Notre-Dame d'Afrique. Théoule sur mer. Le 1er novembre 2009 Je vous remercie très chaleureusement, Monsieur Rochette, pour vos paroles de bienvenue. Je vous en remercie mais, au-delà, je voudrais aussi, féliciter tous ceux qui ont permis à la Vierge de dominer la Méditerranée, ici, à Théoule, comme elle le fait à Marseille, à Beyrouth, ou à Alger Je vous salue Mesdames et Messieurs, et je salue Monsieur le Maire de Théoule ainsi que les élus qui ont tenu à être parmi nous, et qui marquent ainsi l'attention qu'ils portent aux questions concernant les Français d'Afrique du Nord. C'est avec émotion que je suis là et, comme je vous l'ai dit, Monsieur Rochette, je ne souhaite pas prononcer d'allocution, mais bien plutôt une méditation, et, au final, peut-être même une prière. Une prière qui monte de mes longs échanges avec les Français d'Afrique du Nord, et qui s'adresse à la Vierge, vers laquelle je me tourne. Très Sainte Mère, Aujourd'hui, c'est la Toussaint ici. C'est le jour où nous allons nous recueillir aux cimetières, devant nos tombes. Parce que maintenant nous avons ici aussi nos tombes. Nous ne sommes plus au 1er novembre 1962, seuls avec nos chrysanthèmes sur les bras. Très Sainte Mère, C'est aussi la Toussaint à Alger. Du haut de votre basilique, vous voyez le cimetière de Saint-Eugène où reposent, côte à côte, juifs et chrétiens. De l'autre côté, vers la ville, on distingue le petit cimetière mozabite, et plus loin, on devine le cimetière musulman d'El Kettar. Très Sainte Mère, C'est la Toussaint à Alger, et vous nous trouvez tous rassemblés ici. Ceux de Saint-Eugène, mais aussi ceux de Bab-el-Oued, répartis autour de la place des Trois Horloges et ceux de Belcourt et d'ailleurs. De la basilique, le regard cherche la rampe Chasseriau, puis le port. Après les hauts immeubles du centre ville, ce doit être Belcourt avec la Gauloise, près de laquelle se trouve l'atelier de Belmondo père. Belcourt, le quartier d'Albert Camus. A moins que ce ne soit déjà Hussein Dey. Très Sainte Mère, Tout le Sahel d'Alger est là, mais aussi ceux de la Mitidja, au-delà de Boufarik. Et les Oranais qui n'ont pu aller à Santa Cruz, et d'autres du Constantinois et d'ailleurs. Très Sainte Mère, Nous sommes tous là pour faire mémoire, comme nous l'enseigne l'Eglise, c'est-à-dire en entrant en communion avec ceux qui nous ont quitté, là-bas et ici, et aussi avec ceux qui sont dispersés, tout près, ou loin par le monde, et aussi avec ceux qui vont nous suivre... Mais, Très Sainte Mère, ce faisant, notre souffrance va s'aviver de nouveau. Nous pensions que le temps l'apaiserait. Mais c'est pourtant le contraire qui se produit : elle est devenue plus aigüe parce qu'à notre peine, s'ajoute le reproche de n'avoir pas su, avant que nos parents ne partent, faire reconnaître la vérité de ce que nous sommes. Elle est pourtant si simple : - en France, en Espagne, en Italie, à Malte, nous avons quitté des terres qui ne pouvaient plus nous nourrir, - nous avons été invités à nous établir en Afrique de Nord par la France, celle de la Monarchie, celle de l'Empire, puis celle de la République, - quand la France ne nous y invitait pas, c'est qu'elle nous y exilait : nous sommes les descendants des républicains, ceux de 1830, ceux de 1848, ceux de 1851 et même des républicains espagnols, - nous avons construits nos maisons avec l'argent gagné par notre travail, - nous avons payé et exploité nos fermes sous le contrôle de l'Administration, - nous avons toujours accompli notre devoir de citoyen : en 1870, en 14 et plus encore en 45, Très Sainte Mère, - Vous savez, bien sûr, qu'en 1945 c'est grâce à nous - ceux d'Afrique du Nord - que la