N°322 Mai-juin 2009
HOMMAGE Á NOS « BRAILLARDS »
Il y a quelque temps, l'Écho de
l'Oranie se réjouissait d'entendre
à nouveau le chant des Africains dans de nombreuses manifestations
patriotiques sur l'Hexagone. Il y avait de quoi...
Au lendemain de 1962, les fanfares
et les cliques, s'étaient vues interdire le droit d'interpréter
cette musique que sa Grandeur le chef de l'État français et les
courtisans qui l'entouraient, trouvaient particulièrement séditieuse.
Devant les démarches répétées des Anciens combattants, le ministre
Duvillard, certainement autorisé par le nouveau locataire de l'Elysée,
avait, en 1969, levé cette interdiction. Néanmoins, de crainte
de déplaire à certains politiciens hostiles, les fanfares n'osaient
trop s'aventurer à jouer cet hymne, « raciste » si l'on
en croit l'intelligentsia qui monopolise la bonne parole...
Et soudain la censure disparut comme
par enchantement, les Africains retentissaient même sur les Champs-Élysées.
L'Écho de l'Oranie s'était
demandé alors si cet engouement soudain ne venait pas du fait
que Jamel Debbouze les avait chantés dans son film « Indigènes ».
Ë l'époque, notre éditorial avait souligné la captation d'héritage
que constituait l'attribution de ce chant patriotique des Français
d'Algérie aux seules troupes « indigènes » ; mais
malgré ces réserves, nous avions cru que le chant des Africains
avait enfin conquis droit de cité, aux yeux de tous.
Fallait-il que nous ayons été
naïfs !!!
Dans une lettre
adressée aux membres du « Mémorial
Notre Dame d'Afrique Ð Souvenir du 26 mars 1962 »,
Claude Rochette alerte nos compatriotes. Pour les cérémonies
du 25 septembre, à la mémoire des Harkis et
du 5 décembre, pour les morts en Afrique du Nord,
sans distinction de race ou de religion, le préfet des
Hautes Pyrénées interdit le chant des Africains
prévu dans les célébrations programmées.
Cette mesquine et déplorable
interdiction ne passe pas inaperçue aux yeux d'un certain
personnage qui éprouve le besoin d'écrire que cette
décision lui a fait pousser un « ouf »
de soulagement. Autorisons-nous
à le citer : « Enfin ! Une
autorité qui s'oppose à ce que ce chant, aujourd'hui
dépassé, soit maintenu au répertoire. Cette
interdiction locale devrait inciter tous les braillards appartenant au monde associatif des Combattants
ou autres, à réfléchir sur le pourquoi de
cet interdit ».
Ce personnage est sans doute décoré
de la Légion d'Honneur, au péril de sa vie, et a été blessé multiple,
ce que nous respectons profondément. Il préside en plus trois
ou quatre organisations « appartenant au monde associatif
des Combattants ou autres », ces associations même qu'il
semble considérer de haut. Tout cela ne l'autorise en aucun cas
à traiter de « braillards » les Anciens combattants,
quels qu'ils soient. Les Combattants des Deux-Savoies et de Maurienne
qu'il se plaît à présider, appartiendraient-ils à une catégorie
d'Anciens combattants qui n'oseraient - ce qui est invraisemblable
et impossible - proclamer haut et fort, ce qu'ils ont fait pour
la libération de la France. Dans le cas contraire - ce qui est
vraisemblable et certain Ð leur président se permettrait-il de
les traiter de « braillards » ? Certainement pas,
et tout comme nous, il apprécierait que l'on chant‰t le chant
des partisans.
Á moins que ce qui le gêne
soit le fait que ces Anciens combattants qu'ils visent, sont nés
de l'autre côté de la Méditerranée.
A-t-il même pensé que nous n'étions que des
néo-Français ?
Une telle pensée ne mérite
pas de réponse ; tout au plus une simple remarque :
en lisant ses titres on pourrait supposer qu'il est savoyard.
Il n'est donc pas sans savoir que la Savoie a été
définitivement annexée à la France en 1860.
Á cette époque, les pères de nos combattants
ne « braillaient » pas. Il y avait trente
ans déjà qu'ils « en bavaient »
pour faire des terres d'Algérie de belles provinces françaises.
Eh bien ! Face à ce personnage,
nos propres « braillards », et là est leur honneur,
n'ont pas honte de revendiquer la part qu'ils ont prise, aussi
essentielle que celle de la Résistance, à libérer du joug nazi
le territoire métropolitain.
Il est vrai que notre homme met en
doute l'utilité du Corps expéditionnaire d'Afrique du Nord, l'armée
du maréchal Juin, nos zouaves, nos tirailleurs et nos goumiers,
puisqu'il ose écrire : « C'est vrai, il [le chant
des Africains] fut beaucoup chanté, au moment du débarquement,
mais loin d'être apprécié par tous les Français de métropole qui
interprétaient très mal l'arrivée des troupes mixtes sur le territoire,
alors que des grandes nations du monde se battaient à nos côtés
pour la libération de notre pays ». L'énormité de
cette affirmation se passe de commentaires.
Morts des campagnes d'Italie, de
Provence et d'Alsace, votre sacrifice aurait été inutile !!!
Et voilà que ce monsieur nous invite
à réfléchir longuement, nous, anciens Harkis, que la France a
abandonnés, nous, anciens soldats de l'Armée d'Afrique, qui n'avons
été payés que d'ingratitude, à une « longue réflexion...
pour qu'une majorité bascule en faveur d'une interdiction définitive ».
