MAIN BASSE SUR LHISTOIRE
Un ouvrage vient
de sortir chez un grand éditeur, qui attire les sympathies
de la grosse presse, malgré sa médiocre qualité
décriture, puisque même certains critiques de la
presse de programmes TV y ont été de leurs louanges.
Ce livre
au titre accrocheur, "Main basse sur Alger ", prétend
traiter de lexpédition du roi Charles X, premier acte
de la conquête de lAlgérie, en apportant des
révélations.
Pierre Péan,
journaliste à scandale, sétait distingué
en écrivant avec Philippe Cohen un ouvrage incisif et bien
argumenté sur le quotidien " Le Monde ", aventure
qui sest achevée par un crépage de chignons et
une piteuse retraite au terme dun arrangement déditeurs.
Sans doute échaudé par cette escarmouche contre plus
fort que lui, notre homme a donc récidivé en investigant
dans lHistoire, et sur un sujet sans risque: dune part
parce que les protagonistes mis en cause sont morts depuis plus dun
siècle, dautre part par le fait que la diffamation à
lencontre de laventure algérienne de la France
est toujours bienvenue, voire quasiment obligatoire
Il est de pratique
courante depuis longtemps de dénoncer le fameux " coup
déventail " comme un honteux prétexte saisi
par la France pour envahir une contrée paisible et sans défense.
Or, si cet incident ne fut ni la cause ni même le prétexte
de lexpédition du Roi, il en fut le " facteur déclenchant
" : beaucoup dévènements se produisent ainsi,
la marche du monde nous en donne logiquement tous les jours des exemples
.
.
Mais Péan
donne à cette décision deux raisons totalement invraisemblables.
La première en parlant de la perspective pour le Roi dune
" victoire facile "
alors que, depuis trois siècles
et la désastreuse expédition de Charles Quint, Alger
était considérée comme imprenable par tous les
militaires européens, leurs gouvernements préférant
payer rançon et avaler les couleuvres. La seconde en assignant
comme but à cette aventure le butin de guerre résultant
de la prise du trésor du Dey ; alors que personne, pas même
le Dey , nen connaissait le montant, même très
approximatif . Dailleurs, beaucoup de ceux qui connaissaient
la Régence dAlger ( commerçants et agents consulaires
) affirmaient quelle était en faillite depuis longtemps
et que ses réserves étaient à peu près
nulles ; le consul de France, lui, les estimait à 80 millions
Quant
au bilan réel, il est bien connu et renvoie Péan à
son délire : le trésor du Dey tel que saisi, après
minutieuse estimation par les officiers assermentés du général
de Bourmont, représentait un peu moins de quarante neuf millions,
soit le dixième de ce qui est écrit dans le livre, lequel
ne craint pas de parler de cinq cent millions !
et sil
y a bien eu des vols et des détournements, dorigine inconnue,
qui avaient tout de suite fait lobjet de rapports, ils ont été
estimés à lépoque à 30 000 francs.
Il serait trop long den donner le détail, mais il est
parfaitement connu.
Même en ajoutant
au trésor du Dey le montant estimé des biens en nature
de la Régence, on arrivait au maximum à cinquante cinq
millions, ce qui dépassait de peu le coût de lexpédition,et
en aucun cas ne pouvait en constituer la motivation !
A la suite de la
presse dopposition de 1830 pour qui tout était bon pour
salir les officiers du corps expéditionnaire, le livre reprend
tous les ragots de lépoque sur les détournements
supposés, dont il avait été largement fait justice
après lexpédition ; et en particulier toutes sortes
de dépouilles du palais de la Kasbah, volées par les
habitants à la reddition du Dey, et tout bonnement vendues
aux Français qui les exhibaient innocemment. Les véritables
pillages avaient tout de suite été dénoncés
et sanctionnés par un commandement tout aussi administratif
quaujourdhui
ce qui nempêche pas notre
très imaginatif journaliste de profiter de la présence
dun baron Selliere dans laffaire pour voir carrément
dans le vol du trésor dAlger lorigine des fortunes
sidérurgiques de la France du XIX° siècle !.
Par ailleurs, Péan
met en cause lhonnêteté du Maréchal de Bourmont,
ce qui est le comble de linfâmie : non seulement cet officier,
tombé en disgrâce, navait ramené dAlgérie
que le corps de son fils Amédée tué au combat,
mais il avait du payer de ses deniers son retour en France, alors
quil avait proposé au gouvernement de répartir
dans la troupe le montant de lexcédent du fameux trésor.
Proposition refusée, pour des raisons politiques, le corps
expéditionnaire dAfrique nétant guère
favorable au nouveau régime
Les prétendues
révélations de ce livre, qui ne craint pas les invraisemblances,
visent manifestement à deux choses : ôter toute légitimité
historique à lexpédition du roi Charles X, donc
à la conquête de lAlgérie, et salir par
principe lArmée dAfrique : ce sont exactement les
motivations de lopposition à lépoque, qui
se traduisaient par de violentes campagnes dune presse, comme
aujourdhui diffamatoire et mensongère. Et ce sont évidemment
ces douteuses " archives " et leurs inspirateurs qui ont
servi de source à lauteur . Il faut noter que la thèse
de Péan nest pas nouvelle et a été reprise
plusieurs fois ( en particulier par le Pr Emerit dans les années
cinquante), mais que devant la réalité de lHistoire,
elle na jamais tenu sérieusement
quant à
laffabulation portant sur le financement de lindustrie
française par le trésor du Dey, les barons de la sidérurgie
doivent sen tenir les côtes du haut de leur outre-tombe
!
Il est dailleurs
clair que lauteur se pose en censeur et moraliste, plus quen
historien ; mais même à ce titre et même en admettant
la justesse de son interprétation, lorigine du trésor
du Dey étant, le plus officiellement du monde, le produit de
la piraterie navale, de la rançon des esclaves chrétiens,
et du racket des populations du sud, sa confiscation par ses victimes
eut été, en tout état de cause, la plus morale
des fins
.
Il y a bien longtemps
déjà que ce qui touche à laventure des
conquêtes de la France est systématiquement " redressé
" par nos penseurs contemporains dans le sens " correct
" ; sajoute à cette imposture, dans des cas comme
celui qui nous occupe, la véritable " diffamation historique
" qui sen prend à des personnages dont on salit
la mémoire sans quaucun tribunal, même symbolique,
ait pouvoir de sanction. Péan sait bien quil ne risque,
à insulter Bourmont ou Charles X, que les éloges de
ses petits camarades du Tout Pourri . Il ny a pas de danger,
si lon se met du bon coté, à faire
main basse
sur lHistoire.