MÉMOIRE d'ALGERIE

Les Deux Collèges Électoraux

ou

L' Échec de la Citoyenneté proposée

 

PRÉAMBULE

Le 5 juillet 1830 le Maréchal comte de Bourmont dicta à son chef d'état-major, le général Desprez, les conditions de reddition qui devront être acceptées par le bey d'Alger le 5 juillet 1830. Ces conditions précisent dans le second alinéa que " la religion et les coutumes des algériens seront respectées. "

Il résultera de cet engagement imprudent un imbroglio juridique dont les effets perdureront jusqu'en 1962 date de l'indépendance de notre pays, l'Algérie.

(Nous reviendrons ultérieurement sur les conditions dans lesquelles cette indépendance est intervenue.)

L'institution de "Deux Collèges Électoraux appartient en propre à l'Histoire de l'Algérie et constitue l'exemple singulier d'une démarcation électorale entre nationaux d'un même pays. En effet, il eut été inconséquent de soumettre à une même loi des ethnies différentes par leurs mœurs et leurs religions, aussi bien que de donner aux arabo-musulmans la faculté de voter des lois qui n'eussent été applicables qu'à eux mêmes ou, inversement, qu'ils eussent été contraints par des textes imposés par la loi française et contraires à leur propre législation. Il était donc indispensable de préserver les domaines juridiques propres à chacune des différentes ethnies appelées à vivre sur une même terre.

Cette situation qui dès le début s'avérera très complexe ne nous incline pas à abandonner aux seuls historiens, dont on sait que leur discipline, l'Histoire, n'est pas une science exacte, la mission de commenter ce particularisme juridique. Cette attribution ressortit plus normalement au domaine du juriste, dont les analyses encadrées par des textes légaux cantonnent les dérives des interprétations personnelles.

Dans un but de schématisation nous avons choisi de scinder notre travail en deux volets. Nous développerons, d'une part, les raisons qui ont amené le législateur métropolitain à séparer en Deux Collèges le corps électoral de l'Algérie et d'autre part, nous évoquerons l'action des personnalités publiques et privées européennes qui se sont efforcées, de leur côté, de réformer le corpus juris du droit musulman en vue de le simplifier, l'unifier et l'adapter aux impératifs de la vie contemporaine.

Nous sommes conscients que notre bref mémoire ne relate qu'une page définitivement tournée de l'Algérie et appartient, désormais au domaine inanimé de l'histoire du Droit et n'aura d'autre intérêt que celui d'éveiller la curiosité que quelques rares exégètes accorderont à une singularité juridique surannée.

Toutefois, bien que tardive, cette courte étude reportée dans le contexte de son époque évoquera une page originale de l'Histoire coloniale de la France. Elle devra être reconnue comme étant une importante composante des nombreuses réformes mises en œuvre par le colonisateur dans l'intérêt des diverses populations vivant sur ce territoire.

Première Partie

Nous nous attacherons, dans ce premier temps, à examiner la succession des textes qui dans l'esprit du législateur métropolitain devaient amener, par étapes, les différentes populations qui vivaient dans les ex-Etats Barbaresques dépendant de l'Empire Turc à se fondre, progressivement, dans la communauté française.

Jusqu'à l'occupation de la Régence d'Alger par la France en juillet 1830, les populations disparates qui occupaient ce vaste territoire du Maghreb, étaient soumises à la tyrannie des "deys" (1) représentants de la Sublime Porte. Ces satrapes locaux, dont l'autorité ne s'étendait pas à plus d'un sixième du territoire de l'Algérie actuelle, avaient organisé d'innombrables malversations en abusant des pouvoirs que leur conféraient leurs fonctions et l'éloignement de l'autorité turque de contrôle dont ils dépendaient, mais dont ils pouvaient acheter aisément la connivence. Ils tiraient profit de ces exactions en pressurant les populations soumises à leur domination. Les pays étrangers n'étaient pas épargnés et devaient endurer les effets d'une piraterie organisée qui faisait de la Méditerranée une voie maritime pleine de périls, où les équipages et les passagers des navires capturés approvisionnaient les marchés d'esclaves et les harems des tyrans locaux. Les représentants consulaires ne jouissaient pas pleinement de l'immunité diplomatique et du principe de l'exterritorialité, respectés partout ailleurs en vertu des règles du droit international public, (D.I.P) vis à vis desquelles les autorités locales manifestaient le plus profond détachement.

La France qui ne pouvait accepter ces pratiques, qu'elles fussent criminelles ou contraires au droit international public, s'est employée à réprimer la piraterie et l'esclavage en imposant à des populations, aux modes de vie et aux traditions différentes, un ensemble de réformes destinées à ramener l'ordre et la justice sur un territoire dont elle avait désormais la responsabilité de l'administration. La mise en application des réformes, ainsi imposées par l'occupant, était rendue malaisée en raison de l'existence d'une importante disproportion numérale entre les diverses communautés dominées par un peuplement arabo-musulman largement majoritaire.

C'est à dessein que nous avons employé le terme d'occupation et non de conquête. En effet la France n'a pas acquis l'Algérie par voie de conquête mais par voie d'occupation. Le droit international public, à l'époque, disposait que les territoires susceptibles d'appropriation " sont tous ceux sur lesquels ne s'exerce pas encore une souveraineté organisée, qu'ils soient inhabités, déserts, ou même qu'on y rencontre une population indigène, barbare ou sauvage, sans organisation politique suffisante. " Pour que la possession entraîne l'acquisition, le droit international exigeait que cette possession ait été effective et portée à la connaissance des autres États, dont aucun d'ailleurs dans le cas présent n'a protesté, à l'exception, toutefois, de l'Angleterre et plus naturellement, de la Turquie.

Enfin la France a légitimement acquis ce qui devait devenir l'Algérie, par prescription (2) Ce mode d'acquisition est reconnu par le D.I.P " quand elle (la prescription) est réunie à d'autres conditions, spécialement au consentement au moins tacite de la population annexée; lorsque, au consentement des populations vient s'ajouter à l'expiration d'un certain laps de temps, la prescription peut être considérée comme acquise.". (Pr. Le Fur: Précis de droit international public.)

