" Ma pensée est que
si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire
colonial du nord de l'Afrique ne se convertissent pas, il se
produira un mouvement nationaliste analogue à celui
de la Turquie : une élite intellectuelle se formera
dans les grandes villes, instruite à la française,
sans avoir l'esprit ni le coeur français, élite
qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera
l'étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses
; d'autre part, la masse des nomades et des campagnards restera
ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane,
portée à la haine et au mépris des Français
par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu'elle
a avec les Français (représentants de l'autorité,
colons, commerçants), contacts qui trop souvent ne sont
pas propres à nous faire aimer d'elle.
Le sentiment national ou barbaresque s'exaltera
dans l'élite instruite : quand elle en trouvera l'occasion,
par exemple lors de difficultés de la France au
dedans ou au dehors, elle se servira de l'islam comme
d'un levier pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer
un empire africain musulman indépendant. L'empire Nord-Ouest-Africain
de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale
française, etc., a 30 millions d'habitants; il en aura,
grâce à la paix, le double dans cinquante
ans. Il sera alors en plein progrès matériel,
riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d'habitants
rompus au maniement de nos armes, dont l'élite aura reçu
l'instruction dans nos écoles.
Si nous n'avons pas su faire
des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le
seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils
deviennent chrétiens. Il ne s'agit pas de les convertir
en un jour ni par force mais tendrement, discrètement,
par persuasion, bon exemple, bonne éducation, instruction,
grâce à une prise de contact étroite
et affectueuse, oeuvre surtout de laïcs français qui
peuvent être bien plus nombreux que les prêtres
et prendre un contact plus intime.
Des musulmans peuvent-ils être
vraiment français ?
Exceptionnellement, oui. D'une
manière générale, non. Plusieurs dogmes
fondamentaux musulmans s'y opposent ; avec certains il
y a des accommodements; avec l'un, celui du medhi, il n'y
en a pas : tout musulman, (je ne parle pas des libres-penseurs
qui ont perdu la foi), croit qu'à l'approche du jugement
dernier le medhi surviendra, déclarera la guerre sainte,
et établira l'islam par toute la terre, après
avoir exterminé ou subjugué tous les non
musulmans. Dans cette foi, le musulman regarde l'islam comme
sa vraie patrie et les peuples non musulmans comme destinés
à être tôt ou tard subjugués par lui
musulman ou ses descendants; s'il est soumis à une nation
non musulmane, c'est une épreuve passagère ;
sa foi l'assure qu'il en sortira et triomphera à
son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti ;
la sagesse l'engage à subir avec calme son épreuve; "
l'oiseau pris au piège qui se débat perd ses plumes
et se casse les ailes ; s'il se tient tranquille,
il se trouve intact le jour de la libération ", disent-ils;
ils peuvent préférer telle nation à une
autre, aimer mieux être soumis aux Français
qu'aux Allemands, parce qu'ils savent les premiers plus doux
; ils peuvent être attachés à tel ou tel
Français, comme on est attaché à un ami étranger
; ils peuvent se battre avec un grand courage pour la France,
par sentiment d'honneur, caractère guerrier, esprit
de corps, fidélité à la parole, comme
les militaires de fortune des XVIe et XVIIe siècles mais,
d'une façon générale, sauf exception,
tant qu'ils seront musulmans, ils ne seront pas Français,
ils attendront plus ou moins patiemment le jour du medhi, en
lequel ils soumettront la France.
De là vient que nos Algériens
musulmans sont si peu empressés à demander la nationalité
française : comment demander à faire partie d'un
peuple étranger qu'on sait devoir être infailliblement
vaincu et subjugué par le peuple auquel on appartient
soi-même ? Ce changement de nationalité implique
vraiment une sorte d'apostasie, un renoncement à
la foi du medhi...".