Texte lu par Alain Gibergues

Révolte

En partant ils chantaient «Je ne regrette rien»
Ces merveilleux paras, malgré le sacrifice
Qu'offrirent tant des leurs pour la paix, la justice,
Dans l'univers gâché du sol Algérien...

Ce chant invitait-il à bannir le passé?
Je souffrirai toujours d'avoir laissé ma terre,
De me sentir partout un peu comme étrangère
Et rien n'effacera le ciel que j'ai laissé...

On conseille  aisément,: «Chassez ce souvenir!
Une page est tournée: ayez donc le courage
D'oublier ce pays qui n'était qu'un mirage
Les rêves les plus beaux un jour doivent finir!»

J'ai bondi bien souvent  en entendant cela!
Qui parlait de mirage et qui parlait de rêve?
Ont-ils connu là-bas la peine dont on crève,
Ceux qui voyaient Alger pour le temps d'un gala?

Qu'ont-ils su des héros qu'ont été, les colons,
De leurs tristes débuts, de toutes leurs misères,
De leurs labeurs tuants, de leurs larmes amères,
Tandis qu'ils nous laissaient tant de croix pour jalons!

L'océan du vignoble avait-il surgi seul?
Combien ont disparu dans les noirs marécages!.
Vouloir les dénombrer noircirait bien des pages,
Tant d'ouvriers ont eu la fange pour linceul!

Comment peut-on juger ce qu'on n'a pas connu?
L'instituteur offrait la culture française,
La plus belle qui soit! Et -ne vous en déplaise-
Il restait un obscur et peu l'ont soutenu...

Se souvient-on encore du drame des Aurès ?
Tuer des enseignants paraissait impossible!
Pourtant, les tout premiers ils ont servi de cible,
Leurs pauvres corp gisant parmi les aloès !...

Puis tout s'est effondré, car tout s'est enchaîné:
C'était l'heure où sonnait le glas de notre Empire...
Que sera ce pays? Meilleur? Peut-être pire:
Déjà le sol est mort et semble abandonné...

Et nous, de ce côté, rebaptisés «Pieds Noirs»
Dont la Patrie était, et restera la France,
Nous étreignons nos mains, taisant notre souffrance
En ayant la pudeur de tous nos désespoirs

Mais qui nous guérira du mal dont nous souffrons?
Quand on crée une terre elle vous tient aux tripes...
Par tant de liens obscurs les choses vous agrippent...
Etre chassé d'un toit vaut les plus grands affronts.

Héros qui proclamiez «Je ne regrette rien»,
Pour certains il fallait ce chant comme exorcisme...
Mais pour ceux qui n'ont pas le goût du fatalisme,
Il est dur d'accepter d'avoir œuvré... pour rien!

Mis en page le 10/11/2009 par RP