FRAGMENTS MORCELÉS DE MÉMOIRES ÉVOQUÉS Ā L’EMPORTE-PIÈCE  3

 

Par le docteur Jean-Claude PEREZ,

 

 

 

Echelonnement des trahisons …..

….en vue de l’assassinat

de la France Sud-Méditerranéenne

(1954-1962)

 

 

 

Comment ne pas s’interroger encore et encore ?

A l’instar de beaucoup d’autres, je suis asphyxié par un amas de documents. Amas de documents qui révèlent à quel point la conjuration contre la France en Algérie était riche, entre 1954 et 1956, d’une « banalité universelle ». L’Algérie française devait mourir … en tant que « Française ». C’était vrai, nous dit-on encore de nos jours, comme est vraie l’inéluctabilité de la mort.

Voilà donc formulée la « vérité » : la vérité de ceux qui se déclaraient lucides.

Ils étaient indiscutablement lucides, certes, quand ils préconisaient un changement nécessaire de l’identité de l’Algérie. L’identité de cet immense territoire africain étendu de la Mauritanie à la Lybie et de la Méditerranée à la limite sud du Sahara, au contact de l’Afrique profonde. Cette terre où, encore de nos jours, il est possible parfois d’effectuer un rezzou dans un pensionnat de jeunes filles et d’enlever 250 pensionnaires chrétiennes et musulmanes pour assurer le confort sexuel des « guerriers djihadistes ».

Cet immense territoire, l’Algérie, était-il devenu historiquement et géopolitiquement trop important pour la France ?

Pour la France seule ?

Certainement. Car l’Algérie, à cause de la guerre qui s’y déroulait « pour le triomphe de l’arabisme et de l’islam » [1] avait accédé au rang d’un problème ou plutôt au rang d’un drame européen.

C’était l’Europe, en réalité, que l’ennemi prétendait soumettre, à partir de l’Algérie française. La soumettre au « triomphe de l’arabisme et de l’islam ».

Animé de cette conviction, j’ai eu l’occasion d’exprimer un regret à maintes reprises : c’est à Alger qu’aurait dû naître l’Europe. Le traité de Rome du 25 mars 1957, c’est à Alger qu’il aurait fallu l’élaborer et le signer.

Une Europe lucide, capable de percevoir le destin enrichissant qui aurait été le sien, si elle avait perçu la nécessité contemporaine de faire évoluer l’Afrique vers la modernité et, avant tout, vers la laïcité. Ou plutôt vers la modernité par le biais de la laïcité. En attribuant à l’Algérie française le rôle majeur d’une magnifique tête de pont européenne dont le rayonnement aurait été bidirectionnel : vers le sud et vers le nord.

Oui, c’est à Alger qu’aurait dû naître l’Europe, avec l’espoir et l’ambition de conférer à cette nouvelle et nécessaire structure géopolitique, l’Europe, un rayonnement et une vigueur qu’elle est loin de connaître aujourd’hui.

Cette Europe, encore de nos jours mal affirmée, sabotée par un néfaste neutralisme gaulliste, c’est-à-dire par un néo-castrisme européen, cette Europe donc, n’est pas encore capable « de blâmer ses soupirs et de dissiper ses haines ». Cette Europe n’a pas voulu enregistrer à quel point le sud de la Méditerranée était nécessaire à sa propre santé et aussi à celle du monde occidental.

 

            L’Occident ! Encore l’Occident ! Mais c’est quoi l’Occident aujourd’hui ?

L’Occident, c’est l’évêque de Reims, notre Saint Rémi qui l’a fait renaître par le Pacte de Reims, en 496 ou 506.

Le Pacte de Reims… 3000 guerriers francs avec un chef, Clovis, vont rallier le catholicisme apostolique et romain. Ils s’engagent à pérenniser sur la terre le message de Jésus, enseigné et transmis depuis Rome par les successeurs de l’apôtre Pierre.

Le rassembleur Rémi, guidé par le Saint-Esprit, était un « chef partizan » « un felouze gaulois », « un ange » qui a révélé à l’univers le rôle historique et mystique qui était dévolu à la Gaule naissante : la mission suprême dès le VIème siècle d’être le territoire politique et militaire de la survie du message apostolique et romain. Eviter à la Gaule de se fourvoyer dans l’hérésie unitaire arienne. Faire de la Gaule le nouveau bastion nécessaire à la vie et à l’épanouissement de l’Occident chrétien.

L’Occident chrétien ! Une question éternelle surgit une fois de plus : « c’est quoi cet Occident chrétien ? »

Il s’agit tout simplement, tout banalement, de l’ensemble des terres où les chrétiens peuvent vivre libres. Libres de croire et de s’exprimer. Suffisamment libres et suffisamment forts pour partager cette liberté avec ceux qui ne rallient pas leur foi.

 

            « Algérie Française », ce fut un cri de ralliement qui exprima une volonté d’accomplissement géopolitique. A partir d’une détermination première à vivre libres émanant des juifs d’Algérie. De la dhimmitude juive livournaise d’Algérie. L’affranchissement de cette collectivité religieuse exigeait une mise en œuvre de longue durée qui était loin d’être facile et qui s’illustra, historiquement en 1830, comme une mission relevant de la compétence d’une seule nation : la France.

L’Algérie s’est identifiée ultérieurement à une réalité à la fois militaire et philosophique où l’homme d’Occident moderne devait s’affirmer. Celui qui aurait su harmoniser le romantisme religieux et mystique du Nord avec l’éveil parfois contestataire du Sud ensoleillé…. En prévision aussi des mutations climatiques annoncées, qui bouleverseront dans les temps futurs, les comportements philosophiques et religieux des peuples du nord comme du sud de la Méditerranée.

C’était une terre d’enracinement possible et durable du nouvel homme d’Occident, soulignons-le encore, qui aurait pu y conforter son rayonnement vers le sud de la Méditerranée… et au-delà.

 

C’est finalement cette vérité, l’accomplissement d’un homme d’Occident nouveau à partir de l’Algérie française, qui explique à quel point il était urgent pour l’anti-Occident d’assassiner préventivement l’Algérie en tant que « française ». Cette terre devait être arrachée à la France de manière à faciliter et à consolider une mainmise stratégique sur ce secteur essentiel de l’univers, par les états-majors du capitalisme financier. C’est-à-dire par les promoteurs d’une « concentration au niveau des grandes banques des moyens de contrôler les productions [2] ».

D’après cette perspective néocapitaliste exclusive de l’avenir du monde, la bonne santé des peuples ne doit être codifiée et étalonnée qu’en fonction des exigences impératives de « la valeur ajoutée de l’argent ».

