Assi-Mefessour est un puits assez abondant
et dont les eaux sont potables. Il disparaît parfois, au printemps,
sous une nappe d'eau, et, en hiver, il forme une espèce de mare.
La plaine, toute défrichée et bien cultivée, au
centre de laquelle se trouve ce puits, peut avoir de 6 à 8 hectares
de superficie.
Les terrains avoisinants, surtout ceux qui sont
au nord, quoique quelques-uns soient encore couverts de broussailles,
seront presque tous propres à la culture des céréales
lorsqu'ils auront été défrichés. Des irrigations
y seront possibles au moyen de norias. C'est par Assi-Mefessour que,
passent les voies de communication d'Oran à Arzeu, de Goudiel
à Saint-Denis-du-Sig, et d'Oran à Mostaganem
La population d'Assi-Mefessour sera essenciellement
agricole.
M. le ministre de la guerre a désigné,
pour être â la téte du convoi et prendre en même
temps la direction de la Colonie agricole de Saint-Cloud M. Chaplain,
Capitaine du génie
Cet officier, qui, en dernier lieu, faisait partie
de l'armée des Alpes, a servi pendant dix ans en Algérie,
où il a déjà concouru à l'exécution
d'importants travaux, notamment à ceux du barrage du Sig, dans
la province d'Oran.
Avec M. le capitaine Chaplain sont également
attachés au premier convoi M. Labouysse, chirurgien aide-major
au 59e de ligne, et M. Pelicier, adjudant en 1er d'administration
(service du campement)
Toutes les dispositions préliminaires de
l'embarquement ont été confiées, par M. le ministre
de la guerre, aux soins de M. Lecauchois-Féral sous-intendant
militaire adjoint, employé aux Invalides.
Six grands bateaux de 30 mètres de long,
dits toues de la Loire, et couverts d'un cabanage en planches
sont affectés au transport des 843 colons jusqu'à Châlon.
Chacun de ces bateaux contient habituellement 250 à 300 passagers.
Mais, sur les observations de la commission des colonies agricoles et
de l'administration de la guerre, l'installation a été
faite de manière à réduire ce chiffre à
180 individus afin de leur assurer ainsi une plus grande commodité
pendant la durée du trajet,
Les bateaux sont divisés en deux chambres,
de la contenance de 90 personnes et, qui seront éclairées
la nuit, par deux fanaux ; dans chaque chambre, il y a quatre rangs
de banquettes de 55 centimètres de large, deux adossées
aux bords du bateau et destinées de préférence,
aux femmes et aux enfants,; les deux dans le milieu du bateau avec dossiers.
Entre les banquettes règne un corridor de 1 mètre 5 centimètres,
ce qui laisse la circulation tout à fait libre.
Le cabanage en planches est mobile; il se. Ferme
et s'ouvre à volonté, de dix en dix pieds suivant le beau
ou le mauvais temps. A l'arrière et à l'avant des bateaux,
des portes sont menagées pour le renouvellement de l'air.
Quatre, des bateaux contiennent chacun cent
quatre-vingt colons, l'ambulance, un cinquième n'en contient
que quatre-vingts ; un sixième est affecté, aux outils
et bagages. Ils seront remorqués en Seine, deux par un bateau
à vapeur, le Neptune, de cinquante chevaux, et trois par
un autre; le Fulton, de quatre-vingts chevaux.
L'embarquement a commence le samedi 7 octobre, à
sept heures du matin, et a continué toute la journée et
une partie de la nuit. Il a été loisible aux colons de
coucher la nuit de samedi-dimanche à bord.
D'après un ordre de bord, arrêté
par la commission, de concert avec l'entrepreneur du transport,
les colons seront, durant le voyage, formés par groupes de douze
individus avec un chef chargé de maintenir le bon ordre, de recevoir
et de distribuer les vivres aux heures des repas.
Un livret, préparé par la ordres du
ministre de la guerre, a été remis à chacun des
colons chefs de familles : il renferme, outre le décrêt
de l'Assemblée nationale et l'arrêté ministériel,
qui sont la constitution organique des colonies agricoles, toutes les
indications relatives à l'état civil du colon et
de sa famille, et aux diverses prestations qu'il recevra, telles que
: habitation, jardin, terre, effets de couchage, ustensiles de campement,
semences, instruments de culture, cheptel, rations de vivres, et salaires
pour les ouvriers d'art.
