurs.
Le 26 mars 2008, décorations
pendantes et drapeaux en tête, des délégations
d'anciens combattants de lÕArmée dÕAfrique remontaient
les Champs-Élysées pour aller sous lArc de Triomphe
raviver la flamme et rendre hommage à leurs morts. Désireux
de me joindre à eux, j'ai dû traverser un rideau
de jeunes contre-manifestants communistes. Battez tambour, résonnez
trompettes ! Ils scandaient : « O-A-S, a-ssa-ssins! O-A-S,
a-ssa-ssins!» Rien de moins ! Je ne me suis pas vraiment
senti concerné. Je n'ai jamais fait partie de l'OAS,
ni assassiné personne. Et, pour parler d'assassinat,
la date du 26 mars m'a paru mal choisie par ces jeunes
gens (2). S'ils avaient
fait moins de vacarme, j'aurais pu leur apprendre bien des choses
qui se sont déroulées alors qu'ils n'étaient
pas nés et que j'avais déjà été
lieutenant à El Milia.
Par exemple, j'aurais pu leur expliquer
ce qui s'est réellement passé le 19 mars 1962.
Et quelles en ont été les conséquences.
Pour moi, cette journée a
été marquée par un douloureux événement
personnel.
J'avais un cousin : Henri Vernède,
un valeureux ancien combattant de la Grande Guerre. Il était
conseiller général et, aimé de tous, avait
été élu Maire de Randon, une petite commune
de la plaine de Bône (aujourd'hui Annaba). Randon était
tout proche de Penthièvre, le village fondé en
1853 par mes trisaïeux. Randon était également
proche de Mondovi où avait vécu le père
d'Albert Camus, mort pour la France en 1915. Le père
du Maréchal Juin y avait été gendarme.
Dans ce petit monde rural où chacun se connaissait, Henri
avait épousé une fille Mayer. Ce jour du 19 mars
1962, il avait été convoqué à Bône
par le Préfet. Ce dernier voulait, je suppose, commenter
à l'intention des élus du département les
« accords » d'Évian dont l'encre n'était
pas encore sèche. Le gendre d'Henri lui servait de chauffeur.
Après la réunion chez le Préfet, sur la
route du retour, à la sortie de la ville, à hauteur
de l'embranchement vers Morris, Henri Vernède et son
gendre ont été arrêtés par un barrage.
Tous deux ont été sauvagement massacrés.
Si ce double assassinat n'avait
pas été emblématique de cette journée
que la FNACA entend célébrer, je ne me serais
pas permis d'évoquer ce lamentable drame dans ces colonnes.
Le temps des revanchards
Les « accords » d'Évian
étaient censés ramener la paix. L'armée
française avait reçu l'ordre de rester cloîtrée
dans ses cantonnements, et de n'intervenir qu'en cas de légitime
défense. Le champ était donc libre pour que déferle
une violence qui depuis des mois ne s'était plus manifestée
dans ce département pacifié. Les ouvriers de la
onzième heure forment toujours des revanchards de la
pire espèce (3)...
Dans l'année qui a suivi
le prétendu « cessez-lefeu » du 19 mars 1962,
il y eut plus d'enlèvements, d'assassinats et de disparitions,
tant de musulmans profrançais que de civils européens,
que durant les années de guerre précédentes.
Le pire massacre fut, bien sûr, celui des Harkis. L'armée
française avait reçu l'ordre de les désarmer.
Il lui était également et formellement interdit
de les embarquer pour les mettre à l'abri en Métropole
(4). Ils firent l'objet de
massacres massifs précédés des plus sauvages
tortures. Les évaluations les plus modérées
estiment à 80.000 le nombre de leurs victimes. D'autres
avancent des nombres sensiblement plus élevés.
En juin 1962, malgré l'exode
provoqué par les enlèvements d'Européens,
ceux-ci étaient encore environ 200.000 prêts à
tenter de rester dans leur patrie, l'Algérie, fût-elle
devenue indépendante. Ë Oran, le 5 juillet 1962, au lendemain
de la proclamation de l'indépendance, ils furent victimes
d'une tuerie de masse. Elle fit plusieurs milliers de morts.
Plus discrets parce que répartis sur l'ensemble du territoire,
mais ayant fait au moins autant de victimes que les massacres
d'Oran, les enlèvements d'Européens continuèrent
durant près d'un an. Les dépouilles de ceux qui
ont disparu n'ont jamais été rendues à
leurs familles. Il faudrait, on ne sait où, pouvoir fouiller
des charniers. Leurs noms sont coulés dans le bronze
sur un mur de Perpignan. La présence de ce mur accusateur
dérange. Certains voudraient le voir disparaître
comme a disparu la stèle de Marignane. N'hésitant
pas à inverser les rôles, ils prétendent
que ce mutr dédié aux victimes fait l'apologie
des crimes de l'OAS.
