N° 3668. - DÉCRET relatif au recrutement des indigènes algériens

du 3 Février 1912.

(Publié au journal officiel du 7 février 1912.)

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,

Vu le sénatus-consulte du 14 juillet 1865;

Vu les décrets du 19 novembre 1899;

Vu le décret du 7 avril 1903;

Vu l'article 92 de la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l'armée

Vu les décrets des 17 juillets 1908,19 octobre 1909 et 28 février 1911 sur le recensement des indigènes algériens non naturalisés:

Sur le rapport du ministre de la guerre,

DÉCRÈTE :

TITRE 1er.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

ART 1er. Le recrutement des indigènes musulmans non naturalisés d'Algérie s'opère:

1° Par engagement volontaire;
Par rengagement;
Par des appels spéciaux avec prime, complémentairement aux deux modes précédents.

TITRE II

RECRUTEMENT PAR ENGAGEMENT VOLONTAIRE OU RENGAGEMENT.

2. Le mode actuel de service des indigènes de l'Algérie recrutés par engagement volontaire et rengagement reste défini, sans modification, par les décrets et règlements en vigueur.

TITRE III.

DES APPELS

CHAPITRE 1er.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

3. Le contingent à prélever en cas de besoin par voie d'appel sur la population indigène musulmane de l'Algérie sera fixé chaque année par le ministre de la guerre, après avis du gouverneur général de l'Algérie, sur la proposition du général commandant le 19e corps d'armée.
La répartition de ce contingent entre les diverses communes de l'Algérie sera faite par le gouverneur général. La répartition entre les unités sera faite par l'autorité militaire.

4. La désignation des appelés aura lieu par tirage au sort.

5. La durée du service actif imposé à chaque appelé est de trois ans.
En outre, le libéré restera à la disposition du ministre de la guerre, après avoir accompli son service actif, pendant une période de sept ans comme réserviste.

6. Les dispositions des articles 34 et 39 de la loi du 21 mars 1905 sont applicables aux militaires indigènes appelés.

CHAPITRE II.

RECENSEMENT.

7. Tous les ans, du 1er octobre au 1er décembre, les maires et administrateurs des communes de l'Algérie procèdent à l'établissement des tableaux de recensement.

8. Doivent être inscrits sur les tableaux de recensement de chaque commune :

1° Tous les jeunes gens nés dans la commune qui, d'après les registres de l'état civil et tous autres documents et renseignements, auront atteint l'âge de dix-huit ans dans le courant de l'année où a lieu le recensement;

2° Tous les jeunes gens nés dans la commune qui, par suite d'omission, n'ont pas été inscrits les années précédentes, à moins qu'ils n'aient atteint l'âge de trente ans accomplis à l'époque de la clôture des tableaux ;

3° Les indigènes algériens âgés de dix-huit ans qui, n'étant pas nés dans la commune, y résident cependant depuis plus d'un an.

9. Sont d'après la notoriété publique, considérés comme ayant l'âge requis pour l'inscriptions sur les tableaux de recensement, les jeunes gens qui ne peuvent produire ou n'ont pas produit, avant vérification des tableaux de recensement, un extrait des registres de l'état civil constatant un âge différent ou qui, à défaut des registres de l'état civil, ne peuvent prouver ou n'ont pas prouvé leur âge.

10. Les tableaux de recensement sont publiés dans chaque commune , du 1er au 31 décembre.
Pendant cette période, les maires et administrateurs reçoivent les réclamations des intéressés, opèrent les rectifications nécessaires et arrêtent définitivement les tableaux au 31 décembre, date à laquelle aucune réclamation ne pourra plus être admise.

11. Les tableaux certifiés par les préfets et sous-préfets sont établis en deux expéditions.

L'une reste entre les mains du maire ou de l'administrateur, l'autre est adressée au bureau de recrutement divisionnaire où elle doit être parvenue le 15 janvier au plus tard.

CHAPITRE III

DISPENSES, AJOURNEMENTS, EXEMPTIONS

12. Est dispensé du service militaire:

1° Tout conscrit ayant un frère consanguin sous les drapeaux;

2° Le plus âgé des deux frères consanguins tombés au sort en même temps;

2° Le fils, seul soutien de la mère veuve, ou le petit-fils, seul soutien de son aïeule veuve;

4° L'orphelin ayant à sa charge des frères ou soeurs en bas âge ou infirmes;

5° Le fils, seul soutien d'un père aveugle ou très âgé, ou infirme au point de ne pouvoir subvenir à ses besoins;

6° Tout conscrit dont le frère sera mort en activité de service ou aura été réformé ou admis à la retraite pour blessure reçue ou infirmité contractée au service.
En outre pourront être dispensés les indigènes qui se trouvent dans des situations particulièrement dignes d'intérêt ne rentrant dans aucun cas d'exception prévus ci-dessus.
Les dispenses une fois concédées sont définitives.

13. Peuvent être ajournés deux années de suite, les jeunes gens d'une taille inférieure à un mètre cinquante-six (1m.56c) ou reconnus d'une complexion trop faible pour le service militaire.

Ceux qui, après l'examen définitif, sont reconnus bons pour le service, sont soumis intégralement aux obligations d'activité et de réserve prévues par le présent décret.