Au départ, il leur a été également
remis deux petits volumes : l'un sur l'Etablissement des colonies
agricoles de l'Algérie l'autre renfermant des Instructions
hygièniques et un Manuel du cultivateur algérien,
par M. Jules Vallicr, colon d'Alger. Le titre seul de ces publications
en expliquc l'utilité.
La commission des colonies agricoles assistait au
départ du premier convoi, afin de s'assurer jusqu'au dernier
moment et par elle-même, que ses intentions, et celles du Gouvernement
ont été fidèlement remplies, et que, pendant le
voyage, rien ne manquera au bien-être des colons.
M. le ministre de la guerre était aussi venu
assister au départ et remettre aux colons un drapeau portant
cette inscription, d'un côté : Liberté, Egalité,
Fraternité. Colonies agricoles de l'Algérie. - Départ
de Paris, 8 octobre 1848. De l'autre : République Française.
- Province d'Oran, Commune de Saint-Cloud .
M. le général de Lamoricière,
en confiant le drapeau de sa première colonie à un officier
de la garde nationale de Paris, M. Gossclin, un des colons, a prononcé
le discours suivant, qui a vivement impressionné les nombreux
assistants :
" Chers concitoyens, au moment où vous
quittez Paris pour aller chercher par delà les mers cette France
nouvelle qui vous attend, je viens vous apporter les voeux
du gouvernement de la République pour le succès de votre
entrcprisc, qui est celle de la patrie tout entière.
" La colonisation de l'Algérie est 1a
grande chosc, la plus grandc peut-être que la France ait à
entreprendre de nos Jours. C'est l'entreprise du pays tout entier, car
vous êtes ses enfants, et il vous suivra d'un il plein d'intérêt
et de solicitude au milieu de ces plaines qu'on va vous partager ; c'est l'entreprise
du pays tout entier, car ces millions qui doivent assurer votre bien-être
et celui de vos familles, ce sont les représentants de toute
la France qui les ont vôtés; ils sont. fournis par l'impôt
que payent tous vos concitoyens ; c'est le sacrifice de ceux qui possèdent
à ceux qui ne possèdent pas, pour assurer leur avenir
par la propriété.
" Le Gouvernement de la République connaissait
vos souffrances, toutes vos douleurs, permettez-moi de dire toutes vos
misères. Depuis longtemps, il est fermement décidé,
à y porter un remède ; mais ce qu'il veut, c'est un remède
efficace durable, définitif, pour ceux-là du moins qui
voudront chercher l'aisance par les seules voies, qui puissent y conduire,
le travail et la moralité.
" Ce n'était point un remède
que ces travaux factices auxquels grand nombre d'entre vous ont peut-être
été employés ; ils épuisaient le trésor,
sans qu'on pût apercevoir une limite aux sacrifices qu'ils imposaient.
"L'activité reviendra sans doute, à
la plupart de ces industries qui vous donnaient jadis un salaire ; mais,
croyez-moi, le luxe de la monarchie et tout ce qui gravitait autour
d'elle ne reviendra pas de longtemps, s'il doit jamais revenir. C'est
à la terre aujourd'hui qu'il faut aller demander une existence
moins incertaine et qui soit assurée contre les fluctuations
du commerce de luxe et les excès de la concurrence.
" Les travaux que vous allez entreprendre seront
durs et pénibles ; ils seront pour vous Une rude épreuve;
les champs que vous allez défricher sont fertiles, ils seront
à vous; les fruits qu'ils produiront, vous n'aurez point à
les partager, et vous avez la certitude d'arriver à vivre dans
l'aisance avec vos familles.
" Dans cette vie de labeur et d'épreuves,
aidez-vous les uns les autres; n'oubliez pas que la patrie a fait inscrire
sur le drapeau que je vous apporte en son nom le mot de fraternité
! N'oubliez pas ce mot sublime, que tant de gens ont à la bouche,
et que si peu ont dans le cur ; qu'il ne soit pas pour vous
un vain symbole: pratiquez-la, cette fraternité ; qu'elle
passe dans votre vie, dans vos oeuvres de tous les jours.
