Neuvième départ des colons de l'Algérie.
La population parisienne témoigne toujours
le même empressement et les mêmes sympathies à ces braves ouvriers
qui vont porter le travail et la civilisation sur la terre que nous
avons conquise.
Les allocutions d'adieu et la bénédiction
du drapeau se sont faites à dix heure,s en presence de la commission de colonization, d'un certain
nombre de représentants, de plusieurs maires des municipalités
de Paris et de la banlieue, et sous les regards d'une foule immense.
M. le représentant Dabodan, membre de la
commission, nommé procureur général à Alger, a prononcé le discours
suivant
« Chers
concitoyens,
«Au Moment ces barques vont vous emporter
1oin nous, agréez nos adieux, ils sont pleins d'espérance, recevez
nos souhaits de bon voyage et tous nos voeux pour votre avenir.
«Votre avenir, citoyens. est aujourd'hui
tout entier dans vos mains. L'homme, vous le savez trop peut-être,
rencontre parfois des obstacles qui semblent défier ses efforts;
mais, pour vous, la République a pris soin d'aplanir les difficultés
insurmontables. Elle vous prend à ce rivage et vous déposera dans
quelques jours sur la terre d'Afrique, où déjà vos frères, vos amis,
sont heureusement arrivés ; là, elle veillera sur vous avec la sollicitude
d'une mère ; pendant trois années entières, elle vous portera dans
ses bras, vous et vos familles. En échange des sacrifices considérables
qu'elle fait avec tant de joie pour vous, elle vous demande de la
bonne volonté, une conduite sans reproche, un travail persévérant.
« J'ai prononcé un mot quelquefois mal
compris, je vous en parlerai bien simplement, et je serai entendu.
Je vous dirai : Le travail est la source des plus pures jouissances,
la plus sûre des consolations réservées à l'humanité; le travail
est le meilleur ami de l'homme ; avec la résignation aux décrets
éternels, il est tout le secret de notre bonheur. Sur cette terre
que vous allez habiter, vos frères, nos braves soldats, ont répandu
un généreux sang ; vous n'aurez à lui donner, vous Citoyens, que
le tribut de vos sueurs. M. le ministre de la, guerre disait, il
y a peu de jours, à la tribune nationale - « En Algérie, la
terre. est meilleure qu'en France... «les ouvriers y seront dans
de meilleures conditions que « partout ailleurs. » Acceptez ce présage,
il ne sera pas une promesse vaine; et puis votre récompense ne sera
pas, comme ordinairement, le salaire d'une journée; vous posséderez
la terre que vous aurez conquise par vos rudes travaux.
«
Vous vous associez, citoyens, à une grande uvre, et soyez
fiers de votre résolution ; cette uvre
est toute civilisatrice; elle sera l'honneur et la gloire des temps
modernes.
«
Des noms qui rappellent une autre gloire désigneront les villages,
les villes que vous allez fonder. Lodi,
Montenotte, Damiette, Tipaza, c'est l'Italie, c'est l'Egypte,
c'est l'Afrique romaine qui vous fournissent ces noms; nos armées
triomphantes ont visité tous ces pays. Gardons à ces souvenirs toute
notre admiration ; mais que la paix avec tous ses bienfaits vienne
s'y abriter -et assurer votre bonheur!
«
Laissez-moi vous dire, citoyens, si cette pensée peut vous
sourire, que j'ai connu cette terre où vous allez vous créer
une nouvelle existence, et c'est l'un de mes plus doux souvenirs.
J'y ai vécu aussi d'une vie laborieuse, et comme vous j'y
apportais ma famille, ma femme, mes jeunes enfants. Dieu me les
a conservés ; il vous réserve, espérons-le
bien, la même faveur. Avec tous ceux qui ont habité
l'Algérie, j'ai trouvé qu'on
aimait toujours ce pays quand on l'avait connu ; j'ai senti
qu'on désirait le revoir quand on l'avait
quitté. Que cette idée soutienne vos courages,
si un jour vous les sentiez défaillir.
«
Mais je vous retiens trop longtemps à cette rive. Partez,
mes amis, nous penserons à vous, nous veillerons sur vous.
La République ne cessera de vous couvrir
de sa puissante protection, Nous vous confions aujourd'hui
aux soins intelligents et dévoués d'un officier éprouvé
sous le ciel d'Afrique, distingué par son courage et son
patriotisme ; je lui promets votre soumission et votre reconnaissance.
Un mot encore, je vous prie, car il m'en coûte de vous quitter.
Près de cette croix, symbole auguste de notre divine religion,
près du drapeau de la patrie que nous remettons aux mains
d'un soldat d'élite, d'un excellent citoyen. nous pouvons
bien vous dire, en toute confiance : Allez à la garde de
Dieu et de la République
« Vive la République ! »
Ce
cri a été répété de toutes parts,
et M. le grand-vicaire Deguerry, assisté du curé et
du clergé d'une des paroisses de Paris, et de M. le curé
de la Salpétrière, a prononcé un éloquent
et chaleureux discours, où le prêtre a témoigné
si hautement et avec tant de talent de son patriotique dévouement
et de l'union indissoluble de la religion
et de la République, qu'il a constamment excité
des transports d'enthousiasme et a, été saluè
par d'immenses acclamations.
La
commission, son président en tête, plusieurs représentants
et des membres de toutes les municipalités sont montés
sur le remorqueur, et ont accompagné le convoi jusqu'au Port-à-l'Anglais.
Il a été, comme toujours, suivi sur les bords du fleuve,
jusqu'à cette limite extrême des adieux, par les nombreuses
familles qui venaient reconduire leurs proches. Tout, dans ces départs,
porte l'empreinte de la grandeur de cette entreprise qui ouvre à
la France une source nouvelle de richesse et de puissance.
La direction de ce convoi a été placée,
par M. le ministre de la guerre, sous les ordres de M. Aurel, capitaine
au 59, de ligne, qui a servi longtemps en Algérie, et les services
de, santé et d'administration ont été confiés à M. le docteur Labouysse
et à M. Pellicier, qui ont déjà accompagné le premier convoi.