Les Harkis et les Européens
d'Algérie n'ont pas été les seules victimes
du retrait de l'armée française après le
19 mars 1962. L'armée a également abandonné
derrière elle les dépouilles de plusieurs centaines
de jeunes soldats, tant métropolitains que pieds-noirs
(5). Leurs corps n'ont pas
fait l'objet de réclamations aussi insistantes que celles
que les USA ont présentées au Viet-Minh, et Israël
aux Palestiniens.
Vous avez dit « accords
» ?
Ainsi, la signature des prétendus
« accords » d'Évian n'a ni interrompu la
tuerie, ni permis de récupérer les corps. A-t-elle
au moins jeté les bases d'un accord entre la France et
l'Algérie ?
En réalité, au sens
juridique du terme, il n'y a jamais eu d'« accord »,
en 1962, entre la France et l'Algérie. D'abord, le terme
même d'« accord » ne figure nulle part dans
le corps du document signé à Évian. Seule
la couverture de l'opuscule édité a posteriori
par la Documentation française le porte. Mais il ne figure
jamais dans le texte lui-même. Ë la seconde page, on ne
parle déjà plus d'accord mais « des Déclarations
d'Évian ». Entre accord et
déclaration, il y a plus qu'une nuance.
Dans ses interventions publiques,
le général De Gaulle a d'ailleurs pris bien soin
d'éviter de prononcer le terme « accord ».
Il utilisa soit le terme « déclarations »,
soit des circonlocutions telles que « les conclusions
des négociations d'Évian ». A défaut
d'en adopter la forme, le document signé à Évian
contient-il au moins le fonds d'un « accord » ?
Aut rement dit, définit-il les droits des deux parties
et les obligations que chacune s'engage à respecter ?
Nullement. Le document est entièrement
rédigé au futur. Il ne formule qu'un certain nombre
d'intentions. Il ne précise jamais quelle partie est
liée par ces intentions ni ce qui se passerait si celles-ci
n'étaient pas suivies d'effet. Par qui le texte est-il
signé ? Côté français, on peut admettre
que les délégués du gouvernement (Louis
Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie) engageaient la parole
de la France. Mais en face ? Les émissaires du FLN (Krirn
Belkacem, Saad Dahlab, Ben Tobbal, M'hamed Yazid) ont signé
sans jamais préciser quelle personne morale ils représentaient.
C'est ainsi qu'a été tournée une difficulté.
En effet, s'ils avaient engagé le Gouvernement provisoire
de la République algérienne, leur présence
à une table de négociation, face à des
émissaires du gouvernement français, aurait valu
reconnaissance de facto du GPRA par le général
De Gaulle. Trop compromettant tant que l'affaire n'était
pas complètement bouclée!
De ce fait, les délégués
algériens devaient, après signature, retourner
à Tripoli faire avaliser par le GPRA et par le CNRA (6)
le texte qu'ils avaient signé. Mais à Tripoli,
sous l'influence du colonel Boumediene, chef des armées,
le GPRA refusa de « couvrir » les émissaires
qu'il avait lui-même envoyés à Évian.
Quel juriste international oserait accorder la moindre portée
juridique (7) à un
document établi dans des conditions aussi rocambolesques?
Dans la pratique, les déclarations
d'intention d'Évian n'ont servi qu'à donner une
forme symbolique au transfert de pouvoir de la France au FLN.
C'est à peu près tout. Et c'est bien parce que
ces prétendus « accords» n'ont jamais eu
de portée juridique que, bien que des clauses essentielles
n'aient pas été respectées (8),
le gouvernement français s'est toujours refusé
à saisir le Tribunal international de La Haye. Ils n'ont
d'autre valeur que celle d'une déclaration d'intention
unilatérale de la France, cosignée par quatre
personnalités algériennes non accréditées.
Pourtant, le comble de la clownerie
diplomatico-juridique était encore à venir. Le
transfert de pouvoir eut bien lieu dans les formes prévues
par les "accords". Le 3 juillet 1962, l'Exécutif
de transition présidé par Abderrahmane Farès
céda à Alger la place au GPRA présidé
par Youssef ben Kheddha. Des élections « démocratiques
» devaient suivre. Mais le 3 septembre 1962, franchissant
les frontières que l'armée française ne
verrouillait plus, les troupes et les services spéciaux
du colonel Boumediene renversaient Ben Khedda, pour le remplacer
par le couple Ben Bella-Boumedienne. Ainsi, les adversaires
les plus résolus des prétendus « accords
» étaient-ils désormais chargés de
leur mise en uvre!
