COLLOQUE des 20-21-22 juin 06 à l'E.N.S. de LYON

Thème : Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l'histoire franco-algérienne, au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire.

Avant le colloque, le Directeur chargé de la Recherche, JC. ZANCARINI avait prévenu les manifestants éventuels qu'il ferait appel à la Police. A l'ouverture, il doit déchanter : ni hordes de fachos, ni OAS, seulement six pieds-noirs qui distribuent des tracts sur le parvis extérieur de l'Ecole et sont quand même pris à partie par un "fort en gueule" du colloque.

P. JOXE arrive souriant. Le Joxe de Carpentras et le Joxe opposé à F. Mitterrand au sujet de l'amnistie des Généraux de l'OAS. Joxe père, ministre gaulliste, était connu lui pour sa note à C. Fouchet en 62, demandant le renvoi des Harkis à leur "destination définitive"...

A l'intérieur, dans le Hall d'Accueil, la CIMADE nous invite à signer des pétitions contre la loi Sarkozy sur l'expulsion des enfants scolarisés dont les parents sont en situation irrégulière...

Exposition de livres pro-FLN :

- sur la torture mais uniquement celle exercée par l'Armée française, rien sur les atrocités commises par le FLN sur les populations civiles, rien sur le carnage consécutif à l'explosion des bombes et grenades dans les lieux publics.
- sur le colonialisme : "Marianne et les colonies" de G. MANCERON, historien et vice-président de la LDH.
- sur la guerre : "Ma guerre d'Algérie" de et par B. GERLAND, livre et représentation théâtrale "à l'origine de nombreux travaux scolaires et universitaires" (vive le bourrage de crâne). "On n'efface pas la vérité" de A. NALLET.
- sur les Harkis, livre soutenu par un historien "ancien dirigeant, du FLN".

Présentation d'associations pro-FLN (reconnues d'utilité publique !) :

- association France-Algérie qui donne des tracts : contre la loi du 23 février 2005,
- contre l'inauguration à Marignane de la stèle de l'ADIMAD à la mémoire des combattants de l'Algérie française, car la réhabilitation de l'OAS est "une injure pour les pieds-noirs" (non, c'est celle du FLN qui en est une)
- pour se féliciter du présent colloque qu'elle soutient.

. pour réclamer le traité d'amitié franco-algérien.

- "Coup de soleil" qui soutient le futur Mémorial du camp de Rivesaltes.
- "Parlons-en" en partenariat avec GERLAND et NALLET déjà cités.
- GARA, Cercle des Algériens en Rhône-Alpes.

Présentation d'une revue de presse :

- le Progrès de Lyon du 19 juin titre : "l'histoire en toute indépendance. Le colloque se veut une rencontre ouverte malgré le refus d'associations de pieds-noirs d'y participer". L'article est illustré par une photo : un fellah isolé, mains en l'air, face à un groupe de méchants militaires, les armes au poing, aidés de deux molosses qui hurlent, prêts à bondir. Le cité outrancier de la manipulation porte à s'esclaffer plus qu'à la compassion. Qui a pu prendre une telle photo ? Où, quand et dans quelle intention ?

F. ABECASSIS, enseignant à l'ENS et organisateur du colloque, écrit : "les voix critiques ne représentent numériquement (et pour cause, elles n'ont pas été invitées) et intellectuellement (1) pas une opposition crédible". Il ajoute que M. HAMOUMOU (de AJIR, la plus représentative des associations de Harkis) n'a pas été retenu parce qu'il est "un historien engagé, un autre auteur, moins impliqué affectivement lui ayant été préféré" (porte-parole de l'association inconnue Harkis et Droits de l'homme ?). J'ai assisté les 12 et 13 mai derniers à Clermont-Ferrand à l'Assemblée Générale de AJIR. M. HAMOUMOU, lui, avait permis que s'expriment des intervenants d'autres bords, en particulier A. NERI député socialiste pro-FLN.

- le Quotidien d'Oran du 5 juin titre : "80 historiens de tous horizons (!) sont appelés à dresser à coups de débats croisés (!) un bilan exhaustif du savoir académique franco-algérien et à tracer les perspectives d'une histoire en partenariat". On y parle "d'histoire sereine, d'assainir le débat, de l'apaiser, de rendre la parole à l'histoire" (!).