Le sultan de Turquie avait fait de la Régence d'Alger une province de son Empire mais n'avait jamais accordé la nationalité turque aux habitants d'une Algérie qui n'existait pas encore nommément, allant jusqu'à refuser la nationalité turque aux enfants de turcs et d'algériens, les koulougli.

Les habitants de ce pays étaient donc des apatrides, sujets du sultan.

Il apparaît donc que la France a valablement acquis par prescription le territoire de l'Algérie. ( Confirmation a posteriori, voir Chapitre XI de la Charte des Nations Unis, articles 73 et 74.) En conclusion, si l'on ne peut évoquer qu'à tort la conquête, la légitimité de l'établissement français en Algérie ne saurait être contestée puisqu'elle repose sur l'occupation et la prescription.

Il résulte de ces dispositions, que tous les habitants de ce territoire ont obtenu la nationalité (3) française dès l'installation de la France en vertu de l'annexion.

Les notions de nationalité et de citoyenneté, qui constituaient le fondement des réformes envisagées, ont amené le législateur métropolitain à instaurer deux Collèges Électoraux. Le vote dans le premier Collège étant réservé aux citoyens européens minoritaires et le second aux nationaux arabo-berbères.

L'examen des textes distinguant les droits des inscrits au Premier et au Deuxième Collège, nous permettra de rétablir une réalité historique trop souvent altérée, qui vise à accréditer la thèse d'un Premier Collège Électoral accordant aux européens une situation politiquement plus avantageuse que celle concédée aux électeurs du Second Collège. Nous montrerons qu'il n'en est rien et a contrario, combien le législateur s'est attaché, avec une louable persévérance, à favoriser l'intégration des arabo-berbères dans la communauté française en dépit de résistances induites par de rigides interdits religieux ou coutumiers.

Le roi Louis-Philippe qui exerce le pouvoir législatif concernant les Colonies, constate d'une manière formelle l'annexion de l'Algérie dans l'ordonnance du 22 juillet 1834, qui organise " le commandement et la haute administration des possessions françaises dans le Nord de l'Afrique. "

Mais, c'est le Sénatus-Consulte (4) du 14 juillet 1865, pris par Napoléon III, qui accorde, solennellement, la nationalité française aux habitants de l'Algérie et dans le même temps, leur ouvre l'accès à la citoyenneté : " L'indigène musulman est français, néanmoins, il peut sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen. Dans ce cas, il est régi par les lois civiles et politiques de la France. "

Ainsi, le Sénatus-Consulte dissociait les deux concepts de nationalité et de citoyenneté. Le premier concept est compatible avec le statut religieux musulman, le second s'y oppose. Dès lors, le changement consistera pour le musulman à passer de la nationalité à la citoyenneté si, toutefois, il en exprime le désir. Cette accession à la citoyenneté, sera d'abord individuelle et volontaire, puis elle deviendra générale et collective par l'effet de textes ultérieurs.

Il résulte, par ailleurs, de ce texte, que contrairement à une opinion généralement répandue et faussement admise, les juifs d'Algérie ont joui de la nationalité française dès la conquête. Le décret Crémieux du 24 octobre 1870, n'ayant eu pour conséquence que de leur imposer la citoyenneté, par la volonté du prince, malgré leur hostilité à l'abandon de leur statut personnel mosaïque.

Le peu d'ardeur apporté par les musulmans à demander la citoyenneté française était significatif d'un état d'esprit emprisonné par des siècles de contraignantes observances islamiques. (voir: Revue l'Algérianiste n'67 - de septembre 1994, l'article de M. Bensadou, ancien magistrat.) Nous relèverons, avec étonnement, que le législateur de la Troisième République a ignoré les dispositions du texte de 1865 lorsqu'il décida par le décret du 3 février 1912, relatif au recrutement des indigènes algériens, ( J.0 du 7 février 1912) que : Art. 1er. " Le recrutement des indigènes musulmans non naturalisés d'Algérie s'opère ... etc. alors que tous les habitants de l'Algérie ont été naturalisés du fait de l'occupation et cette naturalisation solennellement réaffirmée par le Sénatus- Consulte de 1865.

Pour devenir citoyen français deux procédures, que sépare un long espace de temps, ont été offertes aux musulmans, l'une par le Sénatus-Consulte précité, l'autre par la loi du 4 février 1919.

La première de ces formalités est purement administrative, la citoyenneté est conférée par un décret pris en Conseil d'Etat. La seconde, intervenue cinquante quatre ans plus tard, simplifiée, est exclusivement judiciaire. Elle autorise le musulman à s'adresser au juge de paix de son domicile pour obtenir la qualité de citoyen.

L'une et l'autre de ces procédures sont gracieuses.

Le législateur ne pouvait faire preuve d'une plus grande mansuétude politique, mais pour simplifiées quelles fussent ces procédures ne donneront pas les résultats attendus et rares furent les musulmans qui accepteront d'abandonner leur statut personnel pour acquérir la citoyenneté française. La quasi-totalité d'entre eux choisit de se maintenir dans le Deuxième Collège et de conserver leur statut civil local. En effet, l'une et l'autre des procédures proposées entraînaient de facto, pour le candidat à la citoyenneté française l'abandon de son statut personnel - se confondant avec sa religion - et auquel il pouvait avoir de légitimes raisons de demeurer attaché. Renonçant à son statut religieux, le musulman se mettait en situation d'apostasie par l'effet de la sécularisation qui résultait de cette renonciation.

Les conséquences d'un tel renoncement sont pour le musulman d'une extrême gravité - le Prophète n'a-t-il pas dit qu'il n'existe que trois cas dans lesquels on puisse verser le sang d'un musulman .- le coupable de meurtre, l'adultère mariée et l'apostat qui abandonne la communauté musulmane. Le prétendant à la citoyenneté s'exclut, donc, de la loi islamique, la "Charia" qui représente la " Voie Tracée" par les ancêtres, à laquelle tout musulman se doit d'adhérer et d'observer avec rigueur. Dans les années 20 une "fatwa" (5) déclarât que la religion musulmane est un tout et qu'on ne peut être musulman et vivre sous une autre loi que celle dictée par le Prophète.

Cette fatwa fut rappelée par les Oulémas (6) de Constantine en 1931 et la prise de position qu'elle comportait, sans arrêter le mouvement engagé par le Sénatus-Consulte de 1865 en ralentit les effets.