14. Sont exemptés et reçoivent un certificat d'exemption tous les jeunes gens qui sont déclarés impropres au service militaire.

CHAPITRE IV

TIRAGE AU SORT ET FORMATION DU CONTINGENT.

15. Il est formé chaque année par arrondissement une commission de tirage au sort qui se transporte dans divers centres de l'arrondissement, suivant un itinéraire arrêté par le gouverneur général et publié à l'avance, pour procéder aux opérations de tirage au sort.
Ces commissions commencent à fonctionner à partir du 1er avril.

16. Elles sont composées de la façon suivante:

Président :

Dans l'arrondissement chef-lieu, le secrétaire général pour les affaires indigènes, ayant seul voix délibérative :
Dans les autres arrondissements, le sous-préfet de l'arrondissement: à défaut, un conseiller de préfecture ou le sous préfet d'un autre arrondissement délégué par le préfet, ayant seul voix délibérative.

Membres :

Un officier supérieur français ;
Un notable indigène.

Assistent à la commission :
Un médecin militaire ou, à défaut, un médecin civil ;
Un interprète assermenté ;
Un sous-officier secrétaire ;

Auxquels s'adjoignent :
Pour chaque commune, le maire ou l'administrateur de la commune,
Et pour chaque fraction indigène, le chef indigène et un notable de la fraction.

Ces trois dernières personnes n'ont que voix consultative.

Dans les communes de plein exercice, où il n'existe pas d'adjoint indigène, celui-ci est remplacé par un conseiller municipal indigène que désigne le préfet.
Les membres militaires et, le cas échéant, le médecin civil de chaque commission sont désignés par le général de division, les membres civils par le préfet.
La commission réduite à deux membres peut néanmoins délibérer si le président et l'officier français sont présents.
Dans ce cas s'il y a partage des voix, celle du président est prépondérante.

17. Les opérations ont lieu dans l'ordre suivant :

1° Appel des conscrits.

2° Tirage au sort

3° Prélèvement du contingent.

18. Le tirage a lieu en suivant l'ordre d'inscription des noms sur le tableau de recensement.
S'il se présente un certain nombre de jeunes gens demandant à accomplir volontairement leur service dans les conditions déterminées au présent titre, les premiers numéros leur seront attribués de droit et leur nombre sera défalqué du contingent à fournir par la commune.

19. Sont portés sur une liste spéciale, tous ceux qui ne répondent pas à l'appel, sauf dans les cas d'impossibilité absolue sur lequel statue la commission.
Cette liste constitue la liste des "inscrits d'office comme absents au tirage".
Les inscrits d'office, activement recherchés, sont remis à l'autorité militaire dès qu'ils viennent à être arrêtés.
S'ils présentent une excuse reconnue valable après enquête par le bureau de recrutement, ils participeront au plus prochain tirage au sort.
En cas contraire, ils seront incorporés, après avoir subi, s'il y a lieu, la condamnation prononcée contre eux sauf s'ils sont reconnus impropres au service.

20. La commission statue sur les cas de dispense, d'ajournement et d'exemption, d'après les principes posés aux articles 12, 13 et 14.

21. Le gouverneur général de l'Algérie peut dans certains cas, laisser aux assemblées indigènes locales le soin de désigner elles-mêmes le contingent demandé à leur fraction.

CHAPITRE V

REMPLACEMENTS

22. Les appelés désignés par tirage au sort auront la faculté de se faire remplacer sous réserve que le remplaçant sera agréé par l'autorité militaire.

CHAPITRE VI

INCORPORATION

23. L'incorporation a lieu chaque année à une date déterminée par le ministre de la guerre.

24. Trente jours après la date fixée pour l'incorporation des recrues, tous les appelés qui n'ont pas rejoint sont déclarés " insoumis ".
Dès qu'un insoumis est arrêté, il est remis à l'autorité militaire.

CHAPITRE VII.

SOLDE ET PRIMES

25. Les appelés ont, au point de vue de la solde, le même traitement que les engagés volontaires indigènes de leur arme ou service. Ils ont droit à une prime d'incorporation de deux cent cinquante francs (250f), dont cent cinquante francs (150f) payables au moment de l'appel sous les drapeaux et cent francs (100f) payables après deux années de service.

CHAPITRE VII.

DISPOSITIONS PÉNALES.

26. Les dispositions pénales relatives à l'insoumission, aux fraudes et manœuvres ayant pour but de soustraire au service militaire les indigènes susceptibles d'être appelés feront l'objet de dispositions spéciales.

TITRE IV.

DISPOSITIONS PARTICULIÈRES

27. Les avantages accordés aux anciens militaires indigènes seront déterminés par des dispositions spéciales.

28. Le fonctionnement et l'organisation du service militaire des indigènes seront déterminés par des instructions ultérieures.

29. Des instructions ministérielles fixeront les détails d'application du présent décret, spécialement en ce qui concerne le fonctionnement des commissions de tirage au sort et le remplacement des appelés.

30. Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à Paris, le 3 février 1912.

Signé A. FALLIÊRES

Le Ministre de la guerre

Signé : A MILLERAND

Le Ministre de l'intérieur,

Signé : T. STERG.

Le Ministre des finances,

Signé L.-I. KLOTE