G. MEYNIER, organisateur, écrit : "colloque fondé sur l'idée que la recherche et l'enseignement doivent rester libres de toute injonction politique (!).

Enfin on y apprend que ce colloque a été décidé à la rentrée scolaire 05-06 par les enseignants et chercheurs pétitionnaires contre l'article 4 de la loi du 23 février 05 et qui "ambitionnent de promouvoir l'histoire des historiens"...

- la Tribune du 20 juin confirme l'origine du colloque dans la réaction des historiens à l'article 4 de la loi du 23 février 05, portant sur les effets positifs de la colonisation, qui par pétitions ont exigé (et obtenu) son abrogation.

Les réactions algériennes à cette loi ont été plus le fait du politique que des historiens. On parle aussi de "menaces" (?) dont aurait été victime le colloque sur des sites pieds-noirs. Enfin on annonce qu'Amiens prendra le relais en novembre prochain en proposant une rencontre plus spécifiquement ciblée sur "le fait colonial". (On remet donc ça... toujours sans les pieds-noirs ni les harkis ?).

Invitation à participer à une conférence-débat, le Mercredi 21 juin à 20 h à l'INRP : Institut National de la Recherche Pédagogique, (pour ceux que les 76 conférences-débats du colloque n'auraient pas convaincus ?) avec :

- M. GARANGER, photographe et soldat, témoin de la guerre d'Algérie,
- R. BRANCHE, professeur à Paris 1 Sorbonne, auteur de "La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie",
- P. BOUVERET, journaliste au CDRPC, témoignages de soldats et victimes (?) des essais nucléaires en Algérie.

Le colloque est réparti sur 5 demi-journées de 5 sessions thématiques, divisées en 4 conférences-débats, données dans 4 salles différentes. Au total, 76 thèmes abordés qui, par leur nombre et leur diversité, auraient pu donner un travail sérieux et intéressant s'il n'avait été totalement dévoyé par un sectarisme politique outrancier.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire...

Proscription de tous conférenciers, prestigieux par leur action, leur mérite, leur talent ou leur oeuvre littéraire, qu'ils soient rapatriés, musulmans ou militaires.

Superbe ignorance par les organisateurs de la très riche bibliothèque de l'Algérie française, élaborée au fil de 44 ans.

Interdiction de s'opposer dans les débats à moins de ruser pour obtenir une minute de micro. On se croirait à un congrès dans un pays dit "démocratique".

A la fin de chaque demi-journée, un amphithéâtre nous accueille pour la restitution des sessions, c'est-à-dire la synthèse des 4 sessions données dans les différentes salles. Il faudrait avoir les enregistrements de toutes ces heures de conférences pour pouvoir commenter la multitude d'inepties proférées. Je me bornerai à en donner quelques exemples et à évoquer mes tentatives d'interventions.

1° JL. PINOL, professeur à Lumière-LYON II félicite un collègue pour avoir créé l'observatoire sur le négationnisme qui a conduit à l'inculpation de B. Gollnisch. Aucun rapport avec le sujet mais cela permet encore une fois de combattre le nazisme avec des décennies de retard. Mes proches, eux, dont deux ne sont pas revenus, faisaient partie des 400 000 combattants de l'Armée d'Afrique dont l'action fut décisive pour la victoire.

2° La session 1 s'intitule "Du beylik ottoman au pouvoir français".

Je ne peux juger de la valeur des 5 conférenciers qui se sont succédés mais je pense que le Président de VERITAS, Joseph HATTAB-PACHA, descendant d'HUSSEIN DEY, élu et réélu dans la Casbah d'Alger, sur un programme exclusivement Algérie française, aurait été le mieux placé pour parler de cette période.

3° Je n'ai pas assisté à la session 8 "Enseignement et enseignante dans l'Algérie coloniale". Y a-t-on renouvelé le mensonge proféré par une invitée de LCI (voir l'Echo de l'Oranie de nov-déc 05) : il y avait en Algérie une éducation à deux vitesses, une pour les colons, une pour les algériens. C'est faux et j'en témoigne, comme élève ayant effectué toute ma scolarité dans l'enseignement public et comme professeur au Collège technique d'Etat de Relizane en 61-62. Les innombrables photos de classes reproduites dans les revues pieds-noirs l'attestent : l'école publique était obligatoire pour tous et la même pour tous.