Le musulman va donc longuement hésiter avant de franchir le fossé dont le passage bouleversera sa vie. Il ne manquera pas de mettre en balance les avantages et les inconvénients résultants de sa décision.

S 'il décide d'opter pour le statut civil français il sera considéré, ipso facto, comme un renégat par ses coreligionnaires et s'exposera à de graves sanctions sur le plan religieux. En contre partie, il ne bénéficiera que de la qualité de citoyen français et cet attribut ne compensera pas, à ses yeux, la perte des privilèges que lui reconnaissait le statut coranique auquel il aura renoncé.

Néanmoins, le législateur opiniâtre dans sa volonté d'intégration politique va poursuivre son action tendant à ouvrir, plus largement encore, l'accès à la citoyenneté française aux arabo-musulmans, en promulguant un texte d'une importance capitale - l'ordonnance du 7 mars 1944.

Ce texte proclame en effet : " l'égalité devant les droits et les devoirs de tous les français d'Algérie, musulmans ou non. Il abroge les textes d'exception qui ne concernaient que les musulmans mais laisse à ces derniers la possibilité de conserver leur statut personnel. Il déclare d'office citoyens français, les français musulmans appartenant à certaines catégories. (anciens officiers, titulaires de diplômes universitaires, fonctionnaires ou agents publics, caïds, aghas et bachagas, membres de la Légion d'Honneur etc..."

Il s'ensuivit que ces personnalités, déclarées d'office citoyens par application de l'ordonnance de 1944, seront inscrites sur les mêmes listes électorales et participeront aux mêmes scrutins que les français d'Algérie. Ils se trouvent rattachés au même collège électoral que les non-musulmans.

Cette ordonnance donne dans le même temps vocation à l'acquisition de la citoyenneté française à tous les autres musulmans suivant les conditions et modalités que fixera l'Assemblée Constituante. Le statut des populations du M'zab et des Territoires Sahariens, pour l'instant réservé, ne sera défini que plus tard par le décret du 9 janvier 1945.

Cette réforme de 1944 crée un nouvel ordre de citoyens, franco-musulmans. Elle leur confère les droits attachés à la qualité de citoyen français tout en les autorisant à conserver les particularités de leur statut religieux dont certains, tels que la polygamie, le mariage des filles impubères, le droit de djebr etc... constituent de graves infractions à nos lois internes et font échec au principe constitutionnel de l'égalité de tous devant la loi.

C'est dire l'aveuglement, l'incompétence et le désordre d'esprit du législateur qui accorde aux arabo-musulmans ce qu'il refuse aux autres citoyens de ce pays, instituant ainsi sur un même territoire des régimes juridiques différents dont l'un est fondé, exclusivement, sur des concepts religieux. La législation coranique ne fut jamais abolie et il est hautement regrettable que les juristes et les constitutionalistes français, comme le Conseil d'Etat, n'aient pas vu l'anomalie de cette situation qui contredisait les principes républicains les mieux établis. (in, L'ouvrage de Monsieur Jean Monneret : "La Phase finale de la guerre d Algérie, "page 327. Édition L'Harmattan)

Relevons que l'attitude du législateur métropolitain est d'autant plus critiquable qu'il ne devait pas, d'une part, légiférer en méconnaissant le caractère théocratique du Coran et d'autre part, ignorer les avertissements exprimés par les notabilités algéroises européennes de l'expérience qu'elles avaient tentée, dans le domaine des réformes du droit musulman, lequel est fondé sur les quatre interprétations rituelles qui sont données du Coran et sont l'expression juridique du Livre Sacré en dehors desquelles aucune autre exégèse ne saurait être admise.

 

Deuxième Partie

Voici quelles furent les dispositions envisagées par les personnalités algériennes en vue d'engager une réforme du droit musulman et d'en tenter la modernisation.

Au cours de l'année 1902, M. Houdas, Inspecteur Général des Médersas (7) consulté par le Gouverneur Général sur la question de savoir s'il y avait lieu d'envisager la rédaction d'un Code civil musulman, adressait au Chef de la Colonie un rapport dans lequel il faisait remarquer que dans tous les pays musulmans on avait reconnu les inconvénients, pour les justiciables, de ne point posséder un texte net et définitivement arrêté qui fixât les juges sur les décisions à rendre.

Dès le lendemain Monsieur Jonnart, Gouverneur Général de l'Algérie, prenait un arrêté instituant une commission pour l'étude d'une codification des dispositions du droit musulman applicable aux indigènes algériens et nommait à la tête de cette commission Monsieur Morand, professeur de droit musulman à la Faculté d'Alger.

De l'avis formulé par cette commission, il faudrait s'attacher à dégager les véritables principes de la loi musulmane et se garder de confectionner un code dont les dispositions ne seraient qu'un amalgame de règles empruntées les unes au droit musulman et les autres à notre législation civile.

Il est certain que les juges musulmans seraient beaucoup plus étroitement liés par un texte rédigé en français, adopté par le Parlement et régulièrement promulgué, afin que ces juges y soient plus contraints que par tel ou tel passage du Code Musulman rédigé par Sidi Khalil auquel ils se référaient d'ordinaire. Ce juriste-consulte du XlVème siècle de l'ère chrétienne avait rédigé un Code, dont la clarté est souvent imparfaite, dont la traduction n'a peut-être pas été scrupuleusement calquée sur le texte original et auquel on peut, parfois, opposer un autre texte imposant une solution contraire, empruntée cependant, à un jurisconsulte du même rite. Ce Code ne pouvait être retenu en raison de ses imperfections.

Puis sur l'invitation du Gouverneur Général le projet adopté par la Commission fut communiqué aux Parquets, aux Juges de paix et aux Cadis à l'effet de rechercher si, dans telle ou telle de ses parties, il ne serait pas de nature à rencontrer des difficultés d'application ou à froisser les sentiments religieux des indigènes.

Dès le début de son activité, cette première Commission avait conclu à l'impossibilité d'imposer un code unique. Le parquet de Guelma ayant, aussitôt, fait observer que l'apparente homogénéité du peuple indigène dissimule en réalité de profondes divergences de mœurs, de législations ou de coutumes.