Nous n'avons pas attendu cette invitation
pour y réfléchir « longuement ». Aussi prendrons-nous
la liberté de lui offrir quelques éléments de notre réflexion.
Tout d'abord, nous ne comprenons pas
ce mépris, pour ne pas écrire cette haine, à
l'égard du chant des Africains... Que la modestie de notre
détracteur se rassure, sa pensée n'est pas originale.
Elle s'inscrit dans le droit fil de tous ceux qui voudraient effacer
à tout jamais, dans la colonne débit, ce que la
métropole doit aux « Africains ».
Dans le politiquement correct, si l'on se sent comptable devant
l'Histoire, il vaut mieux verser aux oubliettes quelques reconnaissances
de dettes. Et pour ce faire, rien ne vaut le recours au mensonge
le plus outrancier et à la calomnie la plus basse. C'est
ce qui se produit en permanence à l'encontre des Harkis
et des Pieds-Noirs. Le dernier exemple nous a été
donné par le maire de Valence, commentant la manifestation
des patriotes pieds-noirs du 14 mars. En déni de toute
vérité, n'a-t-il pas osé affirmer - nous
citons le Dauphiné Libéré - : « 500
à 800 personnes, encadrées
Ð tenez-vous bien, plus le mensonge est gros, plus il a de chances
de passer Ð par une trentaine de miliciens au crâne
rasé, habillés de noir ». De ces mensonges et
de ces calomnies, nos lecteurs sont saturés.
Mais, revenons au détracteur du chant
des Africains... Ce que nous comprenons encore moins, c'est le droit
qu'il s'arroge pour qualifier de « braillards », ces
hommes qui manifestent par leur hymne, leur attachement à la mère
Patrie. Ils sont venus « des colonies, pour défendre le
Pays » (l'article mérite d'être souligné), un pays que pour
la plupart, comme le dit Albert Camus de son père, ils ne connaissaient
même pas. Mais à leurs yeux, le Pays
c'était la France, la Patrie, mère de tous... et chez nous, on ne
transigeait pas quand la France appelait au secours.
Devenus Français par le sang versé
et non par les excès d'une naturalisation non contrôlée, nous
assumons avec fierté, l'Histoire de notre Pays et nous admirons
tous ces « braillards » qui ont bousculé les tenants
de la pensée politiquement correcte : les sans-culottes de
l'An II, les Marseillais montés à Paris, les insurgés de
1830, les républicains de 1848 et, pourquoi pas, les « communards »
de 1870, dont certains d'entre nous descendent, et qui « braillaient »,
eux aussi, « le temps des Cerises ».
Au lieu d'attaquer les « Africains »,
ce que l'occupant allemand avait fait avant lui, en interdisant
cet hymne, il aurait mieux valu qu'il consacr‰t la prolixité de
sa plume à défendre la Marseillaise que d'aucuns commencent à
dénigrer à cause des paroles de son refrain et l'allusion au « sang
impur ». Il aurait pu expliquer alors que, dans le contexte
révolutionnaire, le « sang impur » était le sang du
peuple opposé au prétendu « sang bleu de la noblesse »,
et que ce sang, exalté par notre Marseillaise, allait « abreuver
les sillons », c'est-à-dire les tranchées de toutes les guerres.
C'est ce sang qu'ont versé dans une générosité et une folie sublimes,
en 70, en 14-18 et en 39-45, ceux qui reposent aujourd'hui, en
terre de France, dans leur tombe surmontée de la Croix, du Croissant
ou de l'Étoile de David.
Nous nous n'avons pas honte des paroles
de notre hymne national, inspirées quand toute l'Europe au sang
« pur » était coalisée contre la France républicaine.
Face aux violences de ces « féroces soldats », il était
normal, que les phrases du chant de la République soient violentes,
même si aujourd'hui, l'aspect guerrier dérange certains bien-pensants,
comme Jamel Debbouze ou Lambert Wilson.
Nous, nous frémissons d'émotion quand
la Marseillaise retentit, scandée par un chÏur de militaires ou
« braillée » par un stade tout entier. Nous, nous vibrons
d'enthousiasme, en entendant un Thuram ou un Makelele, chanter
faux, mais « brailler » quand même la Marseillaise,
car ils transpirent le patriotisme, le désir de faire gagner la
France. Peut-être, nos anti-braillards préfèrent-ils, pour leurs
oreilles sensibles, le silence indifférent, voire hautain, d'un
Nicolas Anelka qui, comme le rappelait un journaliste à Stade
2, a l'air de s'ennuyer prodigieusement sous le maillot tricolore ?
Alors, il serait temps de conclure...
« la carmagnole »,
« le régiment de Sambre et Meuse », « la Victoire en Chantant », « les trois couleurs de France »,
« la Marseillaise »
elle-même, qu'on attaque et qu'on siffle, et que certains voudraient
supprimer maintenant, sont des pages de notre Histoire de France...
Doit-on rejeter ces hymnes, sous prétexte qu'ils seraient surannés,
que leurs paroles ne conviendraient plus ? ... Non, votre Honneur.
Ils sont, et avec eux, « le chant des Africains »,
n'en déplaise à quelques-uns, des monuments classés du patrimoine
national, et porter atteinte à un monument du patrimoine national,
cela s'appelle, Messieurs, en droit français, un délit.
L'Écho de l'Oranie