Enfin la « quille »!
Le cessez-le-feu du 19 mars n'a
donc ni stoppé les tueries, ni jeté les bases
d'un accord sérieux entre la France et l'Algérie.
Rien à voir avec l'armistice du 11 novembre 1918! Quelle
est donc sa signification ? Qu'est-ce qui peut bien justifier
qu'on veuille célébrer cette date funeste ? Que
les Algériens la commémorent, on le comprend.
Mais nous, pourquoi ? Bon sang! Mais c'est bien sûr !
Le 19 mars annonçait « la quille ! » (9)
Les « p'tits gars du contingent » allaient rentrer
à la maison ! Qu'importait ce qu'ils laissaient derrière
eux ? Ë Christian Fouchet, dernier représentant de la
France en Algérie, le général De Gaulle
aurait donné pour consigne: « Débarrassez-moi
de ça dans les trois mois ! ». « ‚a »,
ce n'était que deux ou trois millions de Français,
familles comprises (un million de Pieds-noirs et deux
millions de Français musulans, engages politiquement
et militairement aux côtés de la France). Ces derniers
n'avaient plus les moyens de se défendre puisqu'on leur
avait préalablement retiré leurs armes. Quant
aux Européens, ils n'avaient le choix qu'entre abandonner
tous leurs biens et le pays de leurs ancêtres ou risquer
d'être massacrés (comme à Oran) ou enlevés
(comme les « disparus »).
Que, sans prendre la mesure de leurs
responsabilités envers leurs concitoyens européens
et musulmans qu'ils abandonnaient, des jeunes gens irresponsables,
ignorant tout de leur Histoire (l0),
aient éprouvé de la joie à la perspective
de rentrer chez eux en Métropole, qu'ils aient même
gaiement fêté cette "quille", on peut
le comprendre, même si cela fait mal.
Mais que des hommes dâge mûr,
nantis de responsabilités locales ou nationales, se prêtent
quarante-six ans plus tard à de telles manipulations
de la mémoire, est un outrage au sens républicain
de la solidarité nationale.
René MAYER
Commandeur de la Légion
dhonneur
Auteur de « Algérie, mémoire déracinée
» (L'Harmattan) et de "Français d'Afrique
du Nord, ce qu'ils sont devenus" (chez l'auteur).
NDLR :
Plusieurs municipalités, notamment en région
parisienne et, en dernier lieu, la ville de Rueil-Malmaison,
estimant avoir été abusées par la FNACA,
ont débaptisé les rues, squares ou monuments,
porteurs de plaques commémorant le « 19 mars 1962
».
1
Fédération Nationale des Anciens Combattants d'Algérie
2
Voir notamment « Une ténébreuse affaire:
la fusillade du 26 mars 1962 à Alger » par l'historien
Jean Monneret. Ed. L'Harmattan. Mars 2009.
3
En France aussi, en 1945, nous en avons connu de ces «
combattants » plus doués pour assassiner les civils
et tondre les femmes que pour monter au maquis ou rejoindre
une armée régulière.
4
Directive du ministre d'État Louis Joxe n- 12511GAA du
16 mai 1962, suivie par une directive du ministre Pierre Mesmer
menaçant les cadres de l'armée.
5
La Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives
a recensé 386 militaires "morts pour la France hors
guerre" en Algérie après le 2 juillet 1962.
6 Conseil National de la Révolution Algérienne.
7 Voir « Algérie, mémoire déracinée
». René Mayer. Édition L'Harmattan 1999,
pages 223 à 228.
6
Conseil National de la Révolution Algérienne.
7
Voir Algérie, mémoire déracinée.
René Mayer. Edition l'Harmatan, 1999, pages 223 à
228.
8
« Les droits de propriété » des Européens
d'Algérie devaient être « respectés
» ou devaient faire l'objet de « l'octroi d'une
indemnité équitable préalablement fixée
», ces mêmes Français d'Algérie devaient
disposer d'« une juste et authentique participation aux
affaires publiques », et aux « diverses branches
de la fonction publique » algérienne, « les
textes officiels » devaient être « publiés
ou notifiés dans la langue française »,
« la mise en valeur des richesses du sous-sol »
saharien devait avoir « un caractère paritaire
» etc.
9
Terme d'argot désignant la fin d'un service militaire...
ou le dernier jour d'une peine de prison.
10
Par exemple, on leur a caché et on leur cache toujours,
la part cruciale prise par les Français européens
et musulmans d'Afrique du Nord dans leur libération du
nazisme. Le petit peuple pied-noir (un million d'habitants)
a eu plus de morts au combat de 1943 à 1945, que toute
l'armée française (pieds-noirs compris) durant
les huit années de Io guerre d'Algérie.