Pour un bon accomplissement de cette perspective, ils ont cru devoir extraire l’Algérie du monde d’Occident.

Grâce à la France en effet, l’Algérie avait toutes les chances d’y trouver sa place et d’y devenir, par nécessité, une terre capable de faciliter une synthèse européenne nécessaire à une conquête majeure, qui relève de la compétence de l’homme d’Occident. Cette conquête majeure c’est l’établissement d’une convivialité religieuse universelle : exprimons notre foi avec l’ambition de rendre la vie tout banalement possible sur ce globe terrestre qui fait partie des infiniment petits de l’univers.

La terre est petite, c’est vrai, au milieu de l’immensité vertigineuse des galaxies. Elle est minuscule, répétons-le. Mais, jusqu’à preuve du contraire, elle est le centre exclusif de la vie que nous connaissons. S’y exprime, dans ses étroites limites géo-cosmiques, le génie créateur de notre vie.

A l’heure où l’on se grise de la notion de développement durable, il serait déraisonnable de croire que personne ne réfléchisse, dans le plus grand secret, à une interrogation : que va devenir la vie, à travers ses plus belles illustrations que génèrent l’intelligence humaine, le génie humain, l’âme humaine ? Que va devenir la vie quand elle ne sera plus possible sur la terre ?

C’est un problème que ne manquent pas de se poser les potentats financiers suprêmes, les nouveaux « Hollandais volants » de l’univers : la recherche d’une survie après la vie…. ou plutôt, après la terre.

Pour eux, l’éternité relève de la seule compétence humaine. Ils rejettent Dieu au bénéfice d’un vaisseau fantôme de l’espace qui permettra à une élite, leur élite, de survivre seule sur une nouvelle « terre promise intersidérale ».

Ces perspectives restent pour le moment du domaine du rêve. Nous n’avons pas encore atteint l’épisode dramatique de la sélection préalable d’un effectif humain, d’une élite, arbitrairement choisie, qui recevra la mission privilégiée de survivre, après la mort de la vie sur la terre.

Les doctrinaires suprêmes du capitalisme financier sont loin de détenir, pour le moment, le pouvoir de coloniser l’espace intersidéral de la survie extraterrestre.

 

            Il est temps pour moi de débarquer du Vaisseau Fantôme dont j’ai imprudemment franchi la passerelle d’accès et de vous livrer quelques cheminements de la trahison, tout banalement terrestre, que nous avons subie en Algérie, affligés que nous étions d’une naïveté désespérante !

 

 

L’année 1956….

Cette année-là, tout était bien engagé pour l’assassinat de la France. L’assassinat de la France, là-bas, au sud de la Méditerranée. Tout était bon pour faire de l’Algérie une proie facile dont saura se repaître, en temps voulu, le satanisme gaulliste pour le compte du capitalisme financier, tel qu’il fut défini par Jacques Marseille. Capitalisme financier auquel s’était soumis De Gaulle, lors de sa rencontre avec Roosevelt à Anfa, près de Casablanca, au Maroc, en 1943. Dans une attitude opposée à celle de Giraud, qui claqua la porte.

 

En 1956, un fonctionnaire français, appelons-le James, exerçait une mission permanente de liaison à l’Assemblée Algérienne. Il fit la connaissance à Alger d’un diplomate américain lors d’une réception. En réalité ce diplomate était le directeur de l’USIS [3] .

On nous précise, dans un document sérieux, que ce diplomate américain était une « antenne » de la CIA [4] .

L’Assemblée Algérienne avait été dissoute au cours de cette même année 1956. C’était une conséquence de la démission des élus de confession musulmane, sur exigence du FLN. Ce fonctionnaire, James, se trouvait donc disponible. Il se vit offrir par le diplomate américain de l’USIS un voyage aux USA. Sous le couvert d’une bourse d’étude qui lui fut octroyée effectivement par le Congrès. Une bourse d’étude pour lui permettre de se rendre aux USA, et … tout particulièrement à Porto Rico.

Porto Rico, à quoi rimait cette offre ?

Officiellement, à faire étudier par James l’évolution de Porto Rico. D’apprécier le passage de ce territoire insulaire du statut colonial à l’indépendance. Evolution qui pouvait donner des « idées » pour l’Algérie, prétendait-on. Pour l’avenir de l’Algérie indépendante. Cette offre fut proposée à la mi-octobre 1956. Mais obtenir un congé officiel était nécessaire car James était un fonctionnaire français en activité. Ce congé ne pouvait être accordé que par l’administration dont James dépendait. Pas de problème : le vice-président de l’Assemblée Algérienne, Bortolotti, en tant que chef du service chargé de gérer le reliquat administratif de cette assemblée, accorda bien volontiers, le congé sollicité.

James, devenu titulaire d’une bourse d’étude aux USA, était le fils d’un fonctionnaire français qui entretenait des relations privilégiées avec le directeur de la Sûreté Nationale en Algérie. Celui-ci était membre du parti socialiste qui exerçait le pouvoir en France, cette année-là.

L’Algérie vivait alors, en 1956, sous la législation des « pouvoirs spéciaux ». Le directeur de la Sûreté Nationale accorda à James l’autorisation indispensable de «sortir » d’Algérie. Mais ce haut fonctionnaire français, responsable de la sécurité de la France en Algérie, demanda à James, par l’intermédiaire du père de celui-ci, de prendre contact à New York avec Ferhat Abbas. Ce même haut fonctionnaire, « superflic » officiel de la république, révéla à James, le pseudo-boursier voyageur, qu’à quatre reprises, depuis le mois de mai 1956, des contacts avaient été noués avec Ferhat Abbas par des émissaires du gouvernement socialiste français. Mais l’arrestation de Ben Bella et d’autres responsables du FLN le 22 octobre 1956, risquait de tout remettre en question. Ou plutôt de remettre en question les bonnes dispositions du pharmacien de Sétif. On demanda en conséquence à James de renouer avec son vieux camarade Ferhat Abbas et de faire apprécier par ce dernier à quel point l’arrestation de Ben Bella renforçait, en réalité, sa position de leader de la révolution algérienne. Précisons : la position de Ferhat Abbas en tant que leader unique de la révolution algérienne. Donc, d’interlocuteur suprême du FLN auprès de la France.

           Permettez-moi d’abandonner pendant quelques lignes, cette évocation du motif secret mais réel du voyage de James aux USA. Motif occulté par l’octroi d’une bourse offerte par la CIA sous le couvert de l’USIS. Et de vous faire partager deux groupes de réflexions suggérées par ce que je viens d’exposer.

