Éditorial  L’enseignement de notre histoire dans les établissements scolaires :
un récit tronqué et orienté

Voilà une bonne raison de retourner aux manuels du secondaire, en particulier à l’enseignement sur la colonisation de l’Algérie dispensée depuis cette rentrée, pour prendre connaissance de la présentation qui en est donnée et faire la comparaison avec ce que nous en savons nous-mêmes pour avoir été les héritiers, comme les témoins sinon les acteurs, de l’œuvre de la France en Algérie.

Ce qui ressort manifestement à la lecture des manuels du collège, comme du lycée, c’est l’idée unique et primaire, reprise à vau-l’eau par ceux qui ont la charge d’enseigner l’histoire de la colonisation de l’Algérie et qui se veulent détenteurs de la vérité historique, que la société coloniale n’était pas égalitaire.
C’est ce thème du fondement inégalitaire qui est repris dans l’ouvrage de la classe de 4e, édité par Nathan, et illustré par une présentation sommaire du code de l’indigénat qualifié de « système de répression » inique.
Certes ce code visait les seuls « indigènes » et son objet était de réprimer les infractions et délits commis sur l’ensemble du territoire algérien, à l’origine les incendies de forêt notamment, mais son application réservée aux « indigènes » ne doit pas faire oublier que ceux-ci restaient d’abord assujettis aux lois françaises comme aux principes généraux du droit qui les inspirent et qu’en conséquence l’illégalité du régime d’exception institué par ce code vilipendé aurait pu être déférée à la censure de la juridiction administrative de l’époque et ainsi sanctionnée, car l’Algérie était, en principe comme en fait, soumise à l’état de droit français.
Par ailleurs, l’inégalité sociale dénoncée dans cet ouvrage résulterait aussi des tableaux de comparaison de la scola- risation dans l’enseignement primaire en 1911, des salaires agricoles entre travailleurs européens et indigènes en 1934 à Sétif, ainsi que des superficies des propriétés agricoles, en 1934 également (chapitre 5, p.118).
Mais si un tiers seulement des élèves composant les classes primaires de 1911, soit 40.858 sur 155.275, venait de la population autochtone alors que l’école de Jules Ferry, en Algérie comme en France, était ouverte à tous, ce n’était dû qu’à l’isolement des douars, et surtout au manque de volonté des parents retenus par leurs traditions culturelles et peu enclins, par suite, à faire suivre à leurs enfants une scolarité normale à l’école publique.
Et les nombreuses photos des classes primaires de l’Oranie, que nous publions régulièrement dans notre revue, qui témoignent de la mixité des élèves du primaire, sont autant de preuves du manque d’objectivité de ces enseignants d’aujourd’hui (cf : in fine une classe primaire de l'école Paul Doumer d'Oran en 1948-49).

D’autre part, si les graphiques reproduits dans ce manuel montrent des différences importantes entre les salaires des ouvriers agricoles, selon leur ethnie, ou la taille des terres mises en valeur, selon l’origine des propriétaires, il s’agit de données statistiques qui ne suffisent pas à apporter la preuve recherchée de la discrimination prétendue alors que ces données particulières, et non générales, visent des personnes d’un niveau non comparable de qualification, ou de ressources financières, sans que les différences constatées soient nécessairement imputables à un système inégalitaire par nature.
Le prétendre et en faire un exemple probant de la société coloniale, comme le font ces agrégés d’histoire chargés de transmettre le savoir aux jeunes français, c’est manquer à l’objectivité.
Affirmer ainsi :

  • que « le code de l’indigénat donne aux populations indigènes un statut inférieur à celui des citoyens français », alors qu’il sont "sujets français" et donc placés, comme nous l’avons dit, sous la loi française ;
  • que « les salaires de la main d’œuvre indigène sont maigres et les Européens ont recours au travail forcé », alors que le travail forcé, supposé développé, est interdit par la loi et n’a sévi qu’en Afrique noire,
  • et aussi que « les colonisés sont souvent privés de leur meilleures terres » quand il est patent que, pour la plupart d’entre eux, ils les ont vendues de leur plein gré à l’administration française ou aux colons ;

C’est travestir la vérité historique et faire preuve de partialité !
Aller même jusqu’à prétendre que « les progrès en matière de soins sont surtout liés à la volonté des colons de s’assurer une main d’œuvre en bonne santé », voilà un parfait exemple du parti-pris anticolonial ! (cf : p. 118-121)

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Le programme de 2016, relatif à l’histoire en classe de 3e, fait aussi une place au processus général de décolonisation dans l’édition « lelivrescolaire.fr » (chap. 5).

