Jean-Louis SIBEN

Nice, le 10 avril 2002

à Madame Annie REY-GOLDZEIGUER

aux bons soins de l’Express

 

Madame,

J’ai lu avec intérêt votre article "France-Algérie 1830-2002" paru dans l’Express n°2645 du 14 mars 2002.

Je n’y ai pas retrouvé le pays où j’ai travaillé plusieurs décennies, mais plutôt sa caricature, à croire que vous ne l’avez vous-même pas bien connu…

L’Algérie n’abritait ni une nation, ni une patrie, ni un peuple.

Pour les avoir côtoyés, dirigés et commandés, j’ai pu mesurer l’incompréhension, la méfiance et même l’hostilité qui séparaient les groupes humains Kabyles et "Arabes", même à l’intérieur de chacun d’eux.

C’est la loi française qui assurait leur cohabitation pacifique.

Vous affirmez que les deux communautés indigène et européenne étaient "opposées", "le racisme profond étant finalement l’unique idéologie pied-noir" : slogan primaire de dénigrement systématique, car la réalité était plus fine.

Les communautés indigènes et l’européenne étaient séparées par leur langue, les mœurs et les traditions, religieuses en particulier, mais ne s’opposaient ni ne se méprisaient pour autant : elles se savaient différentes, s’acceptaient comme telles et s’accordaient fort bien dans la vie quotidienne.

Autrement pourquoi le FLN aurait-il dès le début jugé nécessaire de terroriser affreusement "l’indigène" pour l’obliger à se dresser contre "l’européenne" ? En vain d’ailleurs, il n’y a pas eu de soulèvement populaire spontané en 1954, ni même provoqué ensuite : sinon la première aurait vite balayé la seconde, à 9 contre 1 !

Et où placez-vous la communauté juive : algérienne ou française ? Implantée dans le Maghreb bien avant l’introduction de l’Islam, évoluée "à l’européenne" (grâce ou malgré l’abandon de son statut personnel ? ) et chassés par le FLN ?

"Peur et violence étaient contextuelles de la colonisation" (Montaigne aurait écrit à… ) : autre slogan dogmatique.

Vous ignorez l’attachement réciproque, confiant et souvent affectueux, qui liait les patrons et colons européens à leurs ouvriers et voisins indigènes, comme aussi les instituteurs à leurs écoliers.

Et pourquoi les ouvriers préféraient-ils s’embaucher chez un patron ou colon européen plutôt qu’indigène ?

Le FLN ne s’en est-il pas pris dès le début aux écoles, en les brûlant avec les instituteurs, indigènes comme européens ? et aussi aux centres agricoles, qui distribuaient aux fellahs aides, semences sélectionnées, matériel et conseils techniques ?

"La France discréditée"… mais pour laquelle les indigènes s’engageaient nombreux dans l‘armée d’Afrique, restant fidèles jusqu’à la fin…

Et les Harkis, dix fois plus nombreux que les fellaghas ?

Vous occultez les manifestations de loyalisme de mai 1958, où des foules énormes venues de tout le bled algérien ont clamé leur rejet de la terreur FLN et leur volonté de rester dans la paix française : évènement historique d’une portée considérable même au sein des rebelles, mais systématiquement ignoré et même méprisé par les "intellectuels" et gouvernants parisiens.

Sans doute ce que vous appelez "la lutte à mort entre les Algériens et Français"…

Vous assimilez "colonisation" et " exploitation, pillage du pays"

Mais tout le monde sait que les indigènes redoutaient certaines terres, comme les plaines de la Mitidja et de Bône, qui n’ont été asséchées que grâce à l’acharnement de générations de colons européens, au prix d’une mortalité effroyable : elles sont alors devenues des bassins d’emploi très importants pour les indigènes… comme les hautes terres de pâturages nomades quasi-désertiques, "dé-cailloutées" et ensemencées par les colons.

Terres le plus souvent achetées, comme d’ailleurs la mosquée de la Ketchawa, à demi-ruinée, pour laquelle le muphti d’Alger a tenu à remercier le général-gouverneur "d’avoir payé ce qu’il pouvait prendre"…

La "colonisation-occupation" a permis aux populations de sextupler en 130 ans, tout en améliorant constamment leur bien-être, a laissé un pays équipé en état de fonctionner, et un tel souvenir que les "colonisés" viennent par millions chercher refuge et pain chez le "colonisateur" : quelle démonstration !

La faillite de l’Algérie indépendante fait dire aux enfants de Harkis que "ce sont bien leurs parents qui avaient raison"

Pourquoi les pieds-noirs sont-ils si bien accueillis par leurs anciens ouvriers, employés ou voisins, quand ils retournent "au pays" ?

N’est-ce pas M.Bouteflika, si méprisant pour la France, qui a demandé aux pieds-noirs de revenir, avec leur ardeur et savoir-faire ?

C’était la locomotive, dont le FLN imaginait prendre la place, à l’issue d’une guerre civile de type révolutionnaire, sous couvert d’un combat pour l’indépendance du peuple : mais les wagons n’ont pas avancé…

Je ne me prétends ni "historien" ni "spécialiste", mais ce que je peux apprécier de "votre" histoire me fait douter de la véracité de tout le reste : exagération n’est pas raison…

Avec mes salutations.

 


Mise en page le 15/12/2002 par RPr