France a recouvré la place qui a toujours été la sienne dans le concert des nations. - Pour remonter à 14-18, à quelques jours du 11 novembre, on peut comptabiliser les distinctions des nôtres : - la fourragère double, rouge et verte, et les 10 palmes gagnées par le RICM, composé majoritairement de Français d'Algérie, - la fourragère double et les 9 citations du RMLE, unité d'élite de l'Armée d'Afrique, - les 6 citations du 4ème Mixte Zouaves et Tirailleurs et du 3ème Bataillon d'Infanterie Légère d'Afrique, - la fourragère aux couleurs de la croix de guerre de 14-18 et les deux citations à l'Ordre de l'Armée des 1er et 4ème chasseurs d'Afrique. - Faut-il remonter au Second Empire ? - Souvenons-nous de Puebla, au Mexique, et des Zouaves et des Chasseurs d'Afrique, tout particulièrement du 6ème escadron, - Souvenons-nous du capitaine Danjou et de ses 60 hommes à Camerone. - Faisons mémoire avec les 18.000 hommes de Crimée, dont les musulmans, enterrés pas loin d'ici, à l'ile Sainte Marguerite. - N'oublions pas les Chasseurs d'Afrique de Balaklava, les Zouaves et les Tirailleurs de Malakoff. Très Sainte Mère, Nous pourrions continuer longtemps encore, mais pour revenir à ce que nous sommes, ajoutons quelques remarques : - nous n'avons exploité, ni spolié personne, - nous avons seulement appliqué la politique de Jules Ferry, un républicain, dont on nous a rebattu les oreilles dans les petites classes; aujourd'hui, on dirait : un homme de gauche, - et justement, en Algérie, nous avons toujours donné des majorités de gauche. Pour les nôtres, voilà ce que nous tenons à affirmer et à réaffirmer. Très Sainte Mère, Nous sommes déconstruits parce que nous avons perdus immensément plus que nos biens matériels. Nous avons perdu la transparence de notre lumière, la chaleur de notre soleil, les bruits, les cris et les rires de nos villes, les odeurs enivrantes de nos petites épiceries, Nous avons perdu les pas qui nous menaient à la maison, à l'école, au travail, au marché, Nous avons perdu le chemin de la plage de Bains Romains, ou pour ceux qui avaient un peu d'argent, celui de Club des Pins. Très Sainte Mère, Nous avons aussi perdu le chemin pour monter prier vers vous à la Bouzaréah où nous pourrions déposer aujourd'hui quelques intentions tirées de la prière à la Vierge de Sainte Rita : « Vierge Sainte, « Au milieu de vos jours glorieux, n'oubliez pas les tristesses de la terre, « Jetez un regard de bonté sur ceux qui sont dans la souffrance, qui luttent contre les difficultés et qui ne cessent de tremper leurs lèvres aux amertumes de cette vie, « Ayez pitié de ceux qui pleurent, de ceux qui prient, de ceux qui tremblent, « Donnez à tous l'espérance et la paix. » Très Sainte Mère, Donnez-nous l'espérance et la paix et, comme il est écrit dans votre basilique d'Alger, donnez-là aussi à nos frères Musulmans : - particulièrement à ceux qui nous ont accompagnés jusqu'ici en 1962 et qui ont trempé leurs lèvres aux amertumes de la vie, - mais aussi à ceux qui, bien que partageant nos valeurs, ont du rester là-bas et auxquels nous manquons, comme ils nous manquent, - et, plus encore, à ceux qui ont cru devoir prendre un chemin séparé du nôtre, et qui en paient si lourdement le prix aujourd'hui. Très Sainte Mère, Voilà les intentions que nous vous soumettons aujourd'hui. Nous vous demandons aussi de prier pour les dirigeants qui se sont réunis à Paris il y a un an pour tenter de faire de la Méditerranée un lac de paix. Merci d'intercéder pour qu'ils trouvent la force, la persévérance et le discernement nécessaires pour avancer. Très Sainte Mère, priez pour nous. Mesdames et Messieurs, merci de votre attention. |