 

Première réflexion : que faisions-nous, nous les défenseurs armés mais clandestins de l’Algérie française à cette époque ?

 

Deuxième réflexion : que venait faire Porto Rico dans le destin de l’Algérie pour ceux qui s’apprêtaient à la livrer aux ennemis de la France ?

 

           1956… Voilà une année riche en évènements gravissimes sur la terre des départements français d’Algérie.

Au mois de mai de cette année-là, près de Palestro, Khodja, un adjoint de Ouamrane, le chef FLN opérationnel en Grande Kabylie, monta une embuscade : 18 soldats français du contingent, rappelés tout récemment, furent massacrés. Abandonnés aux mains des Kabyles du voisinage qui reçurent et exécutèrent l’ordre de Khodja d’achever les blessés et de mutiler les corps de nos soldats tués… ou blessés.

Comment Khodja a-t-il pu monter une telle opération en mai 1956 ?

Parce qu’il bénéficia de l’attribution d’un armement moderne. D’une partie du matériel de guerre volé par l’aspirant Maillot. Matériel entreposé, en partie, à la villa Pouillon du Clos Salembier. Villa dont le maire d’Alger, Jacques Chevallier s’était attribué la jouissance à titre personnel. Séjournèrent, cette année-là, dans cette villa, le docteur Chaulet et sa femme. Deux chrétiens pratiquants, fidèles du curé Scotto et de l’évêque Duval, complices actifs l’un et l’autre, du FLN. Les époux Chaulet se déclaraient publiquement chrétiens pratiquants. Ils éprouvèrent la nécessité de préciser à Abane Ramdane : « nous ne sommes pas pour le FLN, nous sommes du FLN ».

Voilà ce qu’ils déclarèrent avec fanatisme. Un fanatisme paradoxalement sérieux, détendu, serein.

Madame Chaulet se chargea de véhiculer vers la Grande Kabylie une partie de l’armement volé par Maillot, et préalablement entreposé dans cette villa. C’est par le feu de cet armement que 18 soldats français furent massacrés et secondairement mutilés, en mai 1956.

La villa Pouillon s’est illustrée historiquement comme une base opérationnelle clandestine de l’anti-France, de 1956 à 1962 inclus. Base opérationnelle du maire FLN d’Alger, Jacques Chevallier, et de ses complices du FLN dans un premier temps. Puis, bien plus tard, d’un membre éminent de l’OAS, à partir du mois d’octobre 1961, rallié secrètement à Jacques Chevallier pour bénéficier, grâce à lui, d’une prolongation promotionnelle de carrière dans le gouvernement de l’Algérie indépendante.

Pendant cette période, en 1956, que faisions-nous ? Nous les patriotes, les lucides, « les excités », comme nous désignait la grande majorité des Pieds-Noirs d’Alger. Oui, que faisions-nous, nous qui représentions une infime minorité de civils ? Nous montions quelques opérations anti-terroristes pour nous incorporer physiquement et spirituellement dans le combat, par des actes de guerre clandestins. Nous jouions nos libertés et nos vies animés de la volonté prioritaire de transférer la peur dans l’autre camp. Nos opérations choisissaient comme objectifs des sites de dépôts d’uniformes, de munitions, d’armes et de bombes dont était victime quotidiennement notre peuple français d’Algérie.

Un terrorisme français ! Etait-ce nécessaire ? Oui car nous pressentions qu’un combat ultime devait être envisagé. Un combat qui exigeait au préalable une accoutumance à la violence. Une violence qui, pour être efficace, se devait parfois d’être cruelle. Il était nécessaire de faire évoluer nos mentalités. Victimes ? Non !

Acteurs ? Oui.

Nous n’étions pas informés du déroulement opérationnel et administratif de la trahison dont la France était victime en Algérie. Mais nous la flairions partout. Nous redoutions le moment où les Pieds-Noirs seraient abandonnés seuls au FLN. Il fallait créer de toute urgence un esprit de résistance, un esprit guerrier, chez notre peuple français d’Algérie.

On nous reproche le terrorisme de l’OAS. Il exista effectivement en 1962. Soyons précis : quatre mois de combats terroristes menés avec des armes de poing par quelques centaines d’hommes, dans toute l’Algérie.

On refuse de souligner que nous avons subi un terrorisme horrible pendant 90 mois au moins. Femmes, enfants, nourrissons, massacrés odieusement. N’oublions pas les soldats achevés, les prisonniers qui n’ont jamais été rendus à la France et que la France gaulliste n’a jamais réclamés ! Les musulmans massacrés en masse par le FLN !

Pendant ce temps, en Métropole et en Algérie, on trahissait la France en haut lieu. Commin, secrétaire général par intérim du parti socialiste sous la présidence de Guy Mollet, chargé des contacts avec les rebelles à partir de la place Malesherbes à Paris, transmettait des propositions au FLN. Il était, évidemment, destinataire des exigences de ce dernier.

 

            Rue Solférino, dans le septième arrondissement de Paris, au sein d’une autre conjuration, Guichard organisait un état-major gaulliste. Un état-major de la trahison gaulliste. Magistralement orchestrée, dès 1956.

Palewski, pour le compte de De Gaulle, utilisait ses fonctions d’ambassadeur de France à Rome, pour établir des liaisons constantes entre De Gaulle et le FLN.

Boumendjel, un avocat parisien, était chargé de contacts avec Ferhat Abbas, pour le compte d’un état-major gaulliste clandestin.

Rosenberg, un journaliste autrichien de renommée internationale, était l’ambassadeur de De Gaulle auprès des milieux de presse occidentaux, pour y faire connaître la volonté de l’homme de Colombey : abandonner l’Algérie.

Mohamed Masmoudi, ambassadeur de Tunisie à Paris, servait d’officier de liaison entre De Gaulle et l’ancien admirateur de Mussolini, Bourgiba.

La trahison suprême, la trahison gaulliste se mettait en place et s’apprêtait à prendre le relais, tout en en tirant profit, de la trahison préalable des socialistes de Guy Mollet et de ses ministres. Le ministre des affaires étrangères Pinaud, en 1956, et de hauts fonctionnaires de la délégation générale en Algérie, trahissaient en permanence. Sauf Robert Lacoste qui fut tout le temps étranger à cette trahison.

 

Notre pseudo-boursier, James, pour effectuer son voyage aux USA dans le but d’établir des contacts avec Ferhat Abbas, en octobre 1956, avait bénéficié, préalablement, d’une mutation. Grâce à Bortolotti, président par intérim de l’Assemblée Algérienne. Il fut affecté dans les services administratifs de la Sûreté Nationale en Algérie !