De la guerre d’Algérie les auteurs de cet ouvrage, maquilleurs de l’histoire, donnent un résumé qui privilégie et justifie la rébellion du FLN, occultant la terreur par laquelle les indépendantistes algériens se sont imposés à la population musulmane qu’ils prétendaient libérer du joug colonial et passant sous silence les exactions et les crimes dont la population européenne a été victime.

Ainsi, refusant d’expliquer les raisons de la naissance de l’OAS, ils s’abstiennent de mentionner les attentats à la bombe (de l’Otomatic, du Milk-Bar d’Alger, du casino de Canastel) comme la fusillade sanglante du 26 mars 1962 à Alger, alors qu’ils font une large place à la répression policière de la manifestation des algériens à Paris, le 17 octobre 1961.
Ils présentent en héros national exemplaire Ahmed Ben Bella, premier président de la république algérienne, ignorant, comme tant d’autres, qu’en plein centre d’Oran, bien avant « la Toussaint rouge », il a lui-même sauvagement agressé et blessé un caissier de la poste, pour le dévaliser (1) (p.136-137).

Ils vont même jusqu’à reprendre, pour illustrer « la mémoire de la guerre d’Algérie », les paroles de la chanson « 17 octobre » d’un certain Médine, rappeur français d’origine algérienne, sortie en 2006 qui frappe par sa haine étrangère à tout esprit de réconciliation 40 ans après les évènements : « ...les pieds-noirs quittent le navire, les colons dératisent 1961, période estivale, c’est la guerre d’Algérie et son festival... Et son lot de discriminations, de tortures, d’exactions tout un ramassis d’ordures... 132 ans d’occupation française ont servi à remplacer nos cœurs par des braises... » (p.139).

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Chez Nathan, dans l’édition 2016 destinée aux classes de 1ère, le sujet « la République face à la question coloniale » est traité de la même manière s’agissant de l’Algérie.
Expliquant ce qu’ils qualifient d’échec du système colonial toujours par le caractère inégalitaire de la société où seuls les colons étaient citoyens français
- les indigènes, sujets français, n’ayant bénéficié de la citoyenneté qu’à partir de 1944 - les auteurs de cet ouvrage justifient le recours à la violence des nationalistes algériens en invoquant « le refus de l’assimilation imposé au gouvernement par les pieds-noirs » (sic).
Faisant état de la bataille d’Alger de 1957, ils dénoncent le recours à la torture par l’armée, sans même mentionner la psychose provoquée alors dans toute la ville par les attentats des poseuses de bombes du FLN.
Quant à la révolte des Pieds-noirs consécutive aux atermoiements gouvernementaux qui ont provoqué mai 1958, et surtout en réaction à la politique d’abandon du fondateur de la 5e République, elle est qualifiée « d’agitation » et de « guerre franco-française » 
Il y a plus dans le maquillage : les accords d’Évian sont cités comme « ratifiés par referendum en France et en Algérie » sans mentionner que les Français d’Algérie ont été écartés de ce scrutin qui s’est déroulé sans leur participation.
Comme à tous les votants, sinon à ses organisateurs, le caractère parfaitement irrégulier de ce vote référendaire a échappé à nos historiens, lesquels, bien que non juristes, se livrent néanmoins à l’exercice du droit comparé, pour trouver dans la société de l’époque un fondement à leurs présupposés.
Et les documents et témoignages qui accompagnent leur version de notre histoire coloniale et de son triste dénouement ont dû être choisis à sens unique pour étayer leur démonstration à charge, qui souvent frise la dénaturation des faits. À ce point que les ouvrages consultés s’apparentent à des revues plus remplies d’illustrations et de questions que d’examens approfondis. On n’est plus dans l’analyse et la synthèse objective des manuels scolaires classiques qui font autorité, comme le Malet et Isaac, mais dans l’éparpillement des sujets traités, illustrés à la manière des magazines.
Et il y a pire encore, c’est que nulle part dans leurs écritures ces historiens n’abordent le récit de toute l’œuvre que les Français d’Algérie ont accomplie en 130 ans de présence et dont la connaissance, même générale, permettrait aux élèves qu’ils prétendent former d’appréhender de manière plus complète et objective notre histoire et sa fin tragique. Renvoyons-les alors, puisqu’ils nous y poussent, à l’éditorial « l’Algérie pour les nuls » où ils trouveront matière à étoffer leur enseignement sur notre histoire (2).

