Répondant à
l'appel de l'Association des Familles des Victimes du 26 mars
1962, qui tenait à marquer solennellement le quarante-cinquième
anniversaire de la fusillade, plus de quatre cents personnes étaient
rassemblées au cœur de Paris, place du Canada,
derrière le Grand Palais, lundi 26 mars 2007 à 14h30.
La plupart découvraient
à cette occasion les bustes de Jacques Cartier, découvreur
du Canada, et de Samuel de Champlain, père de « la
nouvelle France ». C'était le premier
symbole choisi par la Présidente de l'association, Nicole
Ferrandis, celui de l'expansion de la France Outre-Mer pour ce
parcours chargé d'émotions.
Le cortège se formait,
drapeaux en tête et banderole, longeait les quais de Seine
jusqu'au Pont Alexandre III où commençait la distribution
aux porteurs volontaires des signes de sépulture (croix,
étoiles de David et stèles musulmanes) préparés
par nos amis de la section de l'ANFANOMA de Caen. Au rythme du
tambour, la file des participants s'étalait jusqu'au sommet
du Pont, où était prévue une halte pour le
lancer de gerbe et de fleurs, deuxième symbole et premier
temps fort de la marche. Faute de lieu approprié à
Paris, dédié aux victimes de la tragédie
de la rue d'Isly, des fleurs bleues, blanches et rouges étaient
jetées dans la Seine en formant le vœu que, par la
Manche et l'Atlantique, elles puissent gagner les rivages de la
Méditerranée. La gerbe était lancée
par M ZELPHATI frère de l'une des victimes et par Monique,
blessée lors de cette fusillade et sœur de Renée
Ferrandis, tuée le 26 mars. Le Chœur Montjoie Saint-Denis
entonnait à ce moment là quelques-uns uns des chants
de leur répertoire. A 14h50, le roulement du tambour marquait
le début de la fusillade.
Le cortège s'ébranlait
à nouveau, drapeaux et signes de sépulture en tête
pour gagner l'esplanade des Invalides, où était
prévu le deuxième temps fort de la cérémonie :
la reconstitution d'un cimetière de guerre, troisième
symbole, où allaient être implantées les croix,
étoiles de David et stèles musulmanes, alignées
et mêlées étroitement sans aucune distinction
comme ont pu l'être les corps rassemblés à
la morgue de l'hôpital Mustapha à Alger.
L'enregistrement de la
fusillade était alors diffusé par haut parleur,
par Annie-France Ferrandis blessée le 26 mars, moment pathétique
où résonnait l'appel « Halte au Feu »
et la reprise des tirs renouvelée inexorablement pendant
de longues minutes. A ce moment, une brève rafale de vent
balayait l'esplanade et, comme l'a rapporté notre ami Claude
Garcia qui participait à la cérémonie , « couchait
quelques dizaines de croix sur la pelouse, comme si au même
moment elles avaient été touchées et couchées
par les tirs qu'on entendait. Etait-ce un signe ? ».
Mme Nicole Ferrandis soulignait que cette cérémonie
était dédiée bien entendu aux Morts de la
rue d'Isly le 26 MARS 1962 mais qu'elle souhaitait y associer
toutes les autres victimes françaises : les
disparus, celles du 5 juillet à Oran, celles du terrorisme,
les Harkis et leurs familles. La liste des Morts était
lue, d'une voix trahissant son émotion, par M Van den Broek,
fils de l'une des victimes. Puis suivait, émouvante et
lugubre, la sonnerie aux Morts, les drapeaux s'inclinaient vers
le sol, face aux stèles dédiées à
tous ceux tombés « pour avoir aimé cette
terre française d'Algérie, avoir été
fidèles au drapeau et avoir cru en la parole donnée ».
Derrière, le cimetière d'une blancheur éclatante
se détachait sur la façade de l'Hôtel
des Invalides.
Au cours des instants
qui suivaient, nombreux étaient les participants à
errer tristement, les larmes aux yeux, parmi les croix et autres
signes, pour y lire l'inscription du nom et de l'âge de
l'une des victimes de cette terrible fusillade ou pour se recueillir
devant l'une des stèles dédiées « à
toutes les victimes des massacres du 5 juillet à ORAN »,
« aux dizaines de milliers de Harkis »,
« à toutes les victimes du terrorisme »,
« aux milliers de disparus ».
Quelques uns de nos amis nous quittaient alors ou
demeuraient sur place et le cortège repartait, remontant
le boulevard Gallieni, jusqu'aux Invalides. Nous décomptions
encore plus de trois cents marcheurs. Il contournait l'ensemble
monumental pour gagner la place Denys Cochin, où était
prévue la troisième et dernière halte, face
à la statue du Maréchal Lyautey, ultime symbole
retenu. Hubert Lyautey demeure le modèle du colonisateur,
homme de guerre héro•que, administrateur avisé,
humaniste éclairé et fin diplomate. Respecté
encore aujourd'hui du peuple marocain, il a été
-nous devons hélas le rappeler- oublié du peuple
de France et dédaigné par les autorités politiques
de notre propre pays. « Ainsi passe la gloire du Monde ».
M Puigserver, également fils de victime, déposait
alors une gerbe au pied de la statue et Mme Nicole Ferrandis remerciait
chaleureusement tous les participants de leur présence
et annonçait la fin de la cérémonie. Il était
un peu plus de 16h30.
Un soleil resplendissant
et une température printanière étaient au
rendez-vous comme le lundi 26 mars 1962. Il n'en était
pas de même quarante huit heures auparavant, mais nous avions
la chance d'être abrités au sein de l'Eglise Saint-Nicolas
du Chardonnet où se déroulait dans les conditions
habituelles la messe de requiem à la mémoire de
toutes les victimes de l'Algérie française. Un bon
millier de fidèles ont suivi avec ferveur cette cérémonie
poignante dans un recueillement total. Nous rappelons qu'une plaque
dédiée à tous nos morts se trouve abritée
dans cette paroisse. La réplique de la statue de Notre
Dame d'Afrique veille sur eux.
Seule note désagréable
et combien attristante : pas un journaliste présent,
pas une camera braquée sur un événement
aussi important et dramatique, commémoré avec
éclat et dans la dignité. Les médias avaient
pourtant été prévenus de longue date et largement
informés. L'A.F.P. a répondu à l'appel téléphonique
de l'association « nous ne passerons pas le communiqué,
cela ne nous intéresse pas ». Nous le
savons bien hélas : nous n'avons rien de commun avec
les tricheurs, les voleurs et les casseurs de la gare du Nord.
A.F.V