" C'est une grande et belle mission que celle
qui vous est réservée, car, en arrivant à l'aisance
et peut-être à la fortune, vous travaillerez encore pour
la patrie. Vous travaillerez pour elle, car c'est à vous qu'il
est réservé de lui assurer à jamais la possession
de cette conquête qui lui a coûté tant d'or et de
sang.
" C'est un travail intelligent et civilisateur
d'achever ce que la force a commencé. La poudre et. la baïonnette
ont fait en Algérie ce qu'elles pouvaient y faire, c'est
à la bêche et à la charrue d'accomplir leurs tâches.
" Vous vous associerez à cette grande
pensée patriotique ; elle soutiendra votre courage et votre persévérance
; ils ne failliront pas, et s'il était besoin de les soutenir,
rappelez-vous que ces plaines, que vous allez féconder
de vos sueurs, ont été longtemps arrosées du sang
de vos frères de l'armée, qui l'ont versé pour
vous et sans espoir de récompense.
" Avant de nous quitter, permettez à
un ancien soldat d'Afrique de vous dire que, si jamais, en défrichant
vos champs, vous trouvez dans les broussailles une croix de bois entourée
de quelques pierres, elle vous demande une larme ou une prière
pour ce pauvre enfant du peuple, votre frère, qui est mort là,
en combattant pour la patrie, et qui s'est sacrifié tout entier
pour que vous puissiez un jour, sans même savoir son nom,
recueillir le fruit de son courage et de son dévouement."
Après ce discours, accueilli des cris : Vive
la République ! vive l'Algérie ! vive la
France ! vive Lamoricière ! et dont la péroraison
touchante a fait couler plus d'une larme, M.. Dufaure a adressé
aux colons les paroles suivantes :
" Citoyens, au nom du comité de l'Assemblée
nationale qui s'occupe des affaires de l'Algérie je viens vous
adresser quelques paroles d'adieu..
" Par les conversations que nous avons eues
avec quelques-uns de vous, avec un grand nombre de vos camarades absents,
nous avons vivement compris l'état de désordre dans lequel
sont jetées toutes les industries qui vous occupent habituellement.
Nous avons cherché, d'accord avec le ministre de la guerre, le
brave général de Lamoricière, un moyen de fournir
à vos bras un travail utile pour vous et pour votre pays; nous
croyons l'avoir trouvé, en vous offrant pour les
cultiver, quelques-unes des terres inoccupées
que la France possède en Algérie. L'Assemblée nationale
a sanctionné nos vues. Une Commission laborieuse et éclairée
a préparé votre départ..
" Ces terres ont été fertiles
autrefois, elles le redeviendront sous le soc de votre charrue. Vous
allez être propriétaires, ne vous figurcz pas que la terre
donne d'inépuisables trésors à qui ne travaille
pas. Non; elle, impose au contraire les plus
combien on s'attache à elle, quel lien sacré
unit la terre à l'homme, quel droit inviolable se forme de l'un
sur l'autre, et à la fin de votre laborieuse carrière,
vous trouverez aussi naturel et aussi légitime de laisser en
héritage à vos enfants la terre que vous posséderez,
que de leur laisser le nom même que vous portez et l'estime dont
vous aurez su l'entourer,
" Il y a quelques années, je vous aurais
parlé des luttes sanglantes engagées dans la province
d'Oran, où vous allez vous établir. Grâce à
l'héroïque vaillance de nos soldats, de nos frères,
il n'en est plus question ; les ennemis que nous y trouvions sont domptés
et soumis. Vous y rencontrerez partout, écrits en caractères
glorieux et ineffaçables, à côté d'autres
noms illustrés, les noms des généraux Cavaignac,
de Lamoricière, Changarnier, Bedeau, et vous ne penserez pas
sans quelque confiance qu'après avoir concouru à
la conquête des champs que la patrie vous donne, ils sont assis
maintenant dans l'Assemblée nationale, veillant sur votre sort
et applaudissant aux succès d'une autre nature que vous obtiendrez,
" Au surplus, songez-y bien ; vous laissez Paris,
mais non pas votre patrie, C'est encore la France que vous retrouvera
là-bas, Là-bas, comme ici, vous jouirez des droits de
citoyens francais, vous concourrez par votre voie à nous envoyer
des collègues à l'Assemblée; là-bas, comme
ici, la République aura les yeux sur vous et étendra sur
vous sa haute et généreuse protection.
" Partez donc avec courage et avec espoir.