Le territoire algérien n'est pas seulement habité par des Arabes mais aussi par des Kabyles et des Mozabites, qui ont des caractères ethniques distincts et une législation ou un droit coutumier particuliers. On ne peut songer à leur imposer, à tous, une codification uniforme, ni élaborer trois codes différents. D'autre part les Cadis assez nombreux qui ont formulé une opinion contraire à la codification ne se sont pas donné la peine d'appuyer leur avis d'une documentation ou d'une argumentation quelque peu précise ou détaillée.

Ils se bornent, ou peu s'en faut, à affirmer doctoralement que la loi musulmane était d'une parfaite clarté et ayant été codifiée par Sidi Khalil, une nouvelle codification était parfaitement inutile.

" Il n'est pas possible déclare catégoriquement le Cadi de Constantine, de faire du droit musulman une codification meilleure que celle qui existe actuelle"

Puis suivent les déclarations concordantes des Cadis de Batna et de Duperré.

Enfin le Cadi de Ténès clôt la discussion par une affirmation lyrique mais sans réplique : " Les dispositions de la loi musulmane sont éclatantes comme le soleil dans le firmament, dont tout être non atteint de cécité ne peut contester la clarté. "

La Commission estima que passer outre à la position intransigeante des cadis et à l'impossibilité d'envisager la création de plusieurs codes, n'aurait eu pour résultat que d'engendrer des situations encore plus inextricables que celles résultant du statu quo.

De son côté, une Délégation des Colons (sic) avait entériné le voeu formulé par l'un d'eux, M. Henry Bouché, voeu ainsi rédigé : " Considérant que les indigènes musulmans jouissent en Algérie de leur statut personnel et sont régis par la loi musulmane, que cette loi faite de coutumes, de préceptes et d'usages n'a jamais été codifiée, reste imprécise, prête aux contestations, engendre des procès dont la solution dépend de l'interprétation des juges etc... la Délégation des Colons émettait donc le voeu qu'une commission d'études, composée de jurisconsultes musulmans et français, soit chargée de résumer en règles simples, facilement interprétables et en articles précis, les principes du droit musulman réunis en un véritable Code."

Lecture de ce voeu fut communiqué à la délégation arabe qui déclara formuler des réserves, ajoutant qu'elle ne verrait aucun inconvénient à ce que le droit musulman fut ordonné de façon à faciliter les recherches dont il peut être l'objet, mais à la condition expresse qu'il ne fut apporté aucune modification au fond.

Il s'ensuivit une longue mise en sommeil des travaux qui ne reprendront que dix huit années plus tard quand, par arrêté du 21 mars 1926, le Gouverneur Général nomma une seconde Commission placée sous la présidence de Monsieur Morand devenu doyen de la Faculté de droit d'Alger. Cette commission qui comprenait des français et des musulmans avait pour mission de revoir le projet déjà élaboré, afin d'en retrancher ou de modifier les dispositions qui pourraient paraître contraire à l'orthodoxie musulmane. Lorsqu'elle eut achevé son travail, un troisième arrêté en date du 5 avril 1927, institua une dernière Commission, composée celle là, uniquement de notabilités musulmanes qualifiées pour leur compétence en matière de religion et de science juridique, en vue d'émettre un avis définitif sur l'avant-projet ainsi remanié et de juger de son orthodoxie au point de vue musulman.

A l'issue de discussions portant sur la nécessité d'une codification du droit dont ils ne contestaient pas formellement l'utilité, les notabilités musulmanes mises au pied du mur, en reviennent au principe de l'intangibilité du droit musulman et concluent, ce qui arrête toute discussion, que la loi musulmane a été fixée une fois pour toute et que " la porte de l'effort législatif étant fermée depuis des siècles, une codification est inutile. "

Le Prophète n'a-t-il pas dit : " Gardez vous des choses nouvelles, car toute chose nouvelle est erreur et toute erreur mérite les feux de l'enfer. " Il s'agit là d'un "Hadith" c'est à dire d'un propos ou d'un récit attribué au Prophète qui l'aurait transmis à un autre auditeur, lequel a fait de même jusqu'au collecteur qui l'a reçu et consigné dans un livre appelé Sahih (authentique) - (voir "Le dictionnaire des Symboles Musulmans" de Malek Chabel, page 190, Ed. Albin Michel.)

Récusant toute remise à jour de leur droit, les notables musulmans en reviennent-ils, implicitement , a l'oeuvre juridique de Sidi Khalil lequel ne pouvait, cela va de soi, imaginer les profondes métamorphoses que subiraient, ultérieurement les civilisations et les bouleversements qui en résulteraient dans tous les domaines.

Doit-on considérer que l'ouvrage de Sidi Khalil constitue véritablement un Code, c'est à dire un recueil de lois promulguées par une autorité souveraine à laquelle on est tenu d'obéir ?

On doit répondre à cette importante question en affirmant qu'il s'agit bien d'un Code, dont l'autorité est la plus haute qu'on puisse concevoir.

Ce recueil constitue, en effet, la codification d'une des quatre interprétations du Coran : celle de l'Imam Malek. Une erreur, assez largement répandue en Europe, consiste à considérer que le Coran est stricto sensu, le Code civil et religieux des Arabes alors qu'il n'est en réalité que la base et la source de leurs lois.

On peut dire que le Coran est la loi des Musulmans, comme la Torah est la loi des Juifs et l'Evangile la loi des Chrétiens.

Les khalifes, successeurs de Mahomet, d'accord avec les docteurs de la Foi ont interdit tout exégèse du Coran en dehors des quatre interprétations orthodoxes, qui ont formé depuis lors, jusqu'à nos jours le corpus juris des nations musulmanes.

Ces quatre interprétations constituent les quatre rites, Malékite, Hanéfite, Chaféïte et Hanbalite, ainsi appelés du nom de leurs fondateurs. Ces quatre Rites ne sont que quatre rédactions des mêmes règles, avec des variantes au plan politique et religieux mais sans véritable incidence au point de vue du droit civil. Le Code de Sidi Khalil constitue à l'égard des musulmans malékites, le principal monument du droit écrit, en Afrique du Nord, au Soudan, en Egypte et en Asie. L'examen des principes qui y sont exposés traduit le souci de leurs auteurs, qui ont estimé possible de prévoir et de décider de toutes les questions qui peuvent résulter des conflits d'intérêts humains.

