Le Gouvernement de Vichy
a télécommandé le débarquement allié
en 1942
Au mois de décembre
1942, la veille de Noël, l'amiral Darlan fut assassiné
à Alger. Il était arrivé sur ce territoire
avant le débarquement anglo-américain du 8 novembre
de la même année. Il rendait visite à son
fils malade et soigné à l'hôpital militaire
Maillot situé boulevard de Champagne à Bab-el-Oued.
Le lendemain de son arrivée, la presse quotidienne d'Alger
publiait son discours. Je me souviens encore d'avoir lu en première
page de ces journaux un extrait de sa déclaration que j'ai
rappelé dans mon précédent livre (1) : « L'empire
sans la France ce n'est rien. La France sans l'empire ce n'est
rien ».
L'amiral s'identifiait avant
tout à un farouche adversaire des Britanniques depuis le
drame de Mers-el-Kebir, survenu le 3 juillet 1940, au cours duquel
une partie importante de l'escadre française de la Méditerranée
fut détruite et 1300 marins tués. En raison de cette
hostilité qu'il éprouvait à l'égard
de l'Angleterre, il représentait l'homme dont avaient besoin
les Américains et en particulier le diplomate Robert Murphy.
Je rappelle que celui-ci
était à Alger le représentant personnel du
président Roosevelt. Darlan fut abattu par l'intermédiaire
d'hommes de main d'Alger, Pieds-Noirs que l'on n'appelait pas
ainsi à cette époque, auxquels s'étaient
associés des gens venus d'ailleurs. Ces derniers avaient
reçu la mission de prendre le contrôle de ces comploteurs
occasionnels. Nous voulons dire plutôt de ces comploteurs
d'occasion. Ce drame, qui tua l'Algérie française,
ne fut motivé en réalité que par une seule
volonté: celle d'éliminer un obstacle majeur à
l'arrivée du général De Gaulle à Alger.
Car l'ambiance n'était pas favorable en Algérie,
dans les milieux qui préparaient le débarquement
des alliés sur ce territoire, à l'installation de
celui que l'on n'appelait pas encore l'homme de Colombey. A l'appui
de cette dernière affirmation il nous paraît opportun
de relater un événement peu connu. En tout cas,
peu commenté.
Avant le débarquement
anglo-américain, le général Mast occupait
le poste d'adjoint au commandant du XIXe Corps d'armée,
dont le siège était place Bugeaud à Alger.
Auprès de lui le lieutenant-colonel Jousse remplissait
les fonctions de major de garnison.
Ces deux officiers ont joué
un rôle déterminant, grâce à leurs contacts
avec l'année américaine et surtout avec le diplomate
Murphy, dans la préparation du débarquement des
alliés en Afrique du nord française. Plus particulièrement
en Algérie. Quelques semaines avant le 8 novembre 1942,
les principaux conjurés d'Alger furent convoqués
par le général Mast pour être tenus informés
du point de la situation. Presque tous manifestèrent avec
hargne et vigueur leur répugnance à l'égard
de la présence éventuelle à Alger du général
De Gaulle.
Le général
Mast éprouva en conséquence la nécessité
de les rassurer: « Je vous donne ma parole d'honneur
que ni De Gaulle ni les Anglais ne mettront les pieds en Afrique
du nord française ».
La naïveté atteint
parfois de ces sommets!
Mais le général Mast n'était pas
un officier capable de se rebeller contre le gouvernement légal
de la France. Pour lui, la hiérarchie et la loyauté
représentaient des vertus inaliénables.
En conséquence il intervenait,
dans ses contacts avec les Américains, en subordination
directe d'un officier général
qui faisait partie du gouvernement de Vichy.
A l'appui de cette affirmation
soulignons que, dans les semaines qui ont précédé
le 8 novembre 1942, un contact ultra-secret, à finalité
opérationnelle, fut établi par le général
Mast avec le cabinet militaire du maréchal Pétain,
par l'intermédiaire d'un officier supérieur d'Alger.
Celui-ci, le colonel Raymond, commandait à cette à
époque le 45ème Régiment des Transmissions
cantonnées dans une caserne de Maison-Carrée, à
l'est d'Alger. Il était originaire d'Etroussat, un village
de l'Allier, tout près de Vichy. Sa mère gravement
malade vivait ses derniers instants. Le colonel Raymond sollicita
du général Mast une permission exceptionnelle dans
le but de se rendre au chevet de celle qui lui avait donné
le jour.
Le général
Mast accorda évidemment la permission sollicitée.
Mais il n'hésita pas à saisir l'occasion de confier
une mission au colonel Raymond, en raison de la proximité
du village d'Etroussat avec la ville de Vichy. Cependant, par
loyauté, il le prévint de la nature ultra-confidentielle
et risquée de cette mission. Il lui précisa d'ailleurs
que rien ne l'obligeait à l'accepter.