 

Le 22 octobre, rappelons-le, un avion avait été intercepté. Ben Bella et ses complices furent arrêtés à Maison Blanche. Tout surpris, nous a-t-on raconté, de ne pas être exécutés sur le champ. Qui avait monté le coup ? C’était Chaussade, haut fonctionnaire, secrétaire général de la délégation qui avait pris cette initiative, Lacoste étant momentanément absent d’Alger.

Ben Bella fut dès lors à « portée de main » des traîtres de notre république. On se servit de sa nouvelle situation pour faire pression sur Ferhat Abbas.

Bien plus tard, nous le savons, Ben Bella devint un exécuteur majeur de la trahison gaulliste en Algérie, après avoir tenu un rôle plus que trouble dans le drame du 5 juillet 1962 à Oran. Par l’appui qu’il apporta au reliquat de la Willaya 5 qui rentrait d’Oujda, avec un effectif hostile à Ferhat Abbas.

 

Le 6 novembre ce fut l’opération de Suez. Une opération capitaliste contre Nasser, contre la nationalisation du canal de Suez. Elle jeta un froid de mort dans le clan du FLN pendant un temps très court. Mais elle ne nous rapporta rien. Car l’Algérie française était déjà morte dans l’esprit des décideurs anglo-français de cette opération de Suez.

 

Le 23 octobre 1956, s’était déroulé le drame de Budapest…. La Hongrie appela au secours… les chars soviétiques massacrèrent le peuple hongrois.

 

Pendant ce temps, la France était vendue en Algérie. On négociait avec  l’ennemi. On le suppliait d’interrompre les combats.

Il fallut attendre De Gaulle néanmoins pour que s’accomplît, par sa volonté exclusive, l’assassinat de la France en Algérie. La trahison sublimée de la France fut consommée jusqu’à son terme par l’homme de Colombey qui porta un coup pervers à l’Occident à partir de l’Algérie.

Aujourd’hui, nous pouvons contempler les effets du renouvellement gaulliste, de la modernité gaulliste, consécutifs au sacrifice de l’Algérie française. Effets ignorés, ou plutôt dédaignés, par tous ces hommes publics qui font de la soumission, la première vertu du monde politique gaulliste actuel.

 

             C’était dans le but de prendre part à cette évolution perverse, à cette involution dramatique, que James devait retrouver Ferhat Abbas, à New-York, en 1956.

Mais dans les péripéties que connut James, le « pseudo boursier », que venait faire Porto Rico dans la mission de ce fonctionnaire français détaché aux USA ? Expédié en Amérique grâce à une bourse rappelons-le, obtenue du Congrès américain par l’intermédiaire d’un membre de la CIA, qui exerçait d’obscures fonctions à Alger au sein de l’USIS.

Que venait faire Porto Rico dans les entretiens de James avec Ferhat Abbas qui était aussi un grand ami de son père ?

Porto Rico, c’était tout simple comme évolution. On y était passé du statut colonial à un statut progressif de nation indépendante, au sein de laquelle les insulaires portoricains vivaient en paix. « Pourquoi l’Algérie ne connaîtrait-elle pas une telle évolution ? »

James et ceux qui posèrent cette question ont fait l’impasse sur une notion essentielle : l’importance qu’avait en Algérie, le phénomène religieux dans le déterminisme profond et premier de la guerre qui était faite contre la France. J’écris bien : « dans le déterminisme profond et premier de cette guerre déclarée contre la France en Algérie ». Je n’écris pas « dans le déroulement opérationnel de cette guerre ».

Hier comme aujourd’hui d’ailleurs, personne ne voulait et ne veut conférer toute son importance au rôle joué par l’élaboration préalable de l’arabo-islamisme fondamentaliste dans la guerre d’Algérie. Celui-ci fut élaboré, dans la perspective de cette guerre, à partir de 1920. En réalité, il faut ajouter un qualificatif complémentaire. Ce qui s’est implanté en Algérie cette année-là, ce fut un islamisme spécifiquement algérien, dans une perspective prioritaire de guerre contre la France.

Celui qui porte une grande part de responsabilité historique dans la mise en œuvre révolutionnaire du fondamentalisme algérien, c’est sans aucun doute notre grand Georges Clémenceau. Un ennemi « fondamentaliste » à la fois de l’Algérie française et du christianisme. Il accéléra un développement inéluctable, un développement espéré par nos ennemis, d’un processus révolutionnaire algérien et anti-français lorsqu’il fit voter, en tant que Président du Conseil, la loi du 4 février 1919.

A quoi correspond cette loi votée et mise en application, le 4 février 1919 ? C’est-à-dire plus de 4 mois avant la signature du traité de Versailles du 28 juin 1919, qui mit fin, théoriquement, à la guerre de 1914-1918 ?

 

            Il s’agissait d’une loi qui proposait de faire évoluer une catégorie de « sujets français » de confession musulmane vers un statut de « citoyens français ». Par une procédure administrative simplifiée à l’extrême.

Quelle était la signification réelle de ce terme, vilipendé à outrance, de « sujets français » ? Ce terme illustrait en réalité un refus : un refus à l’égard de la citoyenneté française affirmé silencieusement par l’immense majorité des nationaux français d’Algérie de confession musulmane.

Les modalités d’accès volontaire à la citoyenneté française pour les Juifs et les Musulmans, avaient été effectivement précisées, bien auparavant, par le sénatus-consulte de Napoléon III du 14 juillet 1865.

Il me paraît important de souligner une vérité encore trop négligée : avant l’arrivée de la France, les habitants de la Régence Turque d’Alger ne jouissaient d’aucune nationalité. Ils étaient apatrides sur leur propre terre natale. On ne les désignait pas sous le terme « d’Algériens » puisque « l’Algérie » en tant que terme d’identité géographique, fut une création ultérieure à 1830 … une création française.

Lorsque la France débarqua sur le territoire de la Régence d’Alger, avec l’accord globalement acquis de la communauté internationale, il fallut définir un statut régissant la vie quotidienne des natifs de cette terre soumis à une double législation religieuse à laquelle étaient affiliés les musulmans d’une part et les juifs d’Algérie d’autre part. Dans le cadre du fonctionnement de nos institutions, sous Napoléon III, celui-ci eut le mérite de préciser ce que devait être le statut officiel des premiers habitants de l’Algérie. Il s’employa à souligner d’emblée et sans équivoque, deux notions fondamentales.