Ce souhait ambitieux traduit un état d'esprit présomptueux, si différent, si éloigné du mode de pensée occidentale, qu'il permet de vastes développements où l'idée initiale se perd dans les méandres des interprétations.

De surcroît, contresens juridique capital, le droit musulman ne tient pas pour acquit le principe irréfragable de l'autorité de la chose jugée, héritage du droit romain et repris par les Droits occidentaux. (res judicata pro veritate habetur.)

Le musulman, quant à lui, estime qu'une décision rendue, même en dernier ressort, peut être à nouveau évoquée devant un autre juge qui donnera de l'affaire qui lui sera soumise, une autre interprétation basée sur son appréciation personnelle des faits ou se référant au texte d'un autre Rite.

D'où d'inextricables confusions dans les décisions de justice qu'elles rendent contestables, imprécises, incertaines et préjudiciables aux intérêts des justiciables et que vient accroître 1'avérée et fâcheuse vénalité des juges musulmans.

Les aiguilles de l'horloge religieuse et juridique musulmane se sont arrêtées un certain jour de l'année 622 lorsque, l'Ange Gabriel envoyé par Allah à Mahomet lui a révélé les bases de la religion qui constituent le fondement immuable de la société musulmane. Depuis cette date, l'horloge ne s'est jamais remise en mouvement.

"L'orient c'est l'orient et l'occident c'est l'occident" a écrit Rudyard Kipling. Mais un esprit occidental formé aux enseignements de sa philosophie aura le plus grand mal à concevoir cette maxime lapidaire, avérée.

Les musulmans ne peuvent consentir à l'abandon d'un mode de vie dont ils sont les épigones, depuis la mort du Prophète. Un gène religieux localisé sur leurs chromosomes leur transmet, de génération en génération, une foi si profonde, si envahissante, qu'elle les rend inaccessibles à toute tentative qui, à leurs yeux, menacerait d'ébranler les remparts d'un bastion religieux islamique, intégriste et fondamentaliste édifié au VIle siècle de notre ère et interdit depuis, à toute pénétration étrangère.

En effet l'Islam se veut à la fois, Religion, État et Société.

Le passage de la Mecque à Médine qui marque le début de l'ère musulmane, l'Hégire, (622 de l'ère chrétienne) où Mahomet cesse d'être simple chef religieux pour devenir chef d'État et leader politique. RELIGION ET POLITIQUE SERONT DÉSORMAIS INDISSOLUBLEMENT LIÉES.

"L'Islam est politique ou n'est rien" (Ayatollah Khomeiny.)

La "soumission" à Dieu - qui est le sens même du mot Islam - est aussi bien exigée du croyant que de l'Etat-. Le pouvoir politique se voue donc entièrement à une mission religieuse. C'est l'annexion de la politique par la religion.

Ce qui frappe dans l'Islam c'est son extraordinaire cohésion, où se mêlent indissolublement, inextricablement le sacré et le profane, le spirituel et le temporel le religieux et le civil, le public et le privé.

CAR L'ISLAM EST UN MODE de VIE. C'est un creuset fusionnel intense qui engendre un tissu social fortement structuré et donne à une société consistance, cohésion et continuité. Un autre atout de l'Islam réside dans une grande simplicité, des dogmes, de la morale et de ses principes de vie. Sa souplesse, son élasticité à partir d'un noyau dur, solide, irréductible, expliquent en partie sa foudroyante expansion tant en Afrique qu'en Asie. Ce continent, dans lequel le christianisme a pénétré six siècles avant l'Islam, ne compte que 3% de chrétiens, alors qu'on évalue à près de 30% le nombre de musulmans.

Le Djihad, ou guerre sainte, n'est pas un aspect marginal de l'Islam, il constitue une des principales obligations du croyant. On a voulu interpréter ce terme de façon réductrice comme si le djihad n'était qu'un combat spirituel et intérieur, un combat contre les passions et les instincts. Il n'en est rien, les textes sont clairs. il s'agit bien d'un combat par l'épée. Il y a dans l'Islam, l'idée de force et de puissance. L'Islam. est la religion de la force. Il s'impose souvent par la force et ne cède en général qu'à la force. Un proverbe arabe précise : "si tu est un maillet, frappe, si tu es un piquet, subis"

L'islam a pour ambition de convertir l'humanité entière. Il est, par essence planétaire, universel. Le musulman a en lui, la certitude d'avoir raison, de posséder la vérité.)

Sur le plan interne, cette religion conçue au seul profit de l'homme comporte d'innombrables privilèges auxquels il est fortement attaché et dont il perdrait les avantages exorbitants s'il s'avisait de délaisser sa religion pour adopter une autre croyance.

Nous ne mentionnerons que les plus significatifs

- L'exercice du droit éminent de l'homme sur la femme.

Sourate IV verset 34.

" Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles et à cause des dépenses qu'ils font pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont pieuses. Admonestez celles dont vous craignez l'infidélité; reléguez les dans des chambres à part et frappez les. Mais ne leur cherchez pas querelle si elles obéissent. " Dieu est élevé et grand.

Sourate Il verset 223 :

" Vos femmes sont pour vous un champ de labour : allez à votre champ comme vous voulez, mais faites auparavant une bonne action à votre profit. "

- Le droit de pratiquer la polygamie

Sourate IV verset 3

"Épousez comme il vous plaira, deux, trois ou quatre femmes.
Mais si vous craignez de ne pas être très équitable, prenez une seule femme ou vos captives de guerre.

A propos de polygamie une observation particulière mérite d'être évoquée

En effet le musulman polygame s'est très vite aperçu que la coexistence de plusieurs femmes d'âges et de caractères différents, dans un même foyer constituait, non seulement une onéreuse charge d'entretien mais était, également, une source permanente de conflits ménagers, d'arbitrages laborieux et d'interminables "chikaïas" (8) qui attentaient à la quiétude de sa vie, en dépit de l'autorité que lui reconnaît le Coran de remettre avec vigueur, de l'ordre dans son ménage en appliquant à ses épouses de sévères châtiments corporels. De surcroît, le polygame pouvait craindre de n'être pas toujours en mesure d'apporter à plusieurs épouses ou concubines, les satisfactions qu'elles pouvaient légitimement attendre d'un mâle contraint par la nature de mesurer la fréquence de ses relations amoureuses.