Sans hésiter le colonel
Raymond manifesta son accord. Voici la mission: « Puisque
votre maison familiale se situe tout près de que vous éprouvez,
je vous demande de vous rendre auprès du général
Verneau qui fut naguère votre chef et qui fonctionne, comme
vous le savez, tout près du maréchal Pétain.
Dites-lui tout simplement, qu'ici à Alger TOUT EST PRÊT
et que, comme convenu, nous attendons SON FEU VERT pour
déclencher l'opération ». La mission
fut remplie. C'est-à-dire que le contact fut établi.
Cependant dans un premier temps le général Verneau
avait pris la précaution d'imposer silence au colonel Raymond.
Il avait exigé que le message du général
Mast lui fut transmis loin « d'éventuelles oreilles
indiscrètes ». En conséquence, il s'invita
à déjeuner à Etroussat, dans la maison même
du colonel Raymond. C'est là qu'il prit connaissance, en
toute sécurité, du message laconique du général
Mast.
Manifestant sa joie avec
enthousiasme il donna immédiatement sa réponse,
dépourvue de toute équivoque: « Bravo!
Allez-y! Foncez! Que Dieu vous garde! »
Pour le colonel Raymond,
ainsi que pour le général Mast, cet ordre opérationnel
de faciliter par tous les moyens le débarquement américain
en AFN et par cette décision d'engager à nouveau
l'empire français dans la guerre, ne pouvait pas avoir
été donné sans l'accord préalable
du maréchal Pétain. Cette décision du général
Verneau se situe d'ailleurs à l'origine de son arrestation
par la Gestapo en 1943. Il mourut à Buchenwald en 1944
à l'âge de 64 ans.
Quant au lieutenant-colonel
Jousse, major de garnison à Alger, il joua un rôle
plus direct dans les opérations d'appui au débarquement
des Américains à Sidi-Ferruch. Il disposait du concours,
parmi d'autres évidemment, d'un avocat d'Alger, maître
Goutermanoff. Mais l'opération du 8 novembre 1942 ne se
déroula pas, au tout début, selon le plan prévu.
Des impondérables,
un manque de coordination, de mauvais renseignements ont fait
craindre au colonel Jousse, à un moment donné, que
l'affaire fût compromise.
Manifestant une incertitude
quant à l'attitude à observer dans ces conditions,
très soucieux de la vie et de la liberté de ses
hommes, il demanda son avis au lieutenant de réserve Goutermanoff.
Il fut rassuré et surtout réconforté par
le comportement énergique de son subordonné et la
mission fut remplie jusqu'à son terme. Il manifesta dans
les heures qui suivirent, à titre privé et confidentiel,
sa reconnaissance à son adjoint, qui avait réussi
en temps voulu à le dissuader de prendre une décision
regrettable.
Ces deux hommes n'eurent
jamais plus l'occasion de se rencontrer... Jusqu'au mois de juin
1962, à l'occasion du procès Salan.
Le général
Jousse faisait partie des juges du tribunal.
Goutermanoff était
l'un des avocats chargés de défendre celui qui fut
notre chef. Un seul regard fut échangé entre les
deux anciens frères d'armes du 8 novembre 1942.
Le général
Jousse, ainsi d'ailleurs que le professeur Pasteur-Valéry
Radot, votèrent les circonstances atténuantes. Le
général Salan sauva sa tête.
Ceux qui ont tué
Darlan, qui ont réussi à convaincre le jeune Bonnier
de La Chapelle d'assassiner l'amiral et qui, lui, fut fusillé,
ceux qui l'ont armé et qui l'ont conduit sur les lieux
du crime, ne l'ont fait que pour le compte du général
De Gaulle.
Ils l'ont fait en pleine
connaissance de cause. Si ce dernier a déployé la
carrière que l'on connaît, c'est avant tout grâce
à cet assassinat. Car si l'amiral Darlan n'avait pas été
abattu par ces sicaires télécommandés de
Londres, De Gaulle aurait probablement bénéficié
d'une retraite de général de brigade.
Et l'Algérie française
serait peut-être encore vivante de nos jours. Imaginez-vous
que parmi ces participants à l'assassinat de l'amiral,
certains se sont trouvés discrètement, très
discrètement, compromis plus tard dans nos activités
« Algérie française » et même
un tout petit peu dans l'OAS. Voici la justification qu'ils proposent,
aujourd'hui encore, de leur action mortelle pour notre terre:
« Si nous n'avions pas tué Darlan, le général
De Gaulle aurait été dédaigneusement abandonné
sur une voie de garage par les alliés occidentaux. Dans cette éventualité,
il n'aurait eu d'autre recours que de se rallier à Staline,
qui l'aurait accueilli à bras ouverts. C'était,
pour plus tard, un danger de soviétisation de la France ».
Jean-Claude Pérez
Extrait de « L'Islamisme
dans la guerre d'Algérie » chez Dualpha
(1) Vérités
tentaculaires sur l'OAS et la guerre d'Algérie
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