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Sur le statut des indigènes autochtones, l’enseignement officiel passe sous silence deux actes juridiques essentiels : le sénatus-consulte de Napoléon III sur la naturalisation, du 5 juillet 1865, ainsi que la loi du 4 février 1919 intervenue sous la IIIe République. Mais ces législations du meilleur esprit, visant à « l’assimilation » (c’est-à-dire la conception opposée à « l’association »), selon laquelle l’Algérie devait constituer un prolongement de la France métropolitaine, n’ont pas abouti au but recherché.

Du temps de la colonisation romaine, que la France a elle aussi connue, les berbères de l’époque, qui n’étaient pas musulmans, ont adopté, comme les premiers Gaulois, les dieux de Rome et les lois de son Empire.
Puis soumis à l’Islam et au pouvoir tyrannique du Dey, à la suite de la conquête des Turcs, ils ont longtemps été privés de toute sécurité concernant leurs biens, comme de toute garantie pour leur personne, excepté le droit de maintenir la femme dans un assujettissement total. En affirmant que « l’indigène musulman est Français » et « peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français », c’est-à-dire être régi par l’ensemble des lois françaises, le sénatus-consulte de 1865 ouvrait à chacun d’entre eux l’égalité de statut avec les colons, appelée naturalisation.
Si, dans son application, ce texte égalitaire n’a pas reçu l’accueil attendu de la part de tous ceux auxquels il s’adressait, assez peu de demandes ayant été présentées, c’est en raison de la volonté des indigènes de garder leur identité musul- mane, c’est-à-dire le statut juridique de caractère religieux attaché à celle-ci, excluant qu’ils acceptent d’être soumis au statut civil des colons.

La loi du 4 février 1919, que Clémenceau a fait voter, a assoupli les conditions du sénatus-consulte. Elle a été adoptée dans le but d’ouvrir plus largement la naturalisation et permettre à tout indigène musulman de devenir citoyen français à la condition de renoncer à son statut personnel.
Ainsi, accordait-elle d’office la naturalisation sur simple demande, sans la subordonner au bon-vouloir de l’autorité française. Malgré cette volonté, et le fait que les intéressés étaient astreints au service militaire depuis le décret du 10 février 1912, le nombre des naturalisés n’a pas augmenté, sans doute en raison de l’opposition d’une large fraction traditionnaliste de la population autochtone pour laquelle tout renonciation au statut personnel constituait une abjuration de l’Islam (de 1919 à 1936, seulement 702 indigènes ont demandé à être naturalisés).
Le code de l’indigénat est abrogé par une ordonnance du 7 mars 1944 relative aux Français musulmans d’Algérie, qui, reprenant le projet de loi Violette de 1936, a permis la naturalisation de 60.000 personnes tout en maintenant leur statut coranique ; ces derniers sont électeurs du premier collège tandis que les musulmans majeurs, au nombre de 1.210.000, deviennent électeurs du second collège. Une autre ordonnance, du 17 août 1945, introduit la parité de représentation entre le collège de droit commun et le collège musulman, représentés chacun des deux par 22 parlementaires.
Enfin la loi statutaire du 20 septembre 1947 pose les principes de l’égalité politique et civique, de l’égal accès aux fonctions publiques, du suffrage universel des femmes, et de l’indépendance du culte musulman à l’égard de l’État, dont les modalités d’exercice ont été dévolues à l’Assemblée algérienne.

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Les ouvrages consultés passent sous silence ces avancées juridiques qui ont consacré une volonté constante de par- venir à une égalité de traitement entre les populations de l’Algérie.
Comment, dans ces conditions, admettre la vision orientée de ceux qui sont chargés d’enseigner notre histoire ? Leur courte vue a largement gagné l’esprit public au point d’inspirer constamment le langage officiel.
C’est ainsi que, le 19 mars dernier dans son discours du Quai Branly, en sa qualité de chef de l’État, François Hollande a affirmé que « la France a construit un système colonial injuste fondé sur l’inégalité des conditions, des statuts et des droits qui niait les aspirations des peuples à décider d’eux-mêmes... » ; il a alors repris, comme une vérité imposée, les mêmes termes que ceux qu’il avait employés à Alger, le 15 décembre 2012, devant tous les élus algériens.
Voilà comment, à notre grand dépit, les représentants du pays poursuivent une mauvaise vision de son histoire pour compenser la honte de leur repentance affichée.
L’admettront-ils un jour ?

L’Écho de l’Oranie

1 sources : les témoignages verbaux des agents de la Poste, place de la Bastille à Oran.
2 cf : L’Écho de l’Oranie n°352 de mai-juin 2014.

Mis en page le 6/12/2016 par RP.