C'est pourquoi le musulman découvrit, très vite, un procédé moins coûteux et plus attrayant de pratiquer la polygamie (9) en l'exerçant dans le temps plutôt que dans l'espace - puisque le Coran l'autorise à se débarrasser, par la "procédure de la répudiation", d'épouses devenues indésirables autant de fois qu'il en éprouvera le désir, il était moins onéreux de n'entretenir qu'une seule femme à son foyer, d'en changer à son gré' et d'en choisir à cette occasion une plus jeune.

Le divorce tel qu'il est codifié dans notre droit, n'existe pas dans le droit coranique. Il est remplacé par cette invention juridique rudimentaire et gratuite, conduisant également à la dissolution du mariage. Ce privilège, la répudiation, étant naturellement réservé à l'homme.

L'effarante multiplicité des formules de répudiation proposées aux arabo-musulmans nous amène,, dans un souci de simplicité à ne retenir que la plus élémentaire d'entre elles,, celle qui consiste à déclarer en présence de trois témoins, " je te répudie par trois fois. " L'homme est aussitôt libéré des liens du mariage.

Il conserve le droit souverain de la garde ou de l'abandon des enfants communs et la femme répudiée n'a droit à aucune pension alimentaire.

L'épouse répudiée recevra la dot versée par le mari à l'occasion du mariage, si toutefois cette dot n'a pas été absorbée pour l'entretien du ménage. La femme ne possède pour lutter contre ce pouvoir inique que du droit de. révolte qui consiste à s'enfuir chez ses parents... si ceux-ci veulent bien l' accepter.

Tant que la répudiation n'est pas devenue effective, en raison du respect du délai de viduité, il lui sera impossible de contracter une nouvelle union et suivant la discourtoise expression kabyle, " elle demeure retirée de la circulation." Il existe, cependant, un divorce par consentement mutuel très rarement utilisé' qui s'apparente à "l'in jure cessio " du droit romain.

C'est un contrat très peu pratiqué, par lequel la femme rachète sa liberté moyennant une compensation acceptée en justice par l'époux et qui est, ordinairement, le remboursement du douaire.

Le droit d'épouser des filles impubères.

Le prophète Mahomet épousa Aïcha alors qu'elle n'avait que neuf ans mais ce n'est que lorsqu'elle en eut douze, qu'elle rejoignit son harem où elle passa neuf années, autrement dit jusqu'à la mort du prophète, en l'an 632.

Le droit de "djebr."

C'est le droit pour le père ou le chef de famille de marier ses enfants à sa guise et sans leur consentement.

Les dispositions du régîme successoral.

Elles désavantagent la femme qui n'hérite que de la moitié de la part qui revient au successible mâle.

La faculté d'imposer à son épouse la claustration au domicile commun et le port du voile.

Un des traits notables du caractère du musulman réside dans l'exceptionnelle exacerbation de ses désirs sexuels qui ont pour corollaire, une jalousie quasiment pathologique, se traduisant par la claustration des femmes au domicile du mari et leur imposant le port du voile à l'extérieur.

Voici ce qu'ordonne le Coran,

Sourate XXXIII verset 59

Ô Prophète !

Dis à les épouses et à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de voiles (jusqu'en bas) C'est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître (comme vertueuses) et de ne pas être offensées.

Les quelques exemples ci-dessus, consacrant la prééminence de l'homme sur la femme, n'épuisent pas le nombre considérable des dispositions qui accordent au musulman bien d'autres avantages exorbitants. Il en résulte que la condition de la femme musulmane ressortit à un esclavage despotique et on peut s'étonner que les fier-à-bras des Droits de l'Homme, prompts à s'enflammer pour de moindres causes, n'aient jamais ressenti l'impérieuse exigence de d'énoncer cette forme inhumaine d'asservissement.

*

Les textes réformateurs de 1830, 1865, 1919 et 1944 n'ayant pas donné en cent quatorze années, les résultats souhaités, les gouvernements moribonds de la Quatrième République vont être pris dès 1945 d'une frénésie législative dont nous examinerons superficiellement les textes, jusqu'au 1er novembre 1954, date à laquelle débutera la rébellion.

Loi du 7 mai 1946.

Réalisant la vocation de l'ordonnance 1944, ce texte conférera aux musulmans la citoyenneté. Mais en attendant l'intervention de lois particulières, elle les maintiendra dans leur Collège quant à l'exercice de leurs droits électoraux

Loi du 5 octobre 1946.

Cette loi électorale est applicable à l'Algérie qui dispose de 30 sièges à l'Assemblée Nationale, 15 du Premier Collège et 15 du Second.

L'article 82 proclame la compatibilité de la pleine citoyenneté et du statut personnel, "lequel ne peut en aucun cas constituer un motif pour refuser ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français. "

Fait capital, par ce texte et pour la première fois, le Statut de l'Algérie est fixé expressément et le pays classé dans les départements d'Outre-Mer.

Ce classement définit son caractère juridique, comme l'a constaté le Conseil d'Etat dans deux avis de 1949 et 1951.

Ce texte constitutionnel prévoit la représentation de l'Algérie à l'Assemblée de l'Union Française qui est formée d'une part, de la République Française comprenant les départements d'Outre-Mer et d'autre part les Territoires et États Associés.

Loi du 20 septembre 1947

Portant statut organique de l'Algérie, crée une Assemblée Algérienne élue par les deux Collèges, se composant de 120 membres : 60 du premier et 60 du second. Il est prévu que les femmes musulmanes jouiront du droit de vote, mais le texte subordonne, prudemment, les modalités de ce droit à une décision de l'Assemblée Algérienne, décision qui en 1957 n'était pas encore intervenue.

Loi du 24 octobre 1948

Au Conseil de la République, l'Algérie est représentée par sept membres du Premier Collège et sept du Second.

Loi du 11 septembre 1954

Ce texte consacre la parité de représentation au sein des Conseils Généraux des départements algériens. La présidence est attribuée chaque année à un élu d'un Collège différent.