Première notion :

Les indigènes algériens de confession juive et de confession musulmane, nés et résidant en Algérie, terre française, jouissaient de facto de la nationalité française. Ils devaient en conséquence se soumettre au droit constitutionnel français et au code pénal français. Cette nationalité était acquise par leur naissance et leur séjour officiel sur un territoire administré par la France… avec l’accord de la communauté internationale… il convient de le rappeler.

Deuxième notion :

Les indigènes algériens de confession musulmane et de confession juive, étaient des citoyens français. Dans cette dernière option, une exigence incontournable fut prescrite par Napoléon III : la jouissance de la citoyenneté française impliquait une soumission à toutes les lois françaises et tout particulièrement au code civil français. Ce qui imposait l’abandon du code coranique et du code mosaïque.

Cette citoyenneté ne fut pas imposée en 1865 par Napoléon III. Elle fut offerte par l’empereur qui refusa de céder à la commodité d’un décret impérial. Donc :

-       la nationalité : elle est acquise par la naissance sur un territoire français, l’Algérie ;

-       la citoyenneté : elle n’est pas imposée. Elle est soumise au bon vouloir des musulmans et des juifs qui acceptent, dans le domaine du code civil, de renoncer au statut coranique pour les uns et au statut mosaïque pour les autres.

Seules quelques dizaines de nationaux français de confession juive ont renoncé au statut mosaïque en 1865. L’immense majorité choisit le statut de « national français » c’est-à-dire de « sujet français » et renonça volontairement au statut de citoyen français offert par Napoléon III.

On sait que le décret Crémieux du 24 octobre 1870, attribua autoritairement aux juifs d’Algérie, la citoyenneté française. Avec l’obligation pour cette collectivité religieusement définie, de renoncer au statut mosaïque dans le domaine civil. Statut qui acceptait la polygamie en particulier.

C’était, de la part de Crémieux au niveau du territoire algérien, une remise à l’ordre du jour des décisions prises par le « sanhédrin » de Napoléon Ier, le sanhédrin réuni en 1807 à Gênes à la demande de l’empereur des Français. Il s’agissait d’obtenir alors des Israélites italiens, une renonciation au statut mosaïque dans le cadre du code civil. En particulier, une renonciation à la polygamie. Le sanhédrin génois accéda en 1807, à cette nécessité. Les notables rabbiniques tinrent à exprimer publiquement « qu’ils avaient reçu l’inspiration du Seigneur » et évoquèrent à l’intention des éventuels réfractaires, l’obligation pour ces derniers, de se soumettre à la volonté divine. Le grief de « malédiction » fut évoqué. Lors de ce sanhédrin de Gênes, c’est officiellement et historiquement Dieu qui S’était exprimé à travers la décision des rabbins.

Malgré ce précédent de 1807, lors du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, l’immense majorité des juifs d’Algérie refusa la citoyenneté française offerte par Napoléon III ce même 14 juillet 1865. Les juifs d’Algérie préférèrent jouir de « la seule nationalité française », même lorsque celle-ci fut complétée au début du XXème siècle par le devoir de conscription. Ils renoncèrent à la citoyenneté en 1865, par le biais d’une non-réponse aux propositions du sénatus-consulte impérial, qui impliquait une renonciation au statut mosaïque.

Une grave erreur consiste à évoquer encore de nos jours, le décret Crémieux par le terme de « naturalisation collective et autoritaire des juifs d’Algérie » [5] . En octobre 1870, lors du décret, les juifs d’Algérie n’avaient nul besoin d’une naturalisation. Ils étaient déjà de nationalité française depuis 1830. Nationalité confirmée en 1865 par Napoléon III. Crémieux leur octroya le complément de la citoyenneté française avec ses astreintes certes, mais aussi avec ses énormes avantages.

Très hypocritement, le reproche fut adressé ultérieurement à la France que le décret Crémieux était motivé en réalité par la volonté d’extirper les juifs seuls du statut de l’indigénat et de confiner, tout au contraire, les musulmans seuls dans le statut de sujets français.

En réalité ce qui se posait pour les musulmans, c’était avant tout la question primordiale du code religieux. Du code coranique qui régissait hier et régit aujourd’hui la vie de la communauté religieuse majoritaire d’Algérie…. Et d’ailleurs.

 

Dans le but théorique d’apporter un correctif officiel à ce double statut fut proposée une loi : la loi du 4 février 1919.

Une loi qui n’imposait rien.

Cette loi offrait la citoyenneté française aux nationaux français de confession musulmane qui la demandaient. Dans des conditions riches avant tout d’une hypocrisie camouflée sous une grande facilité d’accession à cette citoyenneté.

En 1919, les décrets d’application de cette loi furent publiés.

Question : à cette date, en France, en Algérie et ailleurs, qui s’intéresse à la citoyenneté des musulmans d’Algérie ?

L’Europe vient de subir une effroyable saignée dont elle ne se remettra pas. La France, pendant plus de quatre ans était devenue un théâtre opérationnel majeur. Nous déplorions 1 million ½ de tués. Une jeunesse sacrifiée pour rien. Des provinces entières détruites. Des centaines de milliers de mutilés.

Au milieu de ce désastre, moins de trois mois après l’armistice, on vote une loi autorisant une certaine catégorie d’indigènes musulmans d’Algérie, à opter pour la citoyenneté française.

Qui s’est intéressé à cette loi en 1919 avec l’intensité, avec l’acuité ou plutôt avec la lucidité qu’on aurait dû lui consacrer ?

Qui en entendit parler ?

En théorie, il suffisait, à partir de 1919, pour un musulman de se présenter dans le bureau d’un juge de paix et de signer un document par lequel il s’engageait, à se soumettre dorénavant au code civil français exclusivement. C’était d’une simplicité effarante.

Il renonçait définitivement au code coranique en ce qui concerne le code civil.

Il ne lui était pas interdit de rester musulman. Comme les juifs, comme les chrétiens, il lui était prescrit de pratiquer son culte dans l’observance des exigences de la laïcité, telle qu’elle était prévue par les lois constitutionnelles de 1875.

En particulier, dans l’observance des exigences de la loi du 9 décembre 1905, loi de séparation des églises et de l’Etat. La vie matrimoniale à la française, tout particulièrement, était imposée implicitement aux musulmans par cette loi du 4 février 1919.

Cette évolution était offerte, par l’intermédiaire d’une procédure riche d’une commodité qui théoriquement aurait dû favoriser l’adhésion des nationaux français musulmans d’Algérie à la citoyenneté française.

Mais en réalité tout s’est déroulé dans les faits, comme si cette loi, d’importance majeure, avait été votée en catimini. « Chut ! », « n’en parlez-pas ! ». Il n’est pas nécessaire qu’un grand nombre de Français musulmans adhèrent à la citoyenneté accordée !

