Le neuvième convoi des colons de l'Algérie

(Moniteur Universel du 10 novembre 1848)

 

Neuvième départ des colons de l'Algérie.

La population parisienne témoigne toujours le même empressement et les mêmes sympathies à ces braves ouvriers qui vont porter le travail et la civilisation sur la terre que nous avons conquise.

Les allocutions d'adieu et la bénédiction du drapeau se sont faites à dix heure,s en presence de la commission de colonization, d'un certain nombre de représentants, de plusieurs maires des municipalités de Paris et de la banlieue, et sous les regards d'une foule immense.

M. le représentant Dabodan, membre de la commission, nommé procureur général à Alger, a prononcé le discours suivant

        « Chers concitoyens,

«Au Moment ces barques vont vous emporter 1oin nous, agréez nos adieux, ils sont pleins d'espérance, recevez nos souhaits de bon voyage et tous nos voeux pour votre avenir.

«Votre avenir, citoyens. est aujourd'hui tout entier dans vos mains. L'homme, vous le savez trop peut-être, rencontre parfois des obstacles qui semblent défier ses efforts; mais, pour vous, la République a pris soin d'aplanir les difficultés insurmontables. Elle vous prend à ce rivage et vous déposera dans quelques jours sur la terre d'Afrique, où déjà vos frères, vos amis, sont heureusement arrivés ; là, elle veillera sur vous avec la sollicitude d'une mère ; pendant trois années entières, elle vous portera dans ses bras, vous et vos familles. En échange des sacrifices considérables qu'elle fait avec tant de joie pour vous, elle vous demande de la bonne volonté, une conduite sans reproche, un travail persévérant.

   « J'ai prononcé un mot quelquefois mal compris, je vous en parlerai bien simplement, et je serai entendu. Je vous dirai : Le travail est la source des plus pures jouissances, la plus sûre des consolations réservées à l'humanité; le travail est le meilleur ami de l'homme ; avec la résignation aux décrets éternels, il est tout le secret de notre bonheur. Sur cette terre que vous allez habiter, vos frères, nos braves soldats, ont répandu un généreux sang ; vous n'aurez à lui donner, vous Citoyens, que le tribut de vos sueurs. M. le ministre de la, guerre disait, il y a peu de jours, à la tribune nationale - « En Algérie, la terre. est meilleure qu'en France... «les ouvriers y seront dans de meilleures conditions que « partout ailleurs. » Acceptez ce présage, il ne sera pas une promesse vaine; et puis votre récompense ne sera pas, comme ordinairement, le salaire d'une journée; vous posséderez la terre que vous aurez conquise par vos rudes travaux.

« Vous vous associez, citoyens, à une grande œuvre, et soyez fiers de votre résolution ; cette œuvre est toute civilisatrice; elle sera l'honneur et la gloire des temps modernes.

« Des noms qui rappellent une autre gloire désigneront les villages, les villes que vous allez fonder. Lodi, Montenotte, Damiette, Tipaza, c'est l'Italie, c'est l'Egypte, c'est l'Afrique romaine qui vous fournissent ces noms; nos armées triomphantes ont visité tous ces pays. Gardons à ces souvenirs toute notre admiration ; mais que la paix avec tous ses bienfaits vienne s'y abriter -et assurer votre bonheur!

« Laissez-moi vous dire, citoyens, si cette pensée peut vous sourire, que j'ai connu cette terre où vous allez vous créer une nouvelle existence, et c'est l'un de mes plus doux souvenirs. J'y ai vécu aussi d'une vie laborieuse, et comme vous j'y apportais ma famille, ma femme, mes jeunes enfants. Dieu me les a conservés ; il vous réserve, espérons-le bien, la même faveur. Avec tous ceux qui ont habité l'Algérie, j'ai trouvé qu'on aimait toujours ce pays quand on l'avait connu ; j'ai senti qu'on désirait le revoir quand on l'avait quitté. Que cette idée soutienne vos courages, si un jour vous les sentiez défaillir.

« Mais je vous retiens trop longtemps à cette rive. Partez, mes amis, nous penserons à vous, nous veillerons sur vous. La République ne cessera de vous couvrir de sa puissante protection, Nous vous confions aujourd'hui aux soins intelligents et dévoués d'un officier éprouvé sous le ciel d'Afrique, distingué par son courage et son patriotisme ; je lui promets votre soumission et votre reconnaissance. Un mot encore, je vous prie, car il m'en coûte de vous quitter. Près de cette croix, symbole auguste de notre divine religion, près du drapeau de la patrie que nous remettons aux mains d'un soldat d'élite, d'un excellent citoyen. nous pouvons bien vous dire, en toute confiance : Allez à la garde de Dieu et de la République

« Vive la République ! »

Ce cri a été répété de toutes parts, et M. le grand-vicaire Deguerry, assisté du curé et du clergé d'une des paroisses de Paris, et de M. le curé de la Salpétrière, a prononcé un éloquent et chaleureux discours, où le prêtre a témoigné si hautement et avec tant de talent de son patriotique dévouement et de l'union indissoluble de la religion et de la République, qu'il a constamment excité des transports d'enthousiasme et a, été saluè par d'immenses acclamations.

La commission, son président en tête, plusieurs représentants et des membres de toutes les municipalités sont montés sur le remorqueur, et ont accompagné le convoi jusqu'au Port-à-l'Anglais. Il a été, comme toujours, suivi sur les bords du fleuve, jusqu'à cette limite extrême des adieux, par les nombreuses familles qui venaient reconduire leurs proches. Tout, dans ces départs, porte l'empreinte de la grandeur de cette entreprise qui ouvre à la France une source nouvelle de richesse et de puissance.

La direction de ce convoi a été placée, par M. le ministre de la guerre, sous les ordres de M. Aurel, capitaine au 59, de ligne, qui a servi longtemps en Algérie, et les services de, santé et d'administration ont été confiés à M. le docteur Labouysse et à M. Pellicier, qui ont déjà accompagné  le premier convoi.