Nous laisserons de côté les nombreuses lois de circonstance qui, à partir delà fin de l'année 1954 vont aboutir aux-honteux accords d'Evian du 19 mars 1962, consacrant la fin des hostilités.

Ces accords auront sur le plan politique et humain des conséquences dont les signataires français qui les ont avalisés hâtivement avec les représentants du F.L.N., ont ignoré les effets dévastateurs qu'ils devaient provoquer dans les rapports entre les métropolitains et les futurs exilés d'Algérie, qu'ils soient d'origine européenne ou musulmans harkis. Les conséquences en perdurent, près d'un demi-siècle après que l'indépendance soit intervenue dans des conditions qu'il est nécessaire de relater en raison des conditions illégales dans lesquelles le référendum du 8 avril 1962 sur 1'autodétermination de l'Algérie, a été décidé.

Pour se débarrasser du problème algérien. qui contrariait le rôle de leader cosmique dont il se croyait investi, De Gaulle, Chef de l'Etat, passant outre au principe du Référendum de Consultation dont il était l'initiateur, excluait de ce vote capital tous les habitants de l'Algérie qui jouissaient pourtant du statut de citoyens français et qui avaient un intérêt évident à faire entendre leurs voix. Ces citoyens français ne pouvaient, par conséquent, être légalement écartés d'une telle consultation. Passant outre aux impérieuses dispositions de la loi, De Gaulle se rendait, par là même, coupable d'un acte de forfaiture justiciable d'une Haute Cour de Justice.

Inutile de préciser qu'il ne fut jamais inculpé malgré bien d'autres violations de la légalité dont il s'est rendu coupable et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.

Ce militaire de carrière, peu glorieux, fait prisonnier par les Allemands en 14-18, plus habile à utiliser un microphone qu'une arme de guerre, peu soucieux du respect dû à la Loi, avait habilement et traîtreusement utilisé comme un tremplin politique les inquiétudes et les troubles provoqués dans la Nation par la guerre d'Algérie.

Quant aux habitants de la Métropole, indifférents à l'illégitimité de ce référendum, animés par un lâche soulagement, ils n'ont vu dans la fin des combats en Algérie que le retour à une paix à laquelle ils aspiraient par dessus tout. C'est ainsi que le "oui"' à l'indépendance voté,. à 90.7% par l'ensemble des populations métropolitaines et des T.O.M, D.O.M s'est accompli dans le silence des chiens couchants des Droits de "l'homme."

Ce faisant, De Gaulle et le peuple français, ont été et demeurent coupables d'un génocide. Un génocide ne s'accomplit pas seulement par la destruction physique d'un groupe ethnique mais également par le transfèrement, imposé contre son gré, d'une population d'un territoire à un autre, qui a pour effet inévitable d'entraîner la ruine de son âme.

C'est chose faite.

Privés de notre pays, reçus en métropole, non comme les malheureuses dupes d'une politique déloyale, mais comme d'indésirables immigrants

Que nous reste-t-il ?

A ne jamais oublier.

Et attendre avec patience et vigilance, au bord du chemin... aussi longtemps que les dieux, qui nous ont abandonnés, nous prêteront vie.

P.S : J'indique que le premier geste confraternel de solidarité décidé par le Conseil de l'Ordre du Barreau de Nice, a consisté à doubler les droits d'inscription réclamés aux avocats réfugiés d'Algérie qui arrivaient pour la plupart démunis d'argent et contraints de rechercher une nouvelle clientèle. En foi de quoi, Monsieur Fernand Derrida, maître incontesté du droit de la faillite et du redressement judiciaire en France, professeur honoraire de la Faculté de droit d'Alger a introduit une action judiciaire en annulation de la décision du Conseil de l'ordre de Nice qu'il a perdue devant le Tribunal de Grande Instance de cette ville. Mais gagnée en appel devant la Cour d'Aix en Provence, arrêt maintenu par la Cour de cassation

- Quant au Conseil de l'Ordre des médecins de Nice, je témoigne, sur l'honneur, avoir eu personnellement en main (l961 ou 1962) le texte voté par cette instance ordinale (texte qui m'avait été communiqué par un confrère corse et dont je n'ai pu avoir copie) qui interdisait aux médecins en provenance d'Algérie de s'installer dans les Alpes Maritimes. Dix années plus tard, les médecins réfugiés, groupes sous l'égide du Professeur René Bourgeon et du docteur André Brincat, chirurgiens algérois réputés, ont créé la Clinique Saint George qui a reçu récemment le label de Première Clinique de France. C'est également au Professeur Bourgeon que l'on doit la création de la Faculté de Médecine de Nice.

- En guise de bienvenue, sur les quais de Marseille et de Port-Vendres où arrivaient les réfugiés d'Algérie, de bonnes âmes avaient inscrit en lettres géantes :

"Pieds Noirs rentrez chez vous." !

 

Conclusion


L'examen des textes que nous avons parcourus, amènera le lecteur à conclure que les mesures législatives mises en oeuvre pour amener les musulmans, toutes ethnies confondues, dans le giron de la France se sont soldées par des échecs.

Nous pourrions donc en terminer là et mettre un point final aux annales des "Deux Collèges", en constatant que l'indépendance de l'Algérie étant intervenue, le dossier de notre féconde entreprise coloniale, qui est notre fierté, a rejoint dans les archives de la longue et tumultueuse Histoire de la France, les cartons enfouis sous la cendre de ses défaites et de ses trahisons.

Monsieur Samuel Huntington, professeur à l'Université' d'Havard, a déclaré dans son ouvrage "Le Choc des Civilisations" (Editions Odile Jacob - Octobre 1997 Page 239) qu'une des causes du conflit qui oppose nos sociétés occidentales libérales et évolutives, à celle de l'Islam intolérante et figée, était le reflet de l'antagonisme de deux civilisations, de deux approches de la vie, irrémédiablement séparées par une profonde fracture.