Que prétendait-on obtenir par cette loi en 1919 ? Puisque, de toute évidence, on ne s’employait pas à la faire appliquer ?

On se réservait de répliquer, en temps voulu, à ceux qui reprocheraient à la France de n’avoir jamais voulu des musulmans comme citoyens français :

« mais regardez donc, dans votre immense majorité, vous les musulmans, avez ignoré la loi du 4 février 1919 ! ».

Une loi qui fut noyée dans une conjuration du silence, par ceux-là même qui l’avaient fait voter. Dont l’immense majorité de Français de toutes religions, de France, d’Algérie et d’ailleurs déclarait et déclare encore aujourd’hui, n’avoir jamais entendu parler !

La loi du 4 février 1919 ? « Connais pas ! »

 

Mais d’autres en avaient entendu parler.

Cette loi était riche d’après eux, d’un dangereux potentiel d’attractivité. Elle contenait, en effet, le risque de séduire un grand nombre de sujets français de confession musulmane. Ils mirent donc en œuvre une rénovation du comportement religieux musulman dans le but de soustraire les croyants à la tentation de la citoyenneté. C’était en réalité le résultat que voulaient atteindre fondamentalement et secrètement, les promoteurs français de cette loi. C’était la traduction opérationnelle réelle et secrète des intentions des législateurs de 1919 : faire de cette loi un prétexte de radicalisation ultime contre la citoyenneté française, contre la France.

 

 

            Intervient dans cette attitude d’opposition attendue par le pouvoir, un Berbère, un homme-clef de la révolution algérienne, dès 1920 : Omar Smaïl.

 

            Qu’on ne m’interroge pas sur la vie et les origines du cheik Omar Smaïl. J’ai eu connaissance, il y a quelques dizaines années, à travers la lecture de brillantes pages d’un auteur algérien, du rôle fondamental qu’il joua dans le déterminisme arabe et islamiste de la révolution algérienne.

Omar Smaïl mit en évidence avec habileté un capital de dangers théoriques ou plutôt supposés, que comportait la loi du 4 février 1919, à l’égard de l’expression quotidienne du culte musulman. Et surtout à l’égard de l’efficacité d’une arme qui n’était pas encore utilisée contre la France,  parce qu’elle n’avait pas encore été forgée : cette arme c’était l’expression fondamentaliste et révolutionnaire du culte musulman.

Dans le but de contrer les effets supposés de cette loi, il créa les cénacles d’études au niveau de toutes les collectivités intellectuelles et religieuses musulmanes. Il préconisa et organisa la création de structures d’études, les cénacles donc, au sein desquels était prescrit impérativement l’usage exclusif de la langue arabe littérale.

C’était une mise en application réactivée au XXème siècle, en 1920 je précise, du commandement formulée au VIIème siècle par le 3ème calife Uthman [6] L’utilisation exclusive de la langue arabe, partout dans le monde, par ceux qui assumaient la mission de transmettre la parole du Prophète de la Mecque et de Médine.

Il mit en application, avec soin, cette volonté califale dès 1920. Faire de la langue arabe « la substance phonique de l’islam ». Obtenir que partout les musulmans perçoivent désormais que « c’est leur idiome qui les situe en permanence en site de véracité ».

Qu’ils perçoivent l’efficacité opérationnelle des « vocalises sans cesse renouvelées ».

D’obtenir qu’ils enregistrent une vérité essentielle : « c’est leur idiome qui les situe en permanence en site de véracité » : il me paraît nécessaire de répéter cette formulation. Elle émane d’un grand spécialiste français de l’islam et de la langue arabe. Cet auteur veut exprimer que la langue arabe est devenue le vecteur unique de la vérité pour les musulmans, quelles que soient leur identité et leur origine ethnique.

La langue arabe littérale s’illustra ainsi comme une première barrière dressée contre les effets redoutés par Omar Smaïl, de la loi du 4 février 1919. Il redoutait que cette loi ne générât une tentation chez de nombreux musulmans : celle de la liberté du choix, celle de partager sa vie de tous les jours avec d’autres citoyens français algériens, celle d’occidentaliser progressivement la pratique quotidienne du culte musulman. Pour Omar Smaïl, la langue arabe c’était le moyen d’anéantir l’influence de ceux qui prônaient un dialogue interconfessionnel et nourrissaient l’ambition d’apaiser les confrontations d’inspiration religieuse.

Les « cadences sans cesse renouvelées » de la langue arabe, conféraient toute sa vigueur à l’arme qu’Omar Smaïl voulait voir utiliser quotidiennement. Ce qu’il prétendait interdire aux musulmans algériens par cette attitude, c’était une possibilité de regarder au dehors.

A partir de 1925, ces cénacles, en imposant le culte « de l’arabité rénovée de l’Algérie » allaient évoluer grâce à l’adhésion des ouléma berbères d’Algérie, vers la vocation que voulait nourrir Omar Smaïl : rendre réfractaire le peuple musulman d’Algérie à toute influence qui ne serait pas musulmane.

La naissance de l’Association des Ouléma, entérinée par la IIIème République française, au mois de juin 1931, fut l’occasion historique d’une guerre déclarée à la France. Le président élu, le Berbère constantinois Ben Baddis, déclara lors de son discours inaugural :

ma religion c’est l’islam,

ma langue c’est l’arabe,

ma patrie c’est l’Algérie.

S’il fut une déclaration subversive, riche d’un redoutable contenu, s’il fut une déclaration de guerre contre la France, ce fut bien cette proclamation du cheik Ben Baddis, en juin 1931.

La guerre « pour la patrie algérienne », « pour l’islam », par le moyen d’une arme d’importance majeure : la langue arabe littérale.

 

 

                        En 1956, notre pseudo boursier, James, semble tout ignorer de cette évolution religieuse intrinsèque à l’Algérie. Pour lui, la prise en main d’une population par un rituel religieux monolytique, discipliné, uniformisé, ne génère aucune difficulté. Ça ne compte pas !

Il identifie ce comportement fanatique religieux, à l’instar de ses mandataires de la place Malesherbes à Paris, aux « bondieuseries » chrétiennes et tout particulièrement catholiques dont les socialistes ne veulent rien savoir si ce n’est, comme on le fait aujourd’hui, pour réclamer contre elles les exigences de la révolution de 1789. Ils aspirent en réalité à voir se déclencher de nouveaux massacres, identiques aux massacres de septembre 1792, contre les catholiques français.