Dieu, qui vous donne le pouvoir et la volonté de travailler,
bénira les efforts que vous ferez pour assurer votre avenir et
celui de vos enfants. Et, dans toutes les circonstances, n'oubliez pas
que vous avez, au cur de l'Assemblée nationale, des concitoyens
dévoués qui vous accompagnent et vous suivront toujours
de leurs voeux sincères et fraternels. "
A M. Dufaure a succédé M. Trélat,
président de la commission des colonies agricoles.
" C'est au nom de la commission de colonisation,
a-t-il dit, que je dois vous adresser quelques paroles
" M. le ministre (le la guerre nous a fait
l'honneur de nous désigner pour disposer les éléments
de notre colonie d'Afrique. Depuis douze jours, nous avons passé
avec vous nos heures de jour et de nuit. Vous êtes venus devant
la commission avec vos vieux parents, avec vos femmes et vos enfants.
Nous avons vu vos souffrances; nous avons admiré votre fermeté,
votre courage; nous vous avons tous observés et aimés,
plus encore, s'il est possible, que nous ne vous aimions auparavant,
Nous n'avons dissuadé de leur résolution que ceux auxquels
Dieu n'avait pas donné, la force d'entreprendre un pareil voyage
et de faire les efforts imposés par la colonisation naissante.
Nos refus ont été écoutés avec la même
douceur, avec la mêmc vertu, que notre acceptation
" Ce qui caractérise cette expédition
féconde pour l'avenir, c'est l'esprit de famille que nous avons
étudié chez vous et qui nous a si profondément
touchés dans les rapports que nous venons d'avoir ensemble et
dont le souvenir ne s'effacera pas. Ce que vous avez été
ici, vous le serez en Afrique, dans notre France nouvelle, conquise
par le courage de nos soldats, arrosée de leur sang et que vont
désormais féconder votre ardeur infatigable et vos vertus
populaires.
" Vous trouverez une terre fertile mais, à
laquelle il faut beaucoup de travail, C'est par le travail que vous
deviendrez propriètaires. Famille, propriété, amour
de la patrie, tout est là, chers concitoyens ; et à cet
égard, nous qui vous avons vus de si près, nous trouvons
ici le gage assuré de l'avenir, nous sommes tranquilles sur le
dépôt que vous confie la mère patrie.
" Plus vous avez souffert et plus vous
serez forts ; car ceux-là seuls sont véritablement hommes
qui ont été éprouvés par l'adversité.
La douleur est une puissance que Dieu a donnée
l'homme pour l'attirer à lui et pour l'élever
au-dessus des faibles. Quelles que puissent être les difficultés
que vous rencontrerez, vous saurez les dominer par votre intelligence
exercée, par votre tendresse pour la famille, par votre mâle
vigueur, Vous saurez entreprendre et réaliser tout ce que vous
aurez à faire ; car vous avez avec vous vos femmes, vos enfants
et de plus les leçons du passé et en vue la conquête
de l'avenir.
" Le découragement est impossible, vous
vous appuierez les uns sur les autres. Il y a quelques instants je voyais
pleurer une mère, non par crainte de son départ, mais
parce qu'elle quittait sa mère. Ceux qui l'entouraient lui ont
dit : " Ne pleurez plus, nous qui sommes ici, nous sommes
tous votre famille " Admirables paroles qui se retrouveront plus
d'une fois dans vos bouches, parce qu'elles sont au fond de toutes vos
âmes !
" Adieu ! chers concitoyens, et à revoir;
car nous irons vous visiter dans notre nouvelle France. Faites-la
pareille à celle que vous quittez; fécondez la : tout
son avenir, sa richesse, sa prospérité, sa grandeur sont
en vous. Que Dieu développe ce germe précieux ! A la famille
vous donnerez l'aisance et à la France tous les fruits de sa
glorieuse conquête.
Adieu ! adieu ! Vive la République !"
Ensuite M. le curé de Bercy est venu terminer
la cérémonie par la bénédiction du drapeau
en quelques paroles de fraternité chrétienne unanimement
senties.
Avant le départ, un des colons, M. Rigail,
constructeur mécanicien a entonné le chant des colons,
qu'il a composé sur. l'air des Girondins. Le refrain,
Partons pour l'Algérie,
Allégeons le fardeau de la mère-patrie,