Le conflit qui, depuis des siècles était latent à l'égard de la symbolique, d'un Dieu omniprésent, apparaît maintenant au grand jour. Les imams et les disciples du Dieu unique ne sont plus tenus de se dissimuler dans l'ombre de lieux de prières innomés. Ils peuvent agir au grand jour et utiliser le domaine laissé vacant par le libéralisme laxiste des démocraties occidentales et propager, sans risque, un prosélytisme qui raffermit dans leur croyance " les combattants de la foi" et gagne, aussi par étrange conviction, de nouveaux recrues à l'Islam.
Le péril que représente l'Islam pour notre Société réside dans l'invarience des fondements d'une civilisation dont les dogmes subsistent tels qu'ils ont été formulés il il y a treize siècles par le Prophète et ses disciples. Depuis, les arabo-musulmans, dès leur plus jeune âge, sont imprégnés par un mode de vie dont l'assise est essentiellement religieuse et dans lequel ils baignent leur vie durant. C'est ainsi que se forge la désespérante et stérile uniformité mentale de "l'homo-arabicus."

Il en résulte la genèse d'un état d'esprit qui ressortit au domaine de la génétique. Le chromosome "Allah" inscrit, depuis des siècles, dans leurs gènes les soumet, parmi d'autres contraintes à celles d'une doctrine théologique du fatalisme, et à la haine du mécréant, contraintes qui conduisent leur vie et auxquelles ils ne peuvent se soustraire, puisque c'est leur Dieu, tout puissant, qui en est l'unique organisateur et leur impose de s'y plier. Les méfaits du système réducteur dont ils sont imprégnés s'appliquent à une foule immense de croyants, qui, des rivages nord-ouest de l'Afrique jusqu'à l'Indonésie, vegètent dans une pauvreté intellectuelle immuable et invalidante.

Ainsi s'achèvera cette brève étude des "Deux Collèges" qui s'est parfois égarée dans quelque chemin de traverse. Que l'on veuille bien nous en excuser et retenir que nous n'avons eu pour dessein que de démontrer la persistante résolution du législateur français qui s'est efforcé d'atteindre l'impossible gageure de son ambition, parfois avec impéritie mais toujours avec humanisme.
On peut imaginer que des itinéraires différents auraient pu être suivis pour parvenir à un modus vivendi acceptable, entre nos sociétés : l'une, l'occidentale, libérale et démocratique et l'autre, la musulmane, soumise aux seuls impératifs d'une pesante et stérilisante religion.
Dans l'état actuel des choses, une telle hypothèse procède de la chimère des espérances.
Mais est-ce une raison suffisante pour ne pas la tenter et pourquoi toujours se défier d'y parvenir
Patience !


« Lorsque (1O) l'eau du fleuve remontera jusqu'aux
sommets couverts de neiges; lorsqu'on sèmera
l'orge et le blé dans les sillons mouvants de la mer;
Lorsque les pins naîtront des lacs et les nénu-
phars des rochers; lorsque le soleil deviendra noir,
lorsque la lune tombera sur l'herbe...»
Alors mais alors seulement...


Le devoir de mémoire qui nous dictait la tâche que nous avons entreprise, avait pour objet de rétablir, l'une des vérités volontairement dénaturées par des prises de position officielles, l'action des médias, de certains partis politiques dont les mensonges et la mauvaise foi servent de credo à une rumeur publique peu soucieuse de la vérité, lorsqu'il s'agit de l'Algérie. Nous ne clamerons, jamais assez fort que 90,70 % de métropolitains, dont nous partageons la nationalité, par leur vote, nous ont chassés de notre pays. Le jour viendra où il faudra faire la somme de ces vérités volontairement tronquées, les remettre à l'endroit et en situation d'être rétablies dans leur authenticité lorsqu'elles seront débarrassées des errements qui les dénaturent. Viendra le jour où les passions apaisées par le temps, l'Histoire relatera, peut-être, la réalité des faits enfin libérés des contraintes partisanes qui les altèrent et reconnaitra, que des populations disparates, unis dans un même effort et dans un même labeur, ont su en 132 années construire un nouveau pays et créer un nouveau peuple, distinct de celui de la Métropole, tant par ses origines que par ses mœurs, sa morale et son courage. Un peuple neuf et vaillant.

Pierre FABIANI

8 mai 2003

 

Notes de renvoi

1 - Dey : Titre porté par le chef de la Régence d'Alger. (1671-1830)

2 - Rappelons que la prescription est la consolidation d'une situation juridique par l'écoulement d'un délai.

3 - La nationalité constitue le lien juridique qui unit une personne à un État déterminé.- La citoyenneté est la condition d'une personne jouissant, sur les territoires de l'Etat dont il relève des droits civils et politiques.

4 - Nous savons de différentes sources et en particulier par la thèse de doctorat ès lettres de C. Martin sur "Les Israélites algériens de 1830 à 1902" que par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, Napoléon III se proposait d'accorder la qualité de citoyen aux indigènes israélites et musulmans à condition qu'ils en fassent la demande individuellement et qu'ils renoncent à leur loi mosaïque ou coranique.

Le 21 avril 1866 un règlement administratif rendait applicable le sénatus-consulte. " Comment refuseriez-vous après l'avoir sollicité, une patrie comme la France, pour quelques avantages qu'offre le droit de pratiquer la polygamie et le divorce qui répugnent à la religion éclairée comme à la civilisation moderne. (Lettre pastorale du Consistoire israélite du 15 mai 1866. C. Martin P. 123. Ce fut un échec puisque sur 33.000 Israélites en Algérie, 152 seulement profitèrent du sénatus-consulte de 1865. (C. Martin p.124.)

Pour les Musulmans (d'après P. Montagnon "Histoire de l'Algérie" p. 188), 398 Israélites et 194 Musulmans demandèrent à accéder à la citoyenneté française.

5 - La fatwa est un avis religieux qui a force d'orientation légale, sans être elle même une loi. C'est une disposition extrêmement grave puisqu'elle peut être exécutée en tous lieux par n'importe quel musulman. (Se reporter à la fatwa de mort décidée et poursuivie contre Salman Rushdie pour son ouvrage "Les Versets Sataniques.")

6 - L'ouléma ou imam : se dit d'un érudit versé dans la connaissance du Coran.

7 - Médersa École coranique.

8 - Chikaias : Disputes

9 -Voir Polygamie et Répudiations Successives dans l'ouvrage d'André Chouraqui "Les Juifs d'Afrique du Nord" .

10 - Extrait du Serment de Mnasidika, des "Chansons de Bilitis" de Pierre Louïys.

Mis en page par RP le 29/10/2003