 

                       L’islamisme était finalement identifié à une arme privilégiée dont les ennemis, y compris les ennemis non musulmans de l’Algérie française, finirent pas se servir avec compétence.

            James, ce sympathique négociateur, semblait tout ignorer de cette réalité. Ce mandataire occasionnel du monde socialiste français, pris en main à son insu par les services secrets américains, prétendait voir dans l’évolution de Porto Rico, un modèle d’avenir pour l’Algérie indépendante. Il faisait l’impasse sur deux vérités essentielles.

Il ignorait, d’une part, l’importance pour Porto Rico du ciment que constituait la foi catholique. Une foi qui était un facteur majeur, exclusif même, de l’unicité du peuple portoricain.

Il ignorait, d’autre part, le rôle de l’islam en Algérie. Islam transformé en islamisme conquérant à partir de 1920. Islamisme conquérant qui connut un renouveau opérationnel majeur en 1931. Un renouveau qui, en 1956, s’exprimait depuis deux ans déjà, par la guerre qui ensanglantait la terre algérienne. Renouveau qui avait été idéologiquement sublimé en 1931, par l’association des ouléma berbères, qui prit place à la pointe idéologique silencieuse mais toujours réelle, du combat contre la France.

James ignorait tout. Il était apparemment sincère. Il ne savait pas qu’il devenait complice des massacres que subissait notre peuple français d’Algérie. Il ne savait pas, lui qui affirmait ne croire en rien, qu’il se soumettait intellectuellement à une forme conquérante et invasive d’un courant religieux intégriste, illustré historiquement par la proclamation de Ben Baddis, en juin 1931. Proclamation arabo-islamiste fondamentaliste et conquérante que nous ne confondons pas avec l’islam. Mais, proclamation qui illustrait le fondement historique constamment psalmodié de la guerre d’Algérie.

 

            James dut rentrer à Alger plein d’illusions. Il semblait ignorer que ce « qu’on » attendait de la France, à partir de New-York, c’était qu’elle se soumît aux exigences du FLN, telles que celles-ci avaient été précisées, pendant l’été 1956, lors du Congrès de la Soumam.

Intoxiqué, grisé plutôt par son ignorance, il prétendait opposer la démocratie à la terreur. « La volonté de paix » disait-il, « prévaudra finalement sur la violence et le fanatisme ».

Il revint à Alger et eut à affronter les injures les plus grossières dont était coutumier Robert Lacoste. Celui-ci le sanctionna parce qu’il avait osé prendre des contacts à New-York avec Ferhat Abbas et d’autres cadres supérieurs du FLN. Il fut suspendu de ses fonctions administratives avec la jouissance d’un demi-traitement.

 

Mais surtout, il devint occasionnellement l’objet personnel de la colère de Michel Debré. Ce sénateur de la IVème république, exigea, à travers ses écrits du « Courrier de la Colère », qu’une enquête fût diligentée pour connaître l’identité de la personnalité américaine qui était à l’origine de l’attribution d’une bourse à un fonctionnaire français. Une bourse pour permettre à ce même fonctionnaire de prendre contact aux USA avec ceux qui faisaient la guerre  contre la France.

Debré le patriote, Debré le partisan outrancier ou plutôt passionné de la France en Algérie, ne voulait pas que l’on trahît la patrie par l’intermédiaire de propositions de paix émanant de ceux qui avaient osé agresser la France.

C’était déjà le premier symptôme de l’hystérie qui, plus tard, lorsque De Gaulle prit le pouvoir, imprégna la politique française. Une hystérie-maladie, au sens psychiatrique du terme, le syndrome H, qui entra dans sa période d’état à partir de 1958 en France.

Depuis quelques dizaines d’années, dans un souci louable de pudeur verbale, on a décidé de substituer au terme « d’hystérie », le terme « d’histrionisme ». Merci à nos psychiatres universitaires pour cette délicatesse de vocabulaire.

Ce qui nous permet d’évoquer sans réserve l’histrionisme gaulliste dont les premiers symptômes cliniques se traduisirent par un exhibitionnisme patriote français. Voire, en quelques occasions, par un nationalisme français politiquement affirmé ou plutôt exhibé. Cette attitude de camouflage, s’appuyant sur la notion de l’intérêt exclusif de la France très proche du nationalisme barrésien, permit paradoxalement à De Gaulle de mettre en œuvre, avec une redoutable efficacité, sa décision irrévocable de livrer l’Algérie au FLN.

FLN dont les représentants à New-York avaient reçu James fort amicalement. James, ce fonctionnaire français de l’assemblée algérienne, détaché par Bortolotti dans les services administratifs de la sûreté nationale française en Algérie. Dans le but de lui permettre d’étudier avec nos ennemis, ou plutôt avec  les ennemis de la patrie, un processus de cessation des combats qui devait concrétiser officiellement et définitivement, la défaite de la France.

 

Histrionisme gaulliste qui interdit, à ceux qui ont cru voir en De Gaulle le seul moyen d’accéder à la victoire en Algérie, de flairer la trahison mortelle qui accabla la France.

 

Histrionisme gaulliste responsable d’un état confusionnel de certains esprits français, qui affecte, aujourd’hui encore, le comportement d’hommes politiques qui se déclarent de droite.

 

Histrionisme gaulliste qui, paradoxalement, affecta le comportement du FLN. Celui-ci faillit compromettre sa propre victoire en Grande Kabylie. La victoire qu’il était en train d’obtenir grâce à la seule volonté de De Gaulle. Expliquons-nous.

 

            C’était le 11 avril 1960, tout près de Tizi Ouzou. Un commando FLN reçut la mission de tuer Michel Debré, l’ancien patriote du Courrier de la Colère, devenu 1er ministre du président De Gaulle. De celui qui réussit à tuer la France sud-méditerranéenne.

Pour vous permettre de capter l’importance de cette affirmation, je vous invite à prendre connaissance d’un article publié dans « El Moujahid » le 12/04/01.

 

Il y a 41 ans – Le Martyre du commando qui préparait un attentat contre Michel Debré à Tizi-Ouzou.

 

« Le 11 avril 1960, de jeunes héros de la Révolution du 1er novembre 1954, meurent déchiquetés par l’explosion d’une bombe qu’ils destinaient au premier ministre français de l’époque, Michel Debré.

Ouchène Arezki, chef du groupe « commando » de Tizi-Ouzou, Belhocine Mouloud, Ouamrane Mohamed, El Kechaï Ramdane et Zidane Mohamed, s’apprêtaient à 1 h du matin à Tala Allem, à la périphérie ouest de Tizi-Ouzou, à régler le minutage d’une bombe qui devait servir dans un attentat minutieusement préparé contre le chef du gouvernement français qui devait inaugurer, dans la journée, le siège de la préfecture de Grande-Kabylie et prononcer un discours au stade Municipal (actuel stade Oukil Ramdane).