4° A. RUSCIO, historien et envoyé spécial de l'Humanité au Vietnam en 78-80, parle de la torture à la session 11 "De la guerre d'Indochine à la guerre d'Algérie", cite les noms de Le Pen, Holleindre, Salan, Denoix de Saint-Marc... parle de "nostalgie" indochinoise transposée à l'Algérie. Nostalgie, pour des hommes de cette trempe ? Plutôt prescience et refus de devoir encore trahir des populations amies, de les abandonner lâchement et de les livrer aux exactions des communistes ? Pourquoi Holleindre qui fut correspondant de guerre à Paris-Match n'était-il pas invité ?

5° A la session 11 toujours, j'interviens après les exposés de F. RENKEN et M. EVANS :

- vous soutenez la demande de repentance adressée par l'Algérie à la France mais demanderez-vous repentance à l'Algérie pour l'ignoble barbarie du 5 juillet 62 à Oran qui a fait 3 000 morts et disparus et pour le massacre de 150 000 Harkis ? Harkis toujours interdits de séjour en Algérie par Bouteflika qui les traite de "collabos" dans sa déclaration en 2000 à Paris ?

- vous évoquez la loi Taubira concernant la traite des noirs. Pourquoi ne parlez-vous pas aussi de l'esclavagisme barbaresque et ottoman avec 11 millions de victimes en 11 siècles ?

- concernant l'article 4 de la loi du 23 février 05, pensez-vous que les millions d'émigrés produits par la décolonisation en soient un aspect positif ?

6° A la session 14, KM. ROUINA, sociologue à l'Université d'Oran, attribue la cause de la tragédie du 5 juillet 62 à des tireurs embusqués de l'OAS livrant un baroud d'honneur et parle d'une centaine de victimes.

- pourquoi persistez-vous à nier l'évidence ? Votre version est contredite par des centaines de témoignages et preuves irréfutables (archives militaires, de la Croix Rouge, de l'ASFED, L'Agonie d'Oran de G. de Ternant, etc). L'OAS était alors en prison en France ou en exil en Espagne.

Il y eut ce jour-là 3000 Oranais massacrés dans des conditions de sauvagerie inouïe et disparus (chiffre admis tardivement par L. de Broglie, signataire des Accords d'Evian et ministre gaulliste des Affaires algériennes).

C'était la valise ou (sans même) le cercueil, qui a vidé l'Algérie de ses Européens et a abouti à un désastre économique dont elle ne s'est toujours pas relevée.

Dans la salle, un intellectuel algérien vient au secours du conférencier : le FLN après enquête auprès de Katz, Jouhaud et de la population "sauf des Harkis par principe, même si ce n'est pas bien pour des historiens" n'a compté que 100 à 300 victimes.

7° A la session 19 je ne peux intervenir pour demander comment ma région, la Plaine de l'Habra si fertile autrefois, dont les agrumes et cultures maraîchères inondaient la France et l'Europe, avait pu en quelques années d'indépendance, se transformer en terre stérile avec destruction des canaux d'irrigation et remontée d'eau saumâtre à 45 kms de la mer.

8° A la session 19 toujours, Y. SCIOLDO-ZURCHER de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, nous dit avoir établi sa thèse à partir d'archives privées, en fait de lettres de rapatriés datées de 62-63 qui n'étaient que calomnies des Algériens.

- vous nous diffamez. Après 44 ans les seuls touristes de l'Algérie sont les pieds-noirs, partout accueillis à bras ouverts, preuve que malgré tout, les relations d'amitié et de fraternité n'ont jamais cessé entre les deux communautés.