Une erreur de minutage a fait cependant que la bombe explose entre les mains de ce commando dont 4 éléments meurent sur le coup, alors que le cinquième, en l’occurrence Zidane Mohamed, décède des suites de ses blessures, au Mont Redjaouna, où il a pu se traîner, quelque temps après. Une émouvante cérémonie de recueillement et de dépôt de gerbes de fleurs, organisée par l’ONM et l’ONEM de Tizi-Ouzou a réuni à cet effet, hier matin, de nombreux moudjahidines, des citoyens et des citoyennes, venus leur rendre un hommage au niveau de la stèle érigée en leur mémoire à Tala Allem, à l’occasion du 41ème anniversaire de leur mort au champ d’honneur ».

 

            Le 11 avril 1960, où étais-je ?

J’étais en taule, à la Santé, avec plusieurs camarades, pour répondre de mes responsabilités dans le déclenchement de la Semaine des Barricades d’Alger, et tout particulièrement,  de la journée du 24 janvier 1960.

Au tout début de cette Semaine des Barricades, Michel Debré 1er ministre de De Gaulle, vint à Alger en urgence. Dans le but de rassurer les colonels de la 10ème DP [7] , quant à la volonté réelle de De Gaulle de promouvoir « la solution la plus française pour l’Algérie ».

Ces officiers, tous favorables à l’Algérie française, disposés sentimentalement à se rallier aux Barricades d’Alger, n’ont pas manqué d’exhiber une fois de plus, leur naïveté. Ils n’ont pas su saisir l’opportunité qui s’offrait à eux. Par la présence du 1er ministre de la France à Alger.

Ils auraient dû retenir Debré, en faire malgré lui dans un premier temps, le leader de l’insurrection d’Alger.

Obtenir de lui qu’il ordonnât le ralliement de l’armée au général Challes. Qu’il donnât ainsi aux Barricades d’Alger, le rayonnement salvateur dont elles devaient être investies.

C’était une occasion rêvée : exhiber le ralliement du 1er ministre, appeler toute l’Algérie à manifester sa foi dans le destin de l’Algérie française, et donner une chance de survivre à cet ensemble de départements français. Le triomphe de l’Algérie française était possible, grâce à un enthousiasme civil et militaire en Algérie, avec un retentissement consécutif en métropole.

Fut-ce le doute ?

Fut-ce un excès de confiance ultérieurement trahi ?

Fut-ce une manifestation de timidité ? Un manque de foi ?  Nos chefs de corps sont restés soumis à la discipline et ce fut l’échec de ce qui s’illustrait à l’évidence, comme la meilleure occasion de sauver l’Algérie française et de révéler avec éclat la complicité opérationnelle qui s’était établie entre De Gaulle et le FLN depuis 1956 au plus tard.

Mais non !

Debré resta fidèle à De Gaulle. Les militaires d’Alger n’ont pas eu le cran de le neutraliser, de se servir de lui, de son nom. Ils sont restés sensibles aux promesses de De Gaulle, manifestant une naïveté qui fut désastreuse pour l’avenir de la France sud-méditerranéenne.

Cet homme, Debré, soumis à De Gaulle, donc un agent de l’indépendance algérienne, un complice du FLN de tout premier ordre, a failli se faire tuer à Tizi-Ouzou, par un commando FLN. Par une bombe FLN !

Vous rendez-vous compte des conséquences de cet attentat s’il avait réussi !

Comment De Gaulle aurait-il pu poursuivre l’accomplissement de son projet de tuer la France en Algérie alors que son 1er ministre, qui lui était totalement soumis, se faisait assassiner en  Grande Kabylie par un commando FLN, c’est-à-dire par une unité militaire ennemie qui était historiquement cependant l’alliée de De Gaulle ?

Je n’ose rêver aux conséquences de cet attentat qui se serait déroulé avant que les indépendants giscardiens du Palais Bourbon ne trahissent à leur tour la cause noble entre les plus nobles de l’Algérie française, en se ralliant, servilement, à la perspective gaulliste de l’assassinat de l’Algérie.

Tout l’édifice de la trahison gaulliste risquait de s’effondrer pendant un laps de temps, suffisant peut-être pour permettre aux partisans de l’Algérie française d’Algérie et de métropole, civils et militaires, d’annihiler la défaite que De Gaulle réussit à imposer à la France, quelques mois plus tard.

Tout aurait été remis en question si l’attentat prévu en 1960 contre Michel Debré par le FLN, avait réussi.

Quelle triste constatation ! L’ennemi veut tuer Michel Debré en avril 1960 ! Parce que celui-ci est venu inaugurer une préfecture française à Tizi-Ouzou, ce jour-là. Des jeunes du FLN projettent de le tuer pour ce motif. Ils ignorent que leur victime est le complice majeur et conscient de celui qui orchestre depuis Paris l’abandon de l’Algérie par la France. L’abandon de l’Algérie au FLN.

Ils prennent la responsabilité, si leur attentat avait réussi, de voir les régiments de l’armée française se déployer à nouveau, animés d’une nouvelle volonté patriotique exacerbée de vaincre. Un nouvel enthousiasme français était peut-être possible à partir d’un attentat monté et effectué par l’ennemi….

Mais la fatalité a voulu que cet attentat ne se déroulât point.

Le sort en était jeté.

 

                        La malfaisance gaulliste allait pouvoir se déployer aux dépens de la France. Malfaisance gaulliste dont il est trop facile aujourd’hui de constater les effets, le bilan. Car nous sommes en train de le vivre ce renouveau gaulliste ! Il suffit d’ouvrir les yeux et de contempler ce que Tricot appelait « le passage de la France à la modernité ».

 

 

Jean-Claude PEREZ

Août 2014



[1] Déclaration d’Ibrahim Bachir en 1954 (1er novembre 1954, date de la Toussaint Rouge)

[2] Jacques Marseille

[3] USIS : United State Information Services, un service « d’information » des USA

[4] CIA : Service d’espionnage et de contre-espionnage exerçant ses activités en dehors du territoire des USA

[5] Depuis que j’ai cédé à l’imprudence et aussi à la nécessité d’écrire, j’avoue m’être inscrit parmi ceux qui ont commis cette erreur, une seule fois. J’ai corrigé cette même erreur par la suite.

[6] Uthman : ou Otman

[7] 10ème DP : 10ème Division Parachutiste

 

Mis en page le 07/08/2014 par RP