9° Tout au long de cette session 19 intitulée "Existe-t-il une vision pied-noir de l'histoire franco-algérienne" Y. SCIOLDO-ZURCHER va multiplier ses élucubrations qui me font intervenir avec véhémence :

la victimisation des pieds-noirs :

- nous poser en victimes ? un peu oui. Nous retrouver en été 62 sur le quai de Marseille avec deux valises sans savoir où aller, n'être accueillis que par les banderoles "les pieds-noirs à la mer" du port de G. Defferre, voir nos familles séparées et expédiées de force dans des destinations arbitraires (voilà qui ferait un bon sujet de thèse), ne devoir notre hébergement qu'à des bénévoles (merci infiniment à la famille Vaganay de Saint-Etienne qui a logé plus d'un mois ma mère et ma grand-mère de 80 ans, veuve d'un grand invalide de la guerre des Dardanelles).

les nombreuses lois d'indemnisation :

- nombreuses lois mais peu d'indemnisation, juste un acompte versé après 20 ans, à partir d'évaluations non indexées. Mes parents attendent toujours, au cimetière maintenant, l'indemnisation d'une modeste maison qu'ils avaient mis dix ans à payer.

les émissions de Télé qui leur sont favorables :

- on ne doit pas avoir les mêmes chaînes. Il ne se passe pas de mois sans qu'une fellaghate poseuse de bombes, installée en France (cherchez l'erreur) ne vienne nous raconter ses exploits passés.

leur refus d'admettre les violences militaires :

- mais vous ne parlez que de ça. Et les violences du FLN sur les populations civiles avant et après l'indépendance ? et les massacres de Melouza, d'El Halia, de Palestro ? et les atrocités du 5 juillet 62 à Oran ? et l'extermination de 150 000 Harkis ?

leur refus du communisme :

- ma ville Perrégaux comptait de nombreux cheminots communistes. qui ont déserté le Parti dès qu'ils ont compris que l'URSS armait le FLN et que les porteurs de valises étaient socialo-communistes.

En conclusion, une suggestion à Y. SCIOLDO-ZURCHER : le moyen de couper court à une vision pied-noir de l'histoire franco-algérienne serait d'obtenir la restitution des archives, confisquées par Bouteflika pour 120 ans et non 60 (d'après un universitaire algérien). Cela permettrait aussi de constater le sort réservé par l'Algérie aux fameux Accords d'Evian.

10° Je sors atterrée de cette session et croise dans le couloir le délégué de VERITAS. Médecin de son état, il s'est fait arracher le micro pour avoir demandé de reconnaître que l'hôpital Mustapha d'Alger était le plus moderne d'Afrique. On lui répond qu'il n'a jamais existé !

11° A la restitution de session "Enseigner la guerre d'Algérie à l'Ecole" B. FALAIZE de l'INRP nous "annonce une bonne nouvelle : on enseigne la guerre d'Algérie en lycées et collèges. Est-ce qu'on insiste sur la violence coloniale" ?

Nous pouvons leur faire confiance...

12° Je n'assiste pas à la séance de cloture par P. SORLIN à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon le dernier après-midi. Peut-être y a-t-on entonné l'Internationale ?

En conclusion, ce colloque "Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l'histoire franco-algérienne" donné à l'Ecole Normale Supérieure, école supposée prestigieuse, par des universitaires présumés compétents et intègres (dont des Algériens disant en aparté n'être pas libres de leurs propos), n'a été qu'une falsification évidente de l'Histoire.

Des historiens, des chercheurs, des sociologues ont mis leur titre au service d'une idéologie totalitaire révolue et de la propagande FLN.

On peut alors se poser trois questions :

- pourquoi un établissement d'enseignement public s'est-il substitué à une officine de subversion marxiste ?

- quels ont été les montants des subventions publiques apportées par les partenaires : ministère des Affaires étrangères, ministère de la Recherche, Région Rhône-Alpes, Ville de Lyon ?

- la prochaine rencontre prévue à Amiens en novembre sur "le fait colonial" sera-t-elle de la même veine ?

Mais il y a pire encore : les programmes scolaires seront élaborés nous dit-on, à partir des travaux de ce colloque en collaboration avec la revue de référence "Histoire" ...

Ainsi les Pieds-noirs et Harkis, dépossédés hier de leur avenir par les Accords d'Evian décidés et votés sans eux, le seront-ils aujourd'hui de leur passé par une Histoire fabriquée sans eux ?

Nier, salir, effacer leur mémoire, voilà l'imposture de ce colloque.

Mme Claudette ORTIZ

Compte-rendu 1

Mis en